mercredi 20 février 2008

Le pire des mondes possibles

En ce mois de février, à Bruxelles, j'ai vivement ressenti que nous aurions toutes les raisons de désespérer : la misère s'accroît et cotoie les insouciants qui jouissent des possibilités de consommer sans entrave. Sur la Grand'Place, superbe, les visiteurs d'un jour, bruyants, filmaient, flashaient avec ostentation et impudeur. Il n'y a plus d'autre souci pour ces clients du marché du tourisme que de "faire" une ville, c'est à dire de l'avoir sur les tablettes de ses voyages, preuves photographiques à l'appui...

Mais là n'est pas le plus angoissant. Dans le quartier où se juxtaposent les immenses édifices européens, celui de la Commission, celui du Conseil des Ministres, avec, un peu à l'écart, le Parlement, on sent de façon quasi charnelle que les 30 000 fonctionnaires ici (au moins!) sont payés à traiter des problèmes vitaux par dessus la tête de ceux qui ont à les vivre. Le sens du Traité de Lisbonne surgit d'un coup : le monde du savoir et du pouvoir est, là, bien installé, au service de l'avoir. Les innombrables modestes subiront les décisions et, démocratie ou pas, n'y pourront rien.

Depuis moins d'un demi-siècle, "le pire des mondes possibles"(1), comme le dénomme Mike Davis, sociologue américain, s'est étalé partout à la surface de la Terre. Toute organisation internationale, toute puissance militaire se sont avérées incapables de s'opposer à la progression de la misère. Plus de 200 000 bidonvilles sur la planète, (dont Bombay est la capitale mondiale avec 10 à 12 millions de squatters vivant en taudis) regroupent d'immenses populations, de Mexico et Caracas en Amérique du Sud, du Caire au Cap en Afrique, de Gaza et Bagdad jusqu'à Bombay en Asie...! S'il est une preuve et une seule de l'échec violent du néo-libéralisme, elle est là : plus passent les années et plus le monde se coupe en deux avec une minorité de nantis croissant moins vite que la majorité des miséreux. On peut ne pas le voir et ne pas le savoir mais la réalité s'impose : "une humanité de trop" impossible à intégrer dans le système économique et social dominant tend à devenir démographiquement majoritaire.

Face à ce désordre géant deux voies et deux seules sont ouvertes : celle de la contrainte physique des superpauvres des mégavilles et celle du renoncement à la croissance des richesses réservées aux favorisés. "Ce n'est pas à cause de la pauvreté urbaine que les bidonville existent mais à cause de la richesse urbaine" affirme Gita Verma (2). Produire pour produire ne peut satisfaire les besoins puisqu'il faudrait produire non ce qui surabonde et qui se vend mais ce qui manque et qui ne peut s'acheter!

L'Europe tourne le dos à la réalité du monde. Les États Unis l'affrontent par la force. Les États émergents copient les recettes qui ont réussi aux pays industrialisés et ne sont pas reproductibles. L'impasse économique et politique est totale.

Quand tous les motifs de la désespérance se trouvent réunis, qu'y opposer sinon une espérance active et opiniâtre ultime défi au pire des mondes possibles. L'espérance des "partageux" des "utopistes" et des "résistants"...

(1) Mike Davis, Le pire des mondes possibles, édition La Découverte/Poche, Paris, 2007.
(2) Gita Verma, Slumming India, London, 2003.

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Le 3 octobre 2013.
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Jean-Pierre Dacheux