L'idée toute faite dont nous souffrons est qu'il y a démocratie s'il y a élections. Cette condition nécessaire n'est en rien suffisante! Les possibilités de détourner les votes sont devenues plus nombreuses et plus subtiles.
Voter, c'est choisir. Si le choix est rendu confus, voire impossible, ce qui sort des urnes est privé de sens ou peut, même, correspondre à l'inverse de ce que désirait la majorité du peuple.
La machine à briser la volonté populaire est l'élection du Président de la république au suffrage universel. Non qu'on ne puisse élire directement un Chef d'État! (Cela n'existe pas partout en Europe, mais passe...). Cependant, l'élire à l'occasion d'un scrutin à deux tours, bipolaire, éliminateur des candidats qui ne figurent pas aux deux premières places, conduit à des aberrations. Ainsi Jean-Marie Le Pen a-t-il pu s'opposer, seul, à Jacques Chirac en 2002! Une élection triangulaire aurait pu donner un tout autre résultat. Les effets de ce vote tragique se font encore sentir : ils ont tué tout ce qui n'est pas caractérisé comme "vote utile". Autrement dit, cela pousse à voter pour qui peut l'emporter et non pour qui propose ce qu'on pense. La conséquence inéluctable de ce mode de scrutin, depuis 1965, c'est l'enfermement dans une bipolarisation toujours plus sévère, qui retentit sur les élections législatives et, de proche en proche, contamine toutes les élections, y compris, comme on le voit actuellement, sur les élections européennes, pourtant proportionnelles, où l'on ne mesure que l'écart entre l'UMP et le PS!
Ce n'est pas uniquement le mode de scrutin présidentiel qui mine la démocratie, en France. La concentration des pouvoirs entre les mains d'un seul homme, qu'au fond les grands partis ne contestent pas dans l'espoir d'une alternance, est bien plus nocive encore! Le modèle de pouvoir politique propagé par nos institutions conduit à tout "présidentialiser". Commune, communauté ou autre syndicat de communes, département, région, (y compris les organismes et associations, reflets, depuis 1905, des institutions politiques), partout il s'agit d'élire un chef dont les collaborateurs ou adjoints ne sont, le plus souvent, que les grouillots. Le concept même de partage du pouvoir est incongru! Le pouvoir, central ou local ne se partage pas; il s'exerce par délégation étroitement surveillée.
La république gaullienne aura été une monarchie républicaine. À ceci près : De Gaulle considérait que, sans l'aval du peuple, son pouvoir, indépendant du "système des partis", cessait immédiatement. Il en a tiré les conséquences. Ses successeurs n'ont pas eu mes mêmes scrupules démocratiques. En inventant l'alternance, François Mitterrand a pu laisser croire que la démocratie se portait bien, que le peuple pouvait avoir le dernier mot, en élisant son Président avec un mode de scrutin bipolaire, c'est à dire, gauche contre droite. Ce fut une duperie dès que la gauche s'est vidée de son contenu en gouvernant, de compromis en compromis, toujours plus au centre, voire à droite, et surtout quand les différentes unions de la gauche n'ont plus été que des juxtapositions d'intérêts partisans, privées de cohérence politique. Aujourd'hui nous voici au bout du cycle : le Président de la république est visiblement seul maître à bord et les outils de l'opposition sont à ce point usés que la monarchie républicaine, de durcissement en durcissement, peut glisser vers une monocratie idéologiquement dévastatrice, quasi impunément. La démocratie française n'est plus qu'une démocratie d'apparence.
La démocratie, conçue non comme le pouvoir donné au peuple mais le pouvoir pris par le peuple pour choisir son gouvernement et orienter la politque, a été détournée. Le "quatrième pouvoir", celui des médias, étroitement dépendant du pouvoir caché, le pouvoir gris de l'économie, influence les citoyens au bon moment et, sauf exception -quand les analystes, en dépit de leurs moyens raffinés de compréhension des ressorts de l'opinion, se trompent, comme on l'a vu en 2005- ils conduisent assez bien le troupeau électoral. Les pouvoirs d'État et les grands partis y veillent, et paient pour cela. Les sondages sont des outils subtils, fiables, et l'art du sondeur consiste non à influencer ou à interpréter les réponses mais à poser les questions qui les induisent.
La démocratie, visage politique du capitalisme, est de plus en plus contestée dans le monde, en apparaissant comme une "gouvernance" inspirée par un Occident dominateur! Cela n'empêche pas les dictatures et les tyrans de s'en servir, avec cynisme. Le cadeau vénéneux fait par les puissances coloniales aux États indépendant, aura été de laisser croire qu'il suffisait d'organiser des élections (fussent-elles truquées, organisées sous la pression, et avec de multiples moyens de corruption) pour devenir des démocraties. Le résultat catastrophique de cette manipulation est que plus le nombre des "démocraties" s'étend moins la réalité démocratique est effective. "Le gouvernement du peuple par le peuple, pour le peuple" n'est qu'un slogan que nulle part on ne sait traduire en actes, car cela conduit à la codésion et au partage du pouvoir, ce que les décideurs élus se refusent à envisager. Nous en restons donc à la République des représentants qui exercent le pouvoir par délégation populaire, le temps d'un mandat et tous les discours sur la démocratie représentative sont creux. Associer des citoyens à l'étude de dossiers est une opération de marketting politique par laquelle des élus se font valoir. Décider ensemble serait tout autre chose... Non seulement cela ne s'improvise pas, mais il n'en est pas question parce que les vrais décideurs, élus ou non, les maîtres de l'argent, ne peuvent prendre ce risque.
Voici venu le temps de ce que les communistes ont appelé, en la trahissant violemment, la "démocratie populaire", c'est à dire non pas la dictature du prolétariat, la dictature du parti, mais la mise en réseaux de tous les lieux de décision avec tous ceux que les décisions concernent.
Nous vivons au XXIe siècle et les affaires publiques ne peuvent plus être gérées comme elles l'étaient au XIXe et au XXe siècle. Ou bien donc, il faudra sortir de la démocratie qui a perdu son efficacité et son exemplarité, ou bien, au contraire, il va falloir expérimenter de nouveaux modèles de participation à la vie citoyenne fonctionnant no plus au rythme des élections, mais dans la quotidienneté. La démocratie véritable appelle un nouveau monde culturel.
Ou bien Sarkozy et Berlusconi vont devenir les promoteurs, caricaturaux mais triomphants dans toute l'Europe, d'une gouvernance dite démocratique mais coquille vide n'ayant rien à voir avec ce que les créateurs de la République avaient imaginé, ou bien, dans les années à venir, une effort immense de créativité politique va faire rechercher, et trouver, un mode d'exercice de la démocratie qui donnera effectivement à chacun pouvoir sur sa vie. Les utopies sont des dynamismes le temps de devenir des banalités ne pouvant plus être désignées comme utopies.
La république a besoin de se confondre davantage avec la démocratie. Elle a besoin d'utopies. De toute urgence.
Voter, c'est choisir. Si le choix est rendu confus, voire impossible, ce qui sort des urnes est privé de sens ou peut, même, correspondre à l'inverse de ce que désirait la majorité du peuple.
La machine à briser la volonté populaire est l'élection du Président de la république au suffrage universel. Non qu'on ne puisse élire directement un Chef d'État! (Cela n'existe pas partout en Europe, mais passe...). Cependant, l'élire à l'occasion d'un scrutin à deux tours, bipolaire, éliminateur des candidats qui ne figurent pas aux deux premières places, conduit à des aberrations. Ainsi Jean-Marie Le Pen a-t-il pu s'opposer, seul, à Jacques Chirac en 2002! Une élection triangulaire aurait pu donner un tout autre résultat. Les effets de ce vote tragique se font encore sentir : ils ont tué tout ce qui n'est pas caractérisé comme "vote utile". Autrement dit, cela pousse à voter pour qui peut l'emporter et non pour qui propose ce qu'on pense. La conséquence inéluctable de ce mode de scrutin, depuis 1965, c'est l'enfermement dans une bipolarisation toujours plus sévère, qui retentit sur les élections législatives et, de proche en proche, contamine toutes les élections, y compris, comme on le voit actuellement, sur les élections européennes, pourtant proportionnelles, où l'on ne mesure que l'écart entre l'UMP et le PS!
Ce n'est pas uniquement le mode de scrutin présidentiel qui mine la démocratie, en France. La concentration des pouvoirs entre les mains d'un seul homme, qu'au fond les grands partis ne contestent pas dans l'espoir d'une alternance, est bien plus nocive encore! Le modèle de pouvoir politique propagé par nos institutions conduit à tout "présidentialiser". Commune, communauté ou autre syndicat de communes, département, région, (y compris les organismes et associations, reflets, depuis 1905, des institutions politiques), partout il s'agit d'élire un chef dont les collaborateurs ou adjoints ne sont, le plus souvent, que les grouillots. Le concept même de partage du pouvoir est incongru! Le pouvoir, central ou local ne se partage pas; il s'exerce par délégation étroitement surveillée.
La république gaullienne aura été une monarchie républicaine. À ceci près : De Gaulle considérait que, sans l'aval du peuple, son pouvoir, indépendant du "système des partis", cessait immédiatement. Il en a tiré les conséquences. Ses successeurs n'ont pas eu mes mêmes scrupules démocratiques. En inventant l'alternance, François Mitterrand a pu laisser croire que la démocratie se portait bien, que le peuple pouvait avoir le dernier mot, en élisant son Président avec un mode de scrutin bipolaire, c'est à dire, gauche contre droite. Ce fut une duperie dès que la gauche s'est vidée de son contenu en gouvernant, de compromis en compromis, toujours plus au centre, voire à droite, et surtout quand les différentes unions de la gauche n'ont plus été que des juxtapositions d'intérêts partisans, privées de cohérence politique. Aujourd'hui nous voici au bout du cycle : le Président de la république est visiblement seul maître à bord et les outils de l'opposition sont à ce point usés que la monarchie républicaine, de durcissement en durcissement, peut glisser vers une monocratie idéologiquement dévastatrice, quasi impunément. La démocratie française n'est plus qu'une démocratie d'apparence.
La démocratie, conçue non comme le pouvoir donné au peuple mais le pouvoir pris par le peuple pour choisir son gouvernement et orienter la politque, a été détournée. Le "quatrième pouvoir", celui des médias, étroitement dépendant du pouvoir caché, le pouvoir gris de l'économie, influence les citoyens au bon moment et, sauf exception -quand les analystes, en dépit de leurs moyens raffinés de compréhension des ressorts de l'opinion, se trompent, comme on l'a vu en 2005- ils conduisent assez bien le troupeau électoral. Les pouvoirs d'État et les grands partis y veillent, et paient pour cela. Les sondages sont des outils subtils, fiables, et l'art du sondeur consiste non à influencer ou à interpréter les réponses mais à poser les questions qui les induisent.
La démocratie, visage politique du capitalisme, est de plus en plus contestée dans le monde, en apparaissant comme une "gouvernance" inspirée par un Occident dominateur! Cela n'empêche pas les dictatures et les tyrans de s'en servir, avec cynisme. Le cadeau vénéneux fait par les puissances coloniales aux États indépendant, aura été de laisser croire qu'il suffisait d'organiser des élections (fussent-elles truquées, organisées sous la pression, et avec de multiples moyens de corruption) pour devenir des démocraties. Le résultat catastrophique de cette manipulation est que plus le nombre des "démocraties" s'étend moins la réalité démocratique est effective. "Le gouvernement du peuple par le peuple, pour le peuple" n'est qu'un slogan que nulle part on ne sait traduire en actes, car cela conduit à la codésion et au partage du pouvoir, ce que les décideurs élus se refusent à envisager. Nous en restons donc à la République des représentants qui exercent le pouvoir par délégation populaire, le temps d'un mandat et tous les discours sur la démocratie représentative sont creux. Associer des citoyens à l'étude de dossiers est une opération de marketting politique par laquelle des élus se font valoir. Décider ensemble serait tout autre chose... Non seulement cela ne s'improvise pas, mais il n'en est pas question parce que les vrais décideurs, élus ou non, les maîtres de l'argent, ne peuvent prendre ce risque.
Voici venu le temps de ce que les communistes ont appelé, en la trahissant violemment, la "démocratie populaire", c'est à dire non pas la dictature du prolétariat, la dictature du parti, mais la mise en réseaux de tous les lieux de décision avec tous ceux que les décisions concernent.
Nous vivons au XXIe siècle et les affaires publiques ne peuvent plus être gérées comme elles l'étaient au XIXe et au XXe siècle. Ou bien donc, il faudra sortir de la démocratie qui a perdu son efficacité et son exemplarité, ou bien, au contraire, il va falloir expérimenter de nouveaux modèles de participation à la vie citoyenne fonctionnant no plus au rythme des élections, mais dans la quotidienneté. La démocratie véritable appelle un nouveau monde culturel.
Ou bien Sarkozy et Berlusconi vont devenir les promoteurs, caricaturaux mais triomphants dans toute l'Europe, d'une gouvernance dite démocratique mais coquille vide n'ayant rien à voir avec ce que les créateurs de la République avaient imaginé, ou bien, dans les années à venir, une effort immense de créativité politique va faire rechercher, et trouver, un mode d'exercice de la démocratie qui donnera effectivement à chacun pouvoir sur sa vie. Les utopies sont des dynamismes le temps de devenir des banalités ne pouvant plus être désignées comme utopies.
La république a besoin de se confondre davantage avec la démocratie. Elle a besoin d'utopies. De toute urgence.
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Le 3 octobre 2013.
Et maintenant, exprimez-vous, si vous le voulez.
Jean-Pierre Dacheux