La distinction est classique et pourtant on n'y insiste guère : le pouvoir pour agir ne peut être confondu avec le pouvoir sur les autres hommes, et ce même si l'on n'agit pas en dehors des rapports de forces.
La politique est haïssable quand elle se présente comme une conquête du lieu où tout se décide, avec bien entendu tout le cortège de violences qu'une telle activité "militante" autorise. Plus besoin de poison ou de poignard pour éliminer les rivaux. Il est, en démocratie, des armes tout aussi redoutables qui tuent surement l'adversaire en lui otant toute influence dans l'opinion. Le pouvoir sur autrui est donc, dès l'entrée en lice, une action de domination sur des concurrents avant de devenir une action de domination sur les administrés.
Sous l'ancien régime, le roi, qui tirait sa légitimité de ses origines et son pouvoir du ciel, était l'objet d'un culte et les courtisans s'aplatissaient pour ramasser les miettes du pouvoir qui tombaient de sa table. Aujourd'hui, en France, les présidents de la République (sous "la Cinquième") et autres présidents du Conseil (sous la "Quatrième") ont toujours attendu de leur élection de n'avoir plus de souci pour agir jusqu'à l'élection prochaine, et si le Parlement, qui faisait et défaisait les gouvernements avant De Gaulle, n'est plus que l'outil législatif du chef de l'État, rien n'a changé dans les rapports entre le peuple et les dirigeants : une fois passé le moment du vote, il faut obéir.
La soumission est présentée comme une discipline républicaine et le pouvoir habille l'élu d'un vêtement divin : il n'aura pas suffi de décapiter le dernier des Capétiens et la monarchie, fut-elle qualifiée de républicaine, a été restaurée. Ce que les illettrés, les ignorants et les serfs subissaient dans un rapport de forces qu'aucune jacquerie ne pouvait abattre, ce que les citoyens, après la Révolution, ont dû accepter sous le régime des partis ou celui de l'argent-roi, il est devenu insupportable de le tenir pour intouchable et éternel : le pouvoir qui ne se partage pas ne demeure pas longtemps démocratique.
La démocratie, en effet, est un leurre si "le gouvernement du peuple, pour le peuple, par le peuple" n'est jamais qu'une délégation totale faite à qui a reçu le viatique, le sceptre, le cordon, que sais-je, bref le symbole du pouvoir incontesté et incontestable, par tranches de cinq, six ou sept ans.
L'énorme mérite de l'actuel Président français aura été de porter le système à un paroxysme qui révèle le ridicule, le danger et l'inefficacité, tout à la fois, de ce faux modèle républicain où de nouveaux princes et petits marquis tournent autour d'un astre politique qui n'a rien du Soleil...
Pouvoir "agir pour" est la revendication politique que tout citoyen, dans la responsabilité, doit faire prévaloir et sans substituer l'intérêt individuel à l'intérêt général. Autant conquérir la lune objectera-t-on! En effet, dans une logique du passé, dans la culture égotiste, et sous l'empire discret de l'argent, le partage du pouvoir est assimilé à la chienlit, à l'anarchisme, à l'utopie et j'en passe.
Seulement voilà : beaucoup a changé! Nous sommes au XXIe siècle. Le pouvoir des soviets, du parti, la dictature du prolétariat, la centralisation mortelle qui courut de 1917 à 1989 sont tombés dans les bas fonds de l'histoire. Le pouvoir de la démocratie capitaliste et de son modèle occidental qui laisse décider le plus fort, le plus riche, le plus instruit et le mieux doté, s'effondre lui aussi. Nous entrons, je le crois, dans un temps qui sera celui de la fin des élites, ou de leur multiplication, ce qui revient à peu près au même et où, enfin, l'humanité sera une et sans que les élites masculines y confisquent le pouvoir d'agir.
La démocratie a survécu, jusqu'ici, à sa contradiction (le pouvoir du peuple abandonné par le peuple à ses élites). Mieux valait après tout voter que de se voir affligé d'un Prince de sang ou d'un général surarmé. Mais la démocratie a perdu son sens dès que les compétences des citoyens et leurs moyens de communication ont mis en évidence que les décideurs s'octroient des pouvoirs sur les hommes qui affectent la nature du régime politique lui-même. Une démocratie qui ne serait pas participative ne sera bientôt plus du tout une démocratie. Et précisons bien : participatif ne signifie pas "fournisseur d'idées" seulement, mais codécideur.
Avoir le pouvoir est une expression malsaine. Le pouvoir ne se possède pas. C'est l'exercice d'une capacité à intervenir dans les affaires publiques. Ce n'est pas un métier, une spécialité réservée! C'est une responsabilité à assumer ensemble, du moins dans une société démocratique. Si nous en sommes loin, il n'en résulte pas que ce soit hors de portée dans ce monde complexe où le besoin de mobiliser toutes les énergies, tous les savoirs et toutes les recherches créatives est apparu comme une condition de survie pour l'humanité.
Le "pouvoir sur" est devenu caricatural. Les mythologies des pouvoirs civils ou religieux, leurs cérémonies, ne "collent plus" au réel. Les efforts grottesques pour redonner force à des valeurs éteintes ne peuvent que retarder une évolution ou une révolution culturelle fondamentale : le temps de l'action politique confiée exclusivement à des chefs désignés ou élus est dépassé. Apprendre à gouverner ensemble commence. D'immenses résistances vont se manifester. Elles n'empêcheront pas les hommes d'en savoir toujours plus et de se refuser, de plus en plus souvent, à confier leur sort à ceux qui ont placé leur désir d'avoir le pouvoir sur avant celui d'exercer le pouvoir pour...
En finir avec la monarchie républicaine
La politique est haïssable quand elle se présente comme une conquête du lieu où tout se décide, avec bien entendu tout le cortège de violences qu'une telle activité "militante" autorise. Plus besoin de poison ou de poignard pour éliminer les rivaux. Il est, en démocratie, des armes tout aussi redoutables qui tuent surement l'adversaire en lui otant toute influence dans l'opinion. Le pouvoir sur autrui est donc, dès l'entrée en lice, une action de domination sur des concurrents avant de devenir une action de domination sur les administrés.
Sous l'ancien régime, le roi, qui tirait sa légitimité de ses origines et son pouvoir du ciel, était l'objet d'un culte et les courtisans s'aplatissaient pour ramasser les miettes du pouvoir qui tombaient de sa table. Aujourd'hui, en France, les présidents de la République (sous "la Cinquième") et autres présidents du Conseil (sous la "Quatrième") ont toujours attendu de leur élection de n'avoir plus de souci pour agir jusqu'à l'élection prochaine, et si le Parlement, qui faisait et défaisait les gouvernements avant De Gaulle, n'est plus que l'outil législatif du chef de l'État, rien n'a changé dans les rapports entre le peuple et les dirigeants : une fois passé le moment du vote, il faut obéir.
Trouver d'autres armes pour la démocratie
La soumission est présentée comme une discipline républicaine et le pouvoir habille l'élu d'un vêtement divin : il n'aura pas suffi de décapiter le dernier des Capétiens et la monarchie, fut-elle qualifiée de républicaine, a été restaurée. Ce que les illettrés, les ignorants et les serfs subissaient dans un rapport de forces qu'aucune jacquerie ne pouvait abattre, ce que les citoyens, après la Révolution, ont dû accepter sous le régime des partis ou celui de l'argent-roi, il est devenu insupportable de le tenir pour intouchable et éternel : le pouvoir qui ne se partage pas ne demeure pas longtemps démocratique.
La démocratie, en effet, est un leurre si "le gouvernement du peuple, pour le peuple, par le peuple" n'est jamais qu'une délégation totale faite à qui a reçu le viatique, le sceptre, le cordon, que sais-je, bref le symbole du pouvoir incontesté et incontestable, par tranches de cinq, six ou sept ans.
La démocratie, c'est décider ensemble
L'énorme mérite de l'actuel Président français aura été de porter le système à un paroxysme qui révèle le ridicule, le danger et l'inefficacité, tout à la fois, de ce faux modèle républicain où de nouveaux princes et petits marquis tournent autour d'un astre politique qui n'a rien du Soleil...
Pouvoir "agir pour" est la revendication politique que tout citoyen, dans la responsabilité, doit faire prévaloir et sans substituer l'intérêt individuel à l'intérêt général. Autant conquérir la lune objectera-t-on! En effet, dans une logique du passé, dans la culture égotiste, et sous l'empire discret de l'argent, le partage du pouvoir est assimilé à la chienlit, à l'anarchisme, à l'utopie et j'en passe.
Seulement voilà : beaucoup a changé! Nous sommes au XXIe siècle. Le pouvoir des soviets, du parti, la dictature du prolétariat, la centralisation mortelle qui courut de 1917 à 1989 sont tombés dans les bas fonds de l'histoire. Le pouvoir de la démocratie capitaliste et de son modèle occidental qui laisse décider le plus fort, le plus riche, le plus instruit et le mieux doté, s'effondre lui aussi. Nous entrons, je le crois, dans un temps qui sera celui de la fin des élites, ou de leur multiplication, ce qui revient à peu près au même et où, enfin, l'humanité sera une et sans que les élites masculines y confisquent le pouvoir d'agir.
Décider ensemble n'a pas de sexe
La démocratie a survécu, jusqu'ici, à sa contradiction (le pouvoir du peuple abandonné par le peuple à ses élites). Mieux valait après tout voter que de se voir affligé d'un Prince de sang ou d'un général surarmé. Mais la démocratie a perdu son sens dès que les compétences des citoyens et leurs moyens de communication ont mis en évidence que les décideurs s'octroient des pouvoirs sur les hommes qui affectent la nature du régime politique lui-même. Une démocratie qui ne serait pas participative ne sera bientôt plus du tout une démocratie. Et précisons bien : participatif ne signifie pas "fournisseur d'idées" seulement, mais codécideur.
Avoir le pouvoir est une expression malsaine. Le pouvoir ne se possède pas. C'est l'exercice d'une capacité à intervenir dans les affaires publiques. Ce n'est pas un métier, une spécialité réservée! C'est une responsabilité à assumer ensemble, du moins dans une société démocratique. Si nous en sommes loin, il n'en résulte pas que ce soit hors de portée dans ce monde complexe où le besoin de mobiliser toutes les énergies, tous les savoirs et toutes les recherches créatives est apparu comme une condition de survie pour l'humanité.
Le "pouvoir sur" est devenu caricatural. Les mythologies des pouvoirs civils ou religieux, leurs cérémonies, ne "collent plus" au réel. Les efforts grottesques pour redonner force à des valeurs éteintes ne peuvent que retarder une évolution ou une révolution culturelle fondamentale : le temps de l'action politique confiée exclusivement à des chefs désignés ou élus est dépassé. Apprendre à gouverner ensemble commence. D'immenses résistances vont se manifester. Elles n'empêcheront pas les hommes d'en savoir toujours plus et de se refuser, de plus en plus souvent, à confier leur sort à ceux qui ont placé leur désir d'avoir le pouvoir sur avant celui d'exercer le pouvoir pour...
En finir avec la monarchie républicaine
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Le 3 octobre 2013.
Et maintenant, exprimez-vous, si vous le voulez.
Jean-Pierre Dacheux