samedi 12 avril 2008

Les émeutes de la faim



Le Monde a faim titre le Journal du Dimanche (1). L'article de Matthieu Verrier souligne la gravité de la crise planétaire.

"La liste s'allonge de jour en jour. Partout dans le monde, des manifestations emplissent les rues, tournant parfois à l'émeute, comme en Haïti où cinq personnes sont mortes. L'Afrique de l'Ouest est particulièrement touchée, avec des "manifestions de la faim" au Burkina-Faso, au Cameroun, au Sénégal ou encore en Côte d'Ivoire. L'Egypte, où la population proteste contre la hausse du prix du pain, a interdit l'exportation de certaines denrées pour les réserver à son marché agricole. Face à la gronde croissante, les dirigeants s'inquiètent".

Faut-il s'étonner de cette irruption de la colère? Jean Ziegler, Rapporteur spécial du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies sur le droit à l’alimentation, avait prévenu : "La destruction de millions d’Africains par la faim s’effectue dans une sorte de normalité glacée, tous les jours, et sur une planète débordant de richesses". Il rappelle que le droit à l’alimentation est le premier des droits de l’homme et exhorte à réaliser une "distribution plus équitable des biens, qui satisferait aux besoins vitaux des gens et les protégerait contre la faim." (2)

Dans les 122 pays dits du tiers-monde vivent aujourd'hui 4,8 milliards des 6,2 milliards d'homme que nous sommes sur terre. Les prix des denrées alimentaires ont augmenté de 35% entre janvier 2007 et fin janvier 2008, selon les données des Nations unies, ce qui porte l'augmentation à 65% entre 2002 et aujourd'hui. L'Organisation pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) note une inflation, en 2007, de 80% sur les produits laitiers et 42% sur les céréales. Les projections ne prévoient pas d'amélioration à court terme.

Plusieurs facteurs sont avancés pour expliquer l'inflation. La hausse de la demande, notamment due à l'augmentation du niveau de vie dans des pays comme la Chine, créerait la pénurie. La flambée du pétrole concourt aussi à celle des denrées alimentaires. Autre mise en cause: le développement des biocarburants. Les cultures qui leur sont consacrées sont des productions alimentaires en moins.

Action contre la faim (ACF) réclame pour sa part la création d'un fonds mondial de lutte contre la faim.

Cela se passe sur une planète qui regorge de richesses. La FAO est dirigée par un homme de courage et de grande compétence, Jacques Diouf. Il constate qu’au stade du développement actuel de ses forces de production agricoles, la planète pourrait nourrir normalement (3) douze milliards d’êtres humains, soit le double de l’actuelle population mondiale. Il plaide pour un "transfert massif de semences", ce qui permettrait aux agriculteurs des pays pauvres de s'approvisionner en grain, engrais et fourrage. Il a par ailleurs appelé les dirigeants mondiaux à participer à un sommet sur la crise alimentaire du 3 au 5 juin à Rome.

Conclusion : ce massacre quotidien par la faim n’obéit à aucune fatalité. Jean Ziegler lève le ton et affirme : "Derrière chaque victime, il y a un assassin. L’actuel ordre du monde n’est pas seulement meurtrier. Il est aussi absurde. L’équation est simple : quiconque a de l’argent mange et vit. Qui n’en a pas souffre, devient invalide ou meurt. Il n’a pas de fatalité. Quiconque meurt de faim est assassiné".


(1) http://www.lejdd.fr/cmc/international/200815/le-monde-a-faim_109910.html
(2) Jean Ziegler vient de publier L’Empire de la honte (2007) en Livre de poche.
(3) Nourrir normalement veut dire procurer à chaque individu adulte, chaque jour, 2 700 calories.

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Le 3 octobre 2013.
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Jean-Pierre Dacheux