lundi 2 mars 2009

Profit, profitation et profitage


Elie Domota, porte-parole du LKP (Ensemble contre la profitation).

Le profit est un résultat ou un objectif. Dans un cas, il est un apport, pas nécessairement recherché, au terme d'un activité; dans l'autre cas, il est ce pour quoi l'on agit. Le profit est obtenu ou bien recherché, obtenu sans être recherché ou obtenu après avoir été recherché. Le profit est neutre, dans l'abstrait; il est le produit de l'intérêt, dans la pratique.

Profitation, comme on dit à présent aux Antilles, ou profitage, comme on dit en Algérie, est le système dont la recherche du profit est le cœur. Profitation a rapport avec l'action économique visant à réaliser le profit maximum fut-ce au détriment des employés, salariés et autres producteurs de richesses. Profitage déborde la sphère économique et va jusqu'à la désignation de tout ce qui profite aux bénéficiaires d'une situation apportant des avantages, matériels ou relationnels.

« Au-delà des revendications de contrôle des prix et de hausses des salaires exprimées à la Guadeloupe par le collectif Lyannaj Kont Pwofitasyon (LKP, « Rassemblement contre l’exploitation outrancière ») et à la Martinique par le Collectif du 5 février, c’est toute l’architecture de l’économie des containers et du mal-développement faisant de ces îles des « colonies de consommation », selon l’expression des grévistes, qui est mise en accusation1 ».

La traduction de Liyannaj kont pwofitasyon, titre du comité qui dirige la grève en Guadeloupe pose manifestement de gros problèmes à la presse : pour L’Huma du 16 février, cela signifie « Collectif contre les profits outranciers » (CPO), mais pour Le Monde, c’est « Ensemble contre les profiteurs » (ECP)2. On peut lire ailleurs : « Ligue contre l’exploitation » (LCE).

Il était temps de se rendre compte que le profit n'est pas neutre, que la profitation est une organisation indigne, et que le profitage est un avantage indu.

L'apparition de mots nouveaux repose toujours sur un élargissement des concepts. Que nous viennent d'ex pays colonisés ces deux mots de profitation et de profitage ne saurait étonner. La profitation est une appropriation décomplexée du profit maximum : c'est une exploitation de type néo-colonial qui enferme les pauvres dans leur pauvreté, à jamais. Le profitage est l'acceptation éhontée d'avantages confisqués dont on profite impunément et qu'on expose sans pudeur et sans gêne. Dans les deux cas, les profiteurs ne craignent rien de l'opinion qu'ils croient résignée à accepter des injustices rendues naturelles et, en tout cas, irréversibles.

Ce qui est apparu aux Antilles démontre le contraire. Quand le profit n'est pas partagé, la dignité humaine est abolie. Quand profiter (comme on dit de quelqu'un qui prend du poids) s'effectue au détriment de ceux qui ne pourront jamais tirer profit de leurs propres activités, il y a fermentation, colère, agitation et protestation à venir. Quel que soit le temps d'attente, tôt ou tard ce qui couve vient à surgir, comme ces volcans qui, aux Antilles précisément, peuvent longtemps dormir et se réveiller furieusement.

Ce qui se passe en Algérie est un peu différent. Le profitage ne concerne pas que les riches. Il concerne cette installation dans une injustice chronique qui établit des différences sociales intouchables. Celui qui profite d'une rente de situation, fut-elle modeste, à laquelle l'entourage ne peut absolument pas prétendre, vit dans le profitage!

Cette contestation du profit confisqué tombe à point. Elle nous rappelle que, depuis des décennies, plus d'un siècle même, le culte du profit n'a profité qu'à des minorités. Le capitalisme n'est pas une valorisation du capital, c'est le système économique qui réserve le capital et son emploi à des propriétaires qui ne conçoivent pas que tout capital puisse devenir la propriété de tous.

Il faut dire que la socialisation communiste a laissé des traces tellement douloureuses que, depuis la fin de l'empire soviétique, il ne venait à l'esprit de personne qu'on puisse revenir en arrière. Il fallait donc se contenter de l'économie de marché, considérée comme indépassable. Nous sortons lentement, à tâtons, de cette période de résignation. Nous ne savons pas encore comment mieux partager les profits; nous savons déjà que ne pas partager les profits conduirait à la ruine générale y compris des riches. La crise de civilisation qui bouleverse, actuellement, les équilibres mondiaux, ouvre sur un avenir inconnu mais, déjà, bloque toute issue qui permettrait de se réinstaller dans la situation que nous sommes en train de quitter à un rythme stupéfiant, et que peu de Terriens, sans doute, ont prévue.


Gandhi. Il n'y a pas de petit profit : on va bien mettre ses lunettes aux enchères!

Angoisse donc d'avoir à quitter la terre ferme, en pleine tempête, parce que le port qu'on abandonne n'est plus sûr! Partir au large est-il plus dangereux que de demeurer sur un sol très inhospitalier? Si aucune île, aucun continent, n'est abordable mieux vaudrait mourir sur place plutôt que de sombrer ou de de ne jamais pouvoir accoster. La parabole maritime ne date pas d'hier, mais, cette fois, elle s'applique à une traversée de l'histoire parfaitement imprévisible.

Si c'est d'outre-mer que peut venir une autre approche du vivre ensemble, il faut s'en réjouir! Il ne s'agit plus de changer de doctrines ou de s'en remettre aux plus grands cerveaux, il s'agit de passer à une démocratie sociale et économique où chacun a un rôle à tenir, une place reconnue, une part de la richesse commune garantie.

Il est vrai qu'on n'a jamais encore réussi, cette mise en commun des responsabilités. Il est vrai que la démocratie s'est corrompue en se confiant à des professionnels du pouvoir. Il est vrai que la culture du profit a pourri la pensée, y compris celle de ceux qui ne pouvaient accéder au profits.

Alors que faire? Le statu quo étant impossible, la fuite en avant étant interdite, reste à construire, pas à pas, au jour le jour, mais ensemble, un autre cadre de vie. La révolution ne sera plus jamais globale et instantanée. Elle sera progressive et complexe. Le retournement, qui est le propre de toute révolution, ne s'effectuera pas d'un seul coup. C'est l'axe de l'action qui devra être maintenu; la rotation se fera non pas d'elle-même mais par voie de conséquence.

Le risque serait de pouvoir ré-accumuler les profits. Piller la planète ne se peut plus, à moins d'écraser, sous des politiques de fer et de feu, une large part de l'humanité. Ce n'est pas exclu. On n'abandonne jamais volontiers ses avantages! Les privilèges du 4 août 1789, en France, sont bien peu de chose à côté des privilèges gigantesques qui sont mis en cause, deux cent vingt ans plus tard! La Gwadloup sé tan nou, la Gwadloup a pa ta yo, (« la Guadeloupe nous appartient, la Guadeloupe n’est pas à eux », chantaient les manifestants. Ce n'est pas une revendication d'indépendance, c'est une revendication de propriété. La terre nous appartient, à nous qui y vivons, là où nous vivons. Et c'est vrai, donc, partout sur cette planète. « Vaste programme » eut dit Charles de Gaulle. Mais, a-t-on le choix?

Limiter et répartir équitablement les profits. Casser la profitation. Disqualifier le profitage. C'est mieux qu'un programme, c'est une philosophie d'existence.
Le profit qu'un sage retire de la philosophie est de vivre en société avec lui-même. (Antisthène) tapis de souris décoré
Antisthène, disciple de Socrate et maître de Diogène le Cynique.

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Le 3 octobre 2013.
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Jean-Pierre Dacheux