Écologica (1) est un livre, le dernier signé d'André Gorz, qu'il a conçu avant de mettre fin à ses jours en septembre 2007.
Il s'agit d'un testament politique me semble-t-il. Ce document est le bienvenu quelque temps avant que ne soit commémoré, vilipendé ou déformé le message de mai 1968, lors des inévitables commémorations accompagnant le tout prochain 40e anniversaire.
Sartre, Illich, Jean-Marie Vincent, Dorine et... les hackers sont les points d'appui choisis par Gorz pour tenter d'expliquer comment s'était construite sa pensée. Sartre, pour l'émergence du sujet politique : "le sujet est toujours un mauvais sujet, rebelle au pouvoir et à la règle, à la société comme appareil total" formulait le philosophe. Illich, pour le choix des seules techniques conviviales, celles qui accroissent l'autonomie du sujet. Jean- Marie Vincent pour le dépassement du marxisme vulgaire qui conduit à penser que "le socialisme ne vaut pas mieux que le capitalisme s'il ne change pas d'outils". Dorine, sa compagne "sans qui rien ne serait". Et le hacker (auquel fait inévitablement penser Jérôme Kerviel, le trader de la Société générale...), ce "dissident du capitalisme numérique"...
"La sortie du capitalisme a déjà commencé" affirme André Gorz, non que le prolétariat soit de retour (il a dit "adieu au prolétariat") mais parce que l'idéologie du travail qui a sous-tendu la doctrine capitaliste (ainsi que bien des messages de syndicalistes marxistes ou pas) est à bout de course. L'appel à "travailler plus" ressemble à un chant du cygne qui se fait d'autant mieux entendre qu'il est lancé comme un défi au réel.
De plus en plus de production est devenu possible avec de moins en moins d'heures travaillées dans les sociétés hautement développées. Et si l'on devait, un jour, retrouver un plein emploi, ce serait nécessairement en continuant à réduire le temps d'emploi rémunéré ou en diminuant davantage le coût de l'heure de travail payée. On ne gagnera plus d'argent, désormais, qu'en vivant moins bien.
On a connu le "produire plus pour gagner plus et mieux satisfaire les besoins humains". On sait ce qu'il en est advenu. Le "travailler plus pour gagner plus" n'en est qu'une variante cynique qui a déjà cessé d'éblouir les dupés qui l'avaient crue.
L'écologie politique, dès lors, ne peut que reprendre, approfondir et radicaliser la critique du capitalisme. La prise de conscience mondiale qui conduit à une pseudo découverte de la menace que subit l'espèce humaine et tout le vivant planétaire, (car il y a bien longtemps que le danger s'annonçait) peut soit être détournée, pour quelque temps, vers le capitalisme vert, c'est-à-dire le détournement du profit vers les inévitables adaptations à effectuer pour survivre, soit conduire à des bouleversements historiques dont nous n'avons aucun modèle préétabli et par conséquent aucune possibilité de les prévoir avec certitude.
Il y a grande urgence mais il n'y a pas de solution connue à cette nécessité du dépassement du capitalisme. Urgence parce que le système implose comme a implosé le système soviétique. Vide politique parce que tous les acquis démocratiques qui ont accompagné le capitalisme depuis un peu plus de deux siècles sont en crise. Nous entrons dans une période fascinante et périlleuse dont, en 1968, nous n'aurions pu rêver : les sept milliards d'humains disposent des moyens de subvenir à tous leurs besoins à conditions de les diminuer de tout ce qui leur a été présenté comme des besoins et n'en étaient pas.
Contre toute attente historique, l'économie de l'immatériel, comme le démontre André Gorz, limite le travail humain et tend à la gratuité. Le capitalisme n'en peut sortir indemne. Nous n'avons donc le choix qu'entre la lente, progressive et complexe mise en œuvre de la convivialité qu'aura pensée (mais non vue!) Illich, et... rien.
Le temps critique et contradictoire de l'espoir et du désordre a commencé.
(1) André Gorz, Écologica, Galilée, Paris, 2008.
Il s'agit d'un testament politique me semble-t-il. Ce document est le bienvenu quelque temps avant que ne soit commémoré, vilipendé ou déformé le message de mai 1968, lors des inévitables commémorations accompagnant le tout prochain 40e anniversaire.
Sartre, Illich, Jean-Marie Vincent, Dorine et... les hackers sont les points d'appui choisis par Gorz pour tenter d'expliquer comment s'était construite sa pensée. Sartre, pour l'émergence du sujet politique : "le sujet est toujours un mauvais sujet, rebelle au pouvoir et à la règle, à la société comme appareil total" formulait le philosophe. Illich, pour le choix des seules techniques conviviales, celles qui accroissent l'autonomie du sujet. Jean- Marie Vincent pour le dépassement du marxisme vulgaire qui conduit à penser que "le socialisme ne vaut pas mieux que le capitalisme s'il ne change pas d'outils". Dorine, sa compagne "sans qui rien ne serait". Et le hacker (auquel fait inévitablement penser Jérôme Kerviel, le trader de la Société générale...), ce "dissident du capitalisme numérique"...
"La sortie du capitalisme a déjà commencé" affirme André Gorz, non que le prolétariat soit de retour (il a dit "adieu au prolétariat") mais parce que l'idéologie du travail qui a sous-tendu la doctrine capitaliste (ainsi que bien des messages de syndicalistes marxistes ou pas) est à bout de course. L'appel à "travailler plus" ressemble à un chant du cygne qui se fait d'autant mieux entendre qu'il est lancé comme un défi au réel.
De plus en plus de production est devenu possible avec de moins en moins d'heures travaillées dans les sociétés hautement développées. Et si l'on devait, un jour, retrouver un plein emploi, ce serait nécessairement en continuant à réduire le temps d'emploi rémunéré ou en diminuant davantage le coût de l'heure de travail payée. On ne gagnera plus d'argent, désormais, qu'en vivant moins bien.
On a connu le "produire plus pour gagner plus et mieux satisfaire les besoins humains". On sait ce qu'il en est advenu. Le "travailler plus pour gagner plus" n'en est qu'une variante cynique qui a déjà cessé d'éblouir les dupés qui l'avaient crue.
L'écologie politique, dès lors, ne peut que reprendre, approfondir et radicaliser la critique du capitalisme. La prise de conscience mondiale qui conduit à une pseudo découverte de la menace que subit l'espèce humaine et tout le vivant planétaire, (car il y a bien longtemps que le danger s'annonçait) peut soit être détournée, pour quelque temps, vers le capitalisme vert, c'est-à-dire le détournement du profit vers les inévitables adaptations à effectuer pour survivre, soit conduire à des bouleversements historiques dont nous n'avons aucun modèle préétabli et par conséquent aucune possibilité de les prévoir avec certitude.
Il y a grande urgence mais il n'y a pas de solution connue à cette nécessité du dépassement du capitalisme. Urgence parce que le système implose comme a implosé le système soviétique. Vide politique parce que tous les acquis démocratiques qui ont accompagné le capitalisme depuis un peu plus de deux siècles sont en crise. Nous entrons dans une période fascinante et périlleuse dont, en 1968, nous n'aurions pu rêver : les sept milliards d'humains disposent des moyens de subvenir à tous leurs besoins à conditions de les diminuer de tout ce qui leur a été présenté comme des besoins et n'en étaient pas.
Contre toute attente historique, l'économie de l'immatériel, comme le démontre André Gorz, limite le travail humain et tend à la gratuité. Le capitalisme n'en peut sortir indemne. Nous n'avons donc le choix qu'entre la lente, progressive et complexe mise en œuvre de la convivialité qu'aura pensée (mais non vue!) Illich, et... rien.
Le temps critique et contradictoire de l'espoir et du désordre a commencé.
(1) André Gorz, Écologica, Galilée, Paris, 2008.
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Le 3 octobre 2013.
Et maintenant, exprimez-vous, si vous le voulez.
Jean-Pierre Dacheux