dimanche 31 mai 2009

Une autre façon de s'abstenir.

Bien des Européens vont "mal" voter, dimanche prochain. Rien n'y fait, semble-t-il : les citoyens de l'Europe des 27 font la grêve des électeurs. Nicolas Sarkozy et Angela Merkel ont senti le danger et appellent ensemble à aller voter, (ils n'en sont plus à faire voter pour l'UMP et la CDU). Un rejet, non de l'Europe mais de la politique européenne, est en train de se manifester puissamment. Inutile de culpabiliser les abstentionnistes, cette fois! La plupart n'iront pas pêcher à la ligne mais resteront chez eux.


Dire non est une action...

Tous les tenants de la politique des partis vont, jusqu'au bout, tenter de réveiller les électeurs, quitte à réutiliser les "vieilles ficelles" : l'insécurité à droite, le vote sanction, à gauche.

Au soir du 7 juin, se réjouiront les naïfs et les aveugles qui n'auront pas vu le désaveu cinglant de cette non participation volontaire! L'UMP fera valoir qu'elle est en tête, donc confortée dans sa politique! Le PS prétendra qu'il demeure la seule possibilité d'alternance capable d'entrainer l'ensemble de la gauche vers une victoire, en 2012. Le MODEM tirera argument de son score à deux chiffres pour tenter de démontrer que la troisième force pouvant mettre à mal et Sarkozy et les socialistes en recul, c'est lui. Les écologistes, rassurés par leur 4ème place, rappelleront que la seule politique européenne et verte possible passe par eux. Le PCF et le "Parti de Gauche", associés, feront ouf ensemble, s'ils franchissent la barre des 5%. Le NPA comptabilisera les bribes de pourcentage obtenues au-dessus du score d'Olivier Besancenot, aux présidentielles. Le FN éructera en criant au voleur après la nouvelle razzia de l'UMP sur ses électeurs. Les ultranationalistes démontreront que l'Europe n'est plus. Les autres se réjouiront d'avoir pu accéder, par la campagne officielle, à l'oreille des Français... Personne ne voudra dire sa déception ni les risques qu'une telle situation va nous faire courir.

Car nous voici au pied du mur : l'Europe sans les Européens perd toute existence politique. L'Europe des gouvernements n'est pas l'Europe. L'Europe des 27 est inachevée et la mise à l'écart de l'Albanie, de la Turquie, de la Croatie, etc..., brise une dynamique d'élargissement qui faisait la force de l'Europe des 6, puis des 9, puis des 12, puis des 15, puis des 25, puis des 27... L'Europe qui ne s'étendrait plus irait vers une fin inéluctable par pourrissement ou désintérêt. L'Europe de la paix, du succès économique et de la garantie du niveau social a besoin de croître encore, ce qui oblige à repenser ses institutions, ce à quoi les États s'opposent.

Quand Octave Mirbeau, en 1888, parlait de la grêve des électeurs, il pensait surtout à la duperie des scrutins et à l'exploitation politicienne des votes. Cela reste pertinent, aujourd'hui, mais il s'y ajoute une donne nouvelle : on ne vote que si l'on influence les décisions des mandatés. Sûrs de rester éloignés du Parlement européen, même s'il s'y prend des décisions très importantes, les citoyens s'écartent d'une élection multimodale, devenue sans valeur puisque sans effet sur la plus importante des co-décisons possibles : celle où les Européens pourraient intervenir dans les affaires qui les concernent et pas seulement par délégation! Trop loin, trop technocratique, trop dépendant des gouvernements cogérant les politiques européennes, trop confondu avec les enjeux nationaux, le Parlement européen est un géant flasque. Ou bien il ne sert à rien, ou bien il sert à tout, y compris à mener en sous main les politiques qu'on ne peut imposer aux peuoles frontalement État par État. Et là apparaît le péché, mortel pour la démocratie, qu'aura été le refus d'accepter le rejet du Traité constitutionnel en 2005. Tout se décide ailleurs : inutile d'aller voter.


Et quand on ne s'abstient pas, tient-on compte du referendum?

On ne va donc pas voter, et de plusieurs façons. Ne voteront pas (les plus nombreux), ceux qui votent, ordinairement, et qui sont persuadés, quoi qu'on leur dise, que leur vote ne changera rien aux crises économique, financière, écologique, sociale et politique qui s'emboitent actuellement pour conduire l'Occident vers une mutation qu'aucune parti ne prend suffisamment en considération. Ne voteront pas ceux qui iront jusqu'au Bureau de vote pour y déposer une enveloppe vide, puisque aucun choix n'est pertinent. Ne voteront pas ceux qui iront jusqu'au Bureau de vote pour y déposer un Bulletin nul ou annulé, récriminant ou commentant sévèrement les échecs des partis. Ne voteront pas ceux qui iront jusqu'au Bureau de vote pour y voter blanc et pour dire la non pertinence du choix offert, car, scandaleusement, leur vote n'aura aucune validité Ne voteront pas ceux qui iront jusqu'au Bureau de vote et qui choisiront, sciemment, une liste ne pouvant atteindre les 5% nécessaires en France pour servir à la désignation d'un député! Ne voteront pas, non plus, ceux qui auraient voulu aller jusqu'au Bureau de vote, puisque vivant en Europe depuis longtemps, mais qui n'ont pas droit à la citoyenneté européenne puisque "ressortissants non-communautaires"... Je ne parle pas, enfin, de ceux qui n'iront pas jusqu'au Bureau de vote car non inscrits sur les listes électorales françaises (pour les négligents ou les objecteurs de vote) ou sur les listes électorales complémentaires des étrangers "communautaires" (pour ceux qui n'ont pas su, ou pas voulu effectuer une inscription préalable en mairie). Bref les non-votants seront, de toute façon, plus nombreux que les votants, ce qui devrait être sanctionné par une annulation du vote, mais cela engendrerait un désordre politique colossal!



J'irai-ne-pas-voter, en me rendant dans le Bureau où je vote ordinairement, pour choisir l'abstention politique qui me conviendra le mieux. Mais, cette fois, je me solidariserai de ce refus d'un jeu de dupes où même les candidats qui ont ma sympathie ne pourront tenir aucun un rôle satisfaisant, s'ils sont élus. Que ceux qui se contenteront d'être "députés européens" prennent garde : la donne a changé et il sera vite impossible de faire comme si l'Europe, elle, n'avait pas changé!

mercredi 27 mai 2009

Le mouton noir ou le bouc émissaire des fascistes

«La façon dont sont traités les Tsiganes représente le vrai test, non seulement pour une démocratie mais d'abord pour une société civile». Vaclav Havel.

Un parti tchèque propose "la solution finale" pour les Roms. Voilà l'Europe qu'il préconise : une Europe débarrassée des Roms. Attention : ne n'est pas seulement un propos excessif. C'est un appel au meurtre. En 2009! En Europe! L'actuel président en exercice de l'Union européenne est un tchèque. Si ce pays, le pays de Vaclav Havel, ne lutte pas contre ce poison violent et nous tous avec lui, nous courons au devant d'un drame d'autant plus menaçant que le chômage explose.


Femme rromni et son enfant : quelle place en europe, pour eux?

Un parti d'extrême droite fait sa pub en parlant de « solution finale de la question tzigane ». Le Parti National, Národní Strana en tchèque, a réussi son coup médiatique : avec un spot de campagne infâme et nauséabond.

Ce petit parti d’extrême droite réussit à faire la une des quotidiens. Le spot en question commence par la phrase suivante : « la solution finale de la question tzigane proposée par le Parti National est un mode d’emploi pour tous les États européens ». On voit ensuite défiler des photos de ghettos roms et des slogans comme « Non à l’intégration des inadaptables » ou « Tes impôts, leur avenir » sur fond de violon peut-être censé rappeler un violon tzigane.

La télévision publique tchèque a l’obligation légale de diffuser les spots de tous les partis pendant la campagne électorale. Elle a diffusé une fois cette vidéo, avant que la direction prenne la décision de ne plus la diffuser.

Depuis quelque temps, c’est une autre petite formation d’extrême droite, le Parti Ouvrier, Dělnická strana, qui occupait le terrain médiatique en organisant des défilés dans les quartiers roms de plusieurs villes du pays.

Vladimira Dvořáková, politologue : « Il faut dire que le Parti National a beaucoup envié les succès enregistrés par le Parti Ouvrier. A un moment, le Parti National a décidé de s’aligner sur les partis d’extrême droite d’Europe de l’Ouest en se concentrant sur l’Islam et la peur de l’immigration musulmane. Mais il n’y a pas beaucoup de musulmans ici et avec la montée en puissance du Parti Ouvrier, le Parti National en a sûrement conclu qu’il lui fallait se radicaliser et être médiatisé.


Peu imaginatif, le Parti National s’inspire réellement des partis xénophobes sévissant à l’Ouest de la République tchèque. Sur son affiche de campagne, le parti tchèque a choisi la même image que l’UDC suisse, qui avait aussi inspiré le NPD allemand, avec trois moutons blancs qui chassent à coups de patte un mouton noir…

Mais aucun de ces partis n’avaient encore osé parler de « solution finale » pour régler la question tzigane, une expression employée par les nazis pour justifier la mise en oeuvre de l’holocauste.

http://www.rtbf.be/info/index.php?q=monde/europe/tchequie-lextreme-droite-propose-la-solution-finale-pour-les-roms-110452

mardi 26 mai 2009

Catholiques, fuyez le ridicule et l'infâme.

Ce que j'ai recueilli, tout jeune, du message évangélique m'autorise à dire que l'Église se trahit et trahit celui dont elle se réclame, de la façon la plus grave qui soit. Le ridicule de la vêture épiscopale en est une manifestation saisissante. Pire, la multiplication des crimes sexuels dans les milieux d'Église démontre une orientation de la pensée qui, poussée à l'extrême ou installée dans des esprits faibles, autorise l'infamie et la turpitude!

Les accoutrements soit disant religieux (qui ne sont pas le fait de la seule église catholique!) sont devenus d'un anachronisme hurlant. Mitres, chasubles et autres soutanes appartiennent à un monde qui n'existe plus.

Les mitres sont des hautes coiffures triangulaires de cérémonie portée par les prélats.

Se vêtir n'est pas seulement se distinguer, c'est apparaitre, aux yeux d'autrui, dans un rôle professionnel, sportif, civique ou autre. La dignité et l'autorité morale sont totalement absentes de ces déguisements qui devraient déclencher le fou rire chez tout être humain normalement constitué. Ceux qui tiennent à "la religion" s'en accommodent, au détriment du sentiment ou du questionnement religieux qui habitent à peu près chacun de nous.


La soutane n'a jamais été totalement abandonnée, notamment dans les milieux intégristes

Il était facile, jusqu'alors, d'imputer à l'athéisme militant la dénonciation de ces théatralisations qui loin de renvoyer à l'essentiel : le mystère de la vie et de la mort, semblent vouloir, au contraire, en détourner, sous les apparences des musiques convenues, des paroles lénifiantes et des oripeaux usés. La vérité est plus cruelle : les catholiques continuent de confondre leurs appels à l'universalité de la foi avec la diffusion d'une culture occidentalisée et philosophiquement discutable. Ils confondent une idéologie et l'Évangile. Ils se trahissent eux-mêmes et les conséquences de cette déviance pèsent lourd sur les épaules des hommes de ce temps et pas seulement les chrétiens...

Présent depuis longtemps, et en nombre de pays, ce qui était indicible, et donc dissimulé, est, à présent, révélé, dévoilé, exposé : des prêtres se sont livrés à des activités pédophiles, voire à des violences et tortures sur les personnes de ceux qui leur étaient confiés. "Scandale" (au sens évangélique du terme), scandale absolu! Faute contre l'esprit autant que contre les corps! "Celui qui accueille en mon nom un enfant comme celui-ci, c'est moi qu'il accueille. Et celui qui m'accueille ne m'accueille pas moi, mais Celui qui m'a envoyé." (Marc 9, 37) Et peut-être même : "Chaque fois que vous l'avez fait à l'un de ces petits qui sont mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait" (Matthieu, 25,40)!

Il ne suffit pas de condamner et de demander pardon! Il faut encore comprendre pourquoi ce fut possible. Le discours sur le péché n'explique pas tout! Le crime n'est pas une juxtaposition de fautes individuelles! Que ce soit à Jersey ou en Irlande, en Australie ou aux États-Unis (pour ne parler que de ceux des lieux d'horreur que les médias ont assez récemment rendus publics), il s'est toujours agi de personnels d'institutions ou d'ecclesistiques revêtus des signes de l'autorité religieuse! Camouflés derrière leurs fonctions, quasiment incritiquables, enfermant leurs victimes dans le silence, ces criminels, fonctionnaires du sacré, se sont crus à l'abri de la justice des hommes et semblaient ne point trop craindre celle de Dieu!

Deux enseignements me semblent émerger de ces errances affreuses : la quête de la vérité, dans l'humilité et la prudence, a été abandonnée. L'universel catholique et sa dimension multiculturelle sont restés délimités par des docteurs de la Loi qui sévissent à la Curie romaine et siégent dans l'étroit Vatican. Le travail de ces chercheurs est devenu insincère. On a enfermé les catholiques dans une doctrine et la peur du mal, dans le culte du "péché originel" qui marquerait chacun d'une fragilité innée ouvrant la possibilité de succomber.


L'autorité cardinalice ne protège pas l'Église de graves déviances. Qui en tirera des enseignements?

Comme toujours, on est fasciné par ce qu'on craint le plus. Les plus faibles se tournent alors vers ce qu'ils dénoncent. La libido non acceptée comme une réalité du quotidien, la masturbation dénoncée comme une faute, le mariage souvent réduit à la légalisation de la procréation, l'orientation sexuelle sans alternative faisant de l'homosexualité une déviation condamnable et, surtout, l'absence de mesure dans le jugement d'autrui ont conduit à une moralisation intenable que des agents et procureurs de l'Église étaient les premiers à ne plus respecter! Le secret faisait le reste.

On parle désormais du christianisme comme d'une religion parmi d'autres. Le Pape n'est qu'une autorité politique et religieuse qui joue sa partition dans l'orchestre des Grands de ce monde. La spécificité chrétienne n'est plus. Demeurent toutes les caricatures et les infâmies qui permettent de déconsidérer de façon radicale une pensée qui a profondément marqué l'histoire humaine. Il ne date pas d'hier que ceux qui se réclamaient du Christ le crucifiaient au nom de la vérité qu'ils s'étaient appropriée. La nouveauté est qu'au moment où la non-violence, le refus de l'Argent-roi, la fraternité et l'égalité (sans réserves et sans limites) ont besoin d'être essayées sur une planète où l'espèce humaine s'est mise en péril, l'Église n'a plus de message dynamique et ses vieux pontifes n'ont que leur intelligence à exposer mais rien qui, au delà des discours pieux, ouvre une espérance tangible.


"Le Veau d'or est encore debout" et jamais son culte n'a été aussi universel!

Catholiques, fuyez le ridicule et l'infâme. Pensez votre foi avec les mots et les espoirs des Terriens du XXIe siècle, de chacun d'eux unique au monde. Abandonnez les idées toutes faites qui vous sont présentées comme éternelles et qui ne sont que des formes sépulcrales privées de la vie permanente de la quête de ce sens qui nous est indispensble pour être nous-mêmes. Ou alors, disparaissez et laissez les générations qui viennent trouver un chemin qui soit, pour elles, "la Voie, la Vérité et la Vie" (Jean 14,6).


jeudi 21 mai 2009

La démocratie antidémocratique

L'idée toute faite dont nous souffrons est qu'il y a démocratie s'il y a élections. Cette condition nécessaire n'est en rien suffisante! Les possibilités de détourner les votes sont devenues plus nombreuses et plus subtiles.

Voter, c'est choisir. Si le choix est rendu confus, voire impossible, ce qui sort des urnes est privé de sens ou peut, même, correspondre à l'inverse de ce que désirait la majorité du peuple.

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La machine à briser la volonté populaire est l'élection du Président de la république au suffrage universel. Non qu'on ne puisse élire directement un Chef d'État! (Cela n'existe pas partout en Europe, mais passe...). Cependant, l'élire à l'occasion d'un scrutin à deux tours, bipolaire, éliminateur des candidats qui ne figurent pas aux deux premières places, conduit à des aberrations. Ainsi Jean-Marie Le Pen a-t-il pu s'opposer, seul, à Jacques Chirac en 2002! Une élection triangulaire aurait pu donner un tout autre résultat. Les effets de ce vote tragique se font encore sentir : ils ont tué tout ce qui n'est pas caractérisé comme "vote utile". Autrement dit, cela pousse à voter pour qui peut l'emporter et non pour qui propose ce qu'on pense. La conséquence inéluctable de ce mode de scrutin, depuis 1965, c'est l'enfermement dans une bipolarisation toujours plus sévère, qui retentit sur les élections législatives et, de proche en proche, contamine toutes les élections, y compris, comme on le voit actuellement, sur les élections européennes, pourtant proportionnelles, où l'on ne mesure que l'écart entre l'UMP et le PS!

Ce n'est pas uniquement le mode de scrutin présidentiel qui mine la démocratie, en France. La concentration des pouvoirs entre les mains d'un seul homme, qu'au fond les grands partis ne contestent pas dans l'espoir d'une alternance, est bien plus nocive encore! Le modèle de pouvoir politique propagé par nos institutions conduit à tout "présidentialiser". Commune, communauté ou autre syndicat de communes, département, région, (y compris les organismes et associations, reflets, depuis 1905, des institutions politiques), partout il s'agit d'élire un chef dont les collaborateurs ou adjoints ne sont, le plus souvent, que les grouillots. Le concept même de partage du pouvoir est incongru! Le pouvoir, central ou local ne se partage pas; il s'exerce par délégation étroitement surveillée.

La république gaullienne aura été une monarchie républicaine. À ceci près : De Gaulle considérait que, sans l'aval du peuple, son pouvoir, indépendant du "système des partis", cessait immédiatement. Il en a tiré les conséquences. Ses successeurs n'ont pas eu mes mêmes scrupules démocratiques. En inventant l'alternance, François Mitterrand a pu laisser croire que la démocratie se portait bien, que le peuple pouvait avoir le dernier mot, en élisant son Président avec un mode de scrutin bipolaire, c'est à dire, gauche contre droite. Ce fut une duperie dès que la gauche s'est vidée de son contenu en gouvernant, de compromis en compromis, toujours plus au centre, voire à droite, et surtout quand les différentes unions de la gauche n'ont plus été que des juxtapositions d'intérêts partisans, privées de cohérence politique. Aujourd'hui nous voici au bout du cycle : le Président de la république est visiblement seul maître à bord et les outils de l'opposition sont à ce point usés que la monarchie républicaine, de durcissement en durcissement, peut glisser vers une monocratie idéologiquement dévastatrice, quasi impunément. La démocratie française n'est plus qu'une démocratie d'apparence.

La démocratie, conçue non comme le pouvoir donné au peuple mais le pouvoir pris par le peuple pour choisir son gouvernement et orienter la politque, a été détournée. Le "quatrième pouvoir", celui des médias, étroitement dépendant du pouvoir caché, le pouvoir gris de l'économie, influence les citoyens au bon moment et, sauf exception -quand les analystes, en dépit de leurs moyens raffinés de compréhension des ressorts de l'opinion, se trompent, comme on l'a vu en 2005- ils conduisent assez bien le troupeau électoral. Les pouvoirs d'État et les grands partis y veillent, et paient pour cela. Les sondages sont des outils subtils, fiables, et l'art du sondeur consiste non à influencer ou à interpréter les réponses mais à poser les questions qui les induisent.

La démocratie, visage politique du capitalisme, est de plus en plus contestée dans le monde, en apparaissant comme une "gouvernance" inspirée par un Occident dominateur! Cela n'empêche pas les dictatures et les tyrans de s'en servir, avec cynisme. Le cadeau vénéneux fait par les puissances coloniales aux États indépendant, aura été de laisser croire qu'il suffisait d'organiser des élections (fussent-elles truquées, organisées sous la pression, et avec de multiples moyens de corruption) pour devenir des démocraties. Le résultat catastrophique de cette manipulation est que plus le nombre des "démocraties" s'étend moins la réalité démocratique est effective. "Le gouvernement du peuple par le peuple, pour le peuple" n'est qu'un slogan que nulle part on ne sait traduire en actes, car cela conduit à la codésion et au partage du pouvoir, ce que les décideurs élus se refusent à envisager. Nous en restons donc à la République des représentants qui exercent le pouvoir par délégation populaire, le temps d'un mandat et tous les discours sur la démocratie représentative sont creux. Associer des citoyens à l'étude de dossiers est une opération de marketting politique par laquelle des élus se font valoir. Décider ensemble serait tout autre chose... Non seulement cela ne s'improvise pas, mais il n'en est pas question parce que les vrais décideurs, élus ou non, les maîtres de l'argent, ne peuvent prendre ce risque.

Voici venu le temps de ce que les communistes ont appelé, en la trahissant violemment, la "démocratie populaire", c'est à dire non pas la dictature du prolétariat, la dictature du parti, mais la mise en réseaux de tous les lieux de décision avec tous ceux que les décisions concernent.



Nous vivons au XXIe siècle et les affaires publiques ne peuvent plus être gérées comme elles l'étaient au XIXe et au XXe siècle. Ou bien donc, il faudra sortir de la démocratie qui a perdu son efficacité et son exemplarité, ou bien, au contraire, il va falloir expérimenter de nouveaux modèles de participation à la vie citoyenne fonctionnant no plus au rythme des élections, mais dans la quotidienneté. La démocratie véritable appelle un nouveau monde culturel.



Ou bien Sarkozy et Berlusconi vont devenir les promoteurs, caricaturaux mais triomphants dans toute l'Europe, d'une gouvernance dite démocratique mais coquille vide n'ayant rien à voir avec ce que les créateurs de la République avaient imaginé, ou bien, dans les années à venir, une effort immense de créativité politique va faire rechercher, et trouver, un mode d'exercice de la démocratie qui donnera effectivement à chacun pouvoir sur sa vie. Les utopies sont des dynamismes le temps de devenir des banalités ne pouvant plus être désignées comme utopies.

La république a besoin de se confondre davantage avec la démocratie. Elle a besoin d'utopies. De toute urgence.


dimanche 17 mai 2009

Voter comme on pense

Il m'aura fallu bien du temps et de multiples expériences avant de me résoudre à ne plus jamais voter autrement que je pense. Le vote-faute-de-mieux et le vote-pour-le-moins-pire sont des attrape nigauds. S'il se trouve qu'aucune candidature ne soit compatible avec ce qu'on estime fondamental, il faut voter blanc (1) ou nul (en écrivant manuellement son choix, non disponible dans l'offre de vote). L'élection européenne va sans doute me fournir l'occasion de mettre en œuvre cette décision.


Plus de 700 millions d'électeurs en Europe. Pour décider quoi?

Bien qu'il s'agisse d'un scrutin proportionnel (écartant, tout de même, les listes obtenant moins de 5% des voix et représentant, parfois, des courants de pensée naissants), aucune liste ne me semble associer deux exigences : l'écologie comme inspiratrice de toutes les décisions politiques et le rejet du capitalisme enfin appelé par son nom, pollution de l'économie autant que de la pensée.

Sous la teinture verte dont se couvrent, à présent, toutes les organisation politiques ou presque, il n'y a, le plus souvent qu'un effet de mode, une concession faite devant certaines urgences, mais rien de profond et de sincère que révèleraient, par exemple, le renoncement au nucléaire et la fin du discours sur la nécessité de la croissance.

S'agissant de l'Europe, il me faut bien convenir qu'elle est devenue ce que je craignais il y a déjà des décennies : le lieu ou s'installe, par dessus les États ou avec leur complicité, l'organisation économique libérale du continent. Tous ceux qui ont estimé (et j'en étais) que pour dépasser les États-nations et leur risque permanent de dérive nationaliste, il fallait, quitte à faire des compromis, renforcer et élargir l'Europe, ont été trompés. Il n'y a pas de citoyenneté européenne mais une simple appartenance européenne des ressortissants des pays ayant rejoint l'Union. Il n'y a pas de pouvoir politique réel du Parlement européen qui n'a pas de compétence en politique étrangère et qui ne fait que "co-décider" avec la Commission, organisme de cogestion interétatique nullement lié aux votes du Parlement. L'Europe n'est pas démocratique.

Mes réserves par rapport à l'Europe telle qu'elle est, désormais, mon désir de refondation d'une autre Europe, ne trouveront pas leur expression par la voie électorale et seules les contradictions du système économico-politique révélées par la soit disant crise (en fait la mutation de société) peuvent nous conduire vers les choix politiques innovants et indispensables à la survie de cet occident qui a voulu dominer le monde entier et qui échoue!

Je ne voterai donc pas pour la seule liste qui a des chances d'avoir des élus et qui, pourtant, défende une politique écologique. Dans ma région, l'Ile de france, les choix de la tête de liste, Daniel Cohn-Bendit, (depuis son acceptation des institutions européennes en 2005 et du traité de Lisbonne actuellement, jusqu'à sa tolérance, mainte fois affirmée, avec les idéologies libérales) m'interdisent ce choix. Aurai-je voté pour Europe écologie dans la région où José Bové est tête de liste? Peut-être, mais j'aurais hésité car il s'est associé à ceux qui ont contesté son positionnement européen en 2005 et 2007. Finalement, de n'avoir pas à résoudre cette contradiction me convient et m'évite d'avoir encore à voter dans l'ambiguïté.


Que ton non soit non ou que ton oui soit oui!

À l'inverse, les listes "antilibérales" du Front de gauche ou du Nouveau Parti anticapitaliste, ne me convainquent pas de la sincérité de leur positionnement récent en faveur de l'écologie, dimension supplémentaire de leur argumentation, et nullement fondement de leur anticapitalisme. En outre, le sectarisme, l'esprit de parti, le comportement politique de ces formations m'interdisent de refaire ce que j'avais fait lors des élections régionales : voter pour qui osait exister hors d'une alliance avec le PS (en l'occurence une liste PCF élargie). Ce temps est derrière moi.


La gauche, éparpillée, n'existe plus.

La gauche, vieux repère idéologique, a cessé d'être la gauche quand elle a abandonné jusqu'au principe même de ce qui a constitué le socialisme : la solidarité absolue avec le monde du travail et la recherche d'une économie débarrassée de la toute puissance de l'argent. Il n'y a plus de parti socialiste en France.



Pourtant la gauche se nie aussi quand le partage de la décision est rendu impossible par le prééminance des partis. Ce qui s'est passé avant, pendant et après l'élection présidentielle de 2007 aura été révélateur d'une nouvelle urgence : la gauche ou ce qui en tient lieu, quel que soit le nom qu'on lui donnera, a besoin, comme l'Europe, d'être toute entière refondée. On en est loin.

Le 7 juin, j'irai voter, même si l'abstention aura une vraie signification politique (le rejet d'une Europe qui n'est plus l'Europe). Je voterai pour pouvoir dire que je suis de ceux, fussent-ils en très petit nombre, qui veulent l'Europe, qui ne sont pas attachés à l'État-nation, qui cherchent une autre Europe, qui font de l'écologie le cœur de tous les choix politiques présents et à venir, qui veulent une démocratie où le partage de la décision soit réel, le cumul des mandats rendu impossible, le pouvoir économique arraché aux seuls détenteurs des capitaux.

Si une liste de "décroissants" est proposée, je la choisirai donc, de façon symbolique, puisque qu'aucune liste de ce type n'atteindra les 5%. Tôt ou tard, cette thématique de la décroissance ou de "la vie simple" comme disait Gandhi, ou de la vie sobre, s'imposera en Europe comme ailleurs, fut-ce au prix d'affrontements très dangereux. Mon vote sera donc, je pense, annonciateur d'une autre façon de s'engager en politique, de façon concrète et quotidienne. Sinon, je voterai blanc, cette couleur des bulletins qu'on ne veut pas décompter!

J'aurai ainsi, cette fois, non pas soutenu une fraction, mais affirmé ce que je pense actuellement.

_______

(1) Association pour la reconnaissance du vote blanc

11 place Maurice-Thorez

94800 Villejuif

France

(33) 01 42 11 96 86

voteblanc@sysu.com

www.vote-blanc.org

L’Association a été créée en 1994.

Objectif :

Aujourd’hui, au moment du dépouillement, un bulletin blanc est considéré comme nul. L’électeur qui a choisi de voter blanc disparaît des résultats. Il est assimilé à un abstentionniste. L’Association pour la reconnaissance du vote blanc milite pour que les bulletins blancs soient intégrés dans la catégorie des suffrages exprimés. Le suffrage universel doit revenir à un principe qu’il n’aurait jamais dû abandonner : un homme = une voix.




mardi 12 mai 2009

Pouvoir pour... et pouvoir sur...

La distinction est classique et pourtant on n'y insiste guère : le pouvoir pour agir ne peut être confondu avec le pouvoir sur les autres hommes, et ce même si l'on n'agit pas en dehors des rapports de forces.

La politique est haïssable quand elle se présente comme une conquête du lieu où tout se décide, avec bien entendu tout le cortège de violences qu'une telle activité "militante" autorise. Plus besoin de poison ou de poignard pour éliminer les rivaux. Il est, en démocratie, des armes tout aussi redoutables qui tuent surement l'adversaire en lui otant toute influence dans l'opinion. Le pouvoir sur autrui est donc, dès l'entrée en lice, une action de domination sur des concurrents avant de devenir une action de domination sur les administrés.

Sous l'ancien régime, le roi, qui tirait sa légitimité de ses origines et son pouvoir du ciel, était l'objet d'un culte et les courtisans s'aplatissaient pour ramasser les miettes du pouvoir qui tombaient de sa table. Aujourd'hui, en France, les présidents de la République (sous "la Cinquième") et autres présidents du Conseil (sous la "Quatrième") ont toujours attendu de leur élection de n'avoir plus de souci pour agir jusqu'à l'élection prochaine, et si le Parlement, qui faisait et défaisait les gouvernements avant De Gaulle, n'est plus que l'outil législatif du chef de l'État, rien n'a changé dans les rapports entre le peuple et les dirigeants : une fois passé le moment du vote, il faut obéir.


Trouver d'autres armes pour la démocratie

La soumission est présentée comme une discipline républicaine et le pouvoir habille l'élu d'un vêtement divin : il n'aura pas suffi de décapiter le dernier des Capétiens et la monarchie, fut-elle qualifiée de républicaine, a été restaurée. Ce que les illettrés, les ignorants et les serfs subissaient dans un rapport de forces qu'aucune jacquerie ne pouvait abattre, ce que les citoyens, après la Révolution, ont dû accepter sous le régime des partis ou celui de l'argent-roi, il est devenu insupportable de le tenir pour intouchable et éternel : le pouvoir qui ne se partage pas ne demeure pas longtemps démocratique.

La démocratie, en effet, est un leurre si "le gouvernement du peuple, pour le peuple, par le peuple" n'est jamais qu'une délégation totale faite à qui a reçu le viatique, le sceptre, le cordon, que sais-je, bref le symbole du pouvoir incontesté et incontestable, par tranches de cinq, six ou sept ans.


La démocratie, c'est décider ensemble

L'énorme mérite de l'actuel Président français aura été de porter le système à un paroxysme qui révèle le ridicule, le danger et l'inefficacité, tout à la fois, de ce faux modèle républicain où de nouveaux princes et petits marquis tournent autour d'un astre politique qui n'a rien du Soleil...

Pouvoir "agir pour" est la revendication politique que tout citoyen, dans la responsabilité, doit faire prévaloir et sans substituer l'intérêt individuel à l'intérêt général. Autant conquérir la lune objectera-t-on! En effet, dans une logique du passé, dans la culture égotiste, et sous l'empire discret de l'argent, le partage du pouvoir est assimilé à la chienlit, à l'anarchisme, à l'utopie et j'en passe.

Seulement voilà : beaucoup a changé! Nous sommes au XXIe siècle. Le pouvoir des soviets, du parti, la dictature du prolétariat, la centralisation mortelle qui courut de 1917 à 1989 sont tombés dans les bas fonds de l'histoire. Le pouvoir de la démocratie capitaliste et de son modèle occidental qui laisse décider le plus fort, le plus riche, le plus instruit et le mieux doté, s'effondre lui aussi. Nous entrons, je le crois, dans un temps qui sera celui de la fin des élites, ou de leur multiplication, ce qui revient à peu près au même et où, enfin, l'humanité sera une et sans que les élites masculines y confisquent le pouvoir d'agir.


Décider ensemble n'a pas de sexe

La démocratie a survécu, jusqu'ici, à sa contradiction (le pouvoir du peuple abandonné par le peuple à ses élites). Mieux valait après tout voter que de se voir affligé d'un Prince de sang ou d'un général surarmé. Mais la démocratie a perdu son sens dès que les compétences des citoyens et leurs moyens de communication ont mis en évidence que les décideurs s'octroient des pouvoirs sur les hommes qui affectent la nature du régime politique lui-même. Une démocratie qui ne serait pas participative ne sera bientôt plus du tout une démocratie. Et précisons bien : participatif ne signifie pas "fournisseur d'idées" seulement, mais codécideur.

Avoir le pouvoir est une expression malsaine. Le pouvoir ne se possède pas. C'est l'exercice d'une capacité à intervenir dans les affaires publiques. Ce n'est pas un métier, une spécialité réservée! C'est une responsabilité à assumer ensemble, du moins dans une société démocratique. Si nous en sommes loin, il n'en résulte pas que ce soit hors de portée dans ce monde complexe où le besoin de mobiliser toutes les énergies, tous les savoirs et toutes les recherches créatives est apparu comme une condition de survie pour l'humanité.

Le "pouvoir sur" est devenu caricatural. Les mythologies des pouvoirs civils ou religieux, leurs cérémonies, ne "collent plus" au réel. Les efforts grottesques pour redonner force à des valeurs éteintes ne peuvent que retarder une évolution ou une révolution culturelle fondamentale : le temps de l'action politique confiée exclusivement à des chefs désignés ou élus est dépassé. Apprendre à gouverner ensemble commence. D'immenses résistances vont se manifester. Elles n'empêcheront pas les hommes d'en savoir toujours plus et de se refuser, de plus en plus souvent, à confier leur sort à ceux qui ont placé leur désir d'avoir le pouvoir sur avant celui d'exercer le pouvoir pour...

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En finir avec la monarchie républicaine

jeudi 7 mai 2009

Donner sens et positivité à la décroissance

Absent tout le mois d'avril, j'ai redécouvert, en Hongrie (au creux des difficultés économiques en Europe) et au Burkina-Faso (toujours en proie au néo-colonialisme économique) que, si le monde va mal, l'occident capitaliste n'y est pas pour rien. Les recettes productivistes des temps prétendument communistes ayant révélé la même nocivité, pour les humbles de la planète, je reviens bien décidé à contribuer à contribuer à déciller les yeux de ceux que j'approche. Pour cela, donner sens et positivité à la décroissance m'apparaît urgent.



La décroissance est un mot inventé pour révéler la nocivité de la croissance, mot-tabou qui est devenu une addiction, un dogme quasi religieux auquel toutes les politiques se réfèrent, sans discussion, depuis des décennies.
Faisant partie des mots à connotation négative, le mot décroissance n'est pas satisfaisant. Comme la non-violence, autre vocable à connotation négative, la décroissance est le refus d'un mal qu'on fait passer pour une nécessité. Oui, refus d'un mal? Si moins par moins égale plus, dire non peut s'avérer la voie du salut, mais cela n'apparaît pas d'emblée, dans l'opinion construite par les médias.

En effet, la décroissance porte, en elle, l'ambiguïté fondamentale que contient le mot croissance lui-même! Croître ou ne pas croître, est-ce bien la question? On commence, certes, à admettre que, dans un monde limité, on ne peut continuer à produire toujours plus. Mais la décroissance reste décriée parce qu'on l'assimile au recul, à la régression, à la perte de moyens de vivre, alors qu'elle signifie freins serrés sur le productivisme, choix des productions en fonction des besoins, partage des moyens de vivre à l'ensemble des hommes.

Les décroissants sont les non-violents de l'économie. La formule gandhienne « vivons simplement pour que les autres puissent simplement vivre » était déjà pertinente dans les années 1930-1940, elle est devenue, avec sept milliards d'humains sur Terre, bientôt neuf ou dix à mi-siècle, une exigence politique incontournable, et c'est ce que la décroissance a comme contenu principal : vivons simplement. La sobriété n'est pas l'austérité. Une vie modeste n'est pas une vie misérable; ce qui doit décroître, c'est l'excès et le superflu, ce n'est pas l'indispensable et moins encore le vital.


Bien entendu, les économies du monde s'étant installées dans une opulence qui ne profite qu'à une minorité, large mais ne représentant pas même le tiers de la population terrestre, sortir de ce contexte social et mondial ne s'effectuera pas de lui-même. La croissance des richesses réservées aux nantis et la croissance de fausses richesses livrées à la consommation constituent la dynamique de l'activité organisée autour du salariat. Mettre fin à ce système, fut-il déjà mal en point, ne se fera pas sans souffrances. Trop d'intérêts sont en jeu. On l'aura compris, la décroissance est incompatible avec le capitalisme et c'est la raison première pour laquelle elle est si vigoureusement combattue. Elle contient un concept d'égalité que les tenants de l'économie libérale ont mis longtemps à réduire, à ridiculiser au nom de théories « naturelles » selon lesquelles les besoins d'hommes inégaux ne sauraient être égaux! L'immensité de l'écart entre les revenus (qui avait été ramené à des proportions moins choquantes après la seconde Guerre mondiale) est devenue tellement aberrante qu'elle brise l'unité sociale et sépare les citoyens en les faisant vivre sur des planètes différentes.

Ce que les marxistes contestaient : le vol d'une partie du travail salarié au profit des détenteurs du capital, n'a pas disparu, mais la nouveauté, c'est que le plein emploi n'est plus nécessaire depuis que la production peut augmenter de façon vertigineuse en diminuant toujours plus le nombre d'heures travaillées. Le chômage est structurel. L'idée dominante : croissance égale emplois; emplois égalent revenus, ne résiste pas à cette nouvelle évidence jaillie, de façon expérimentale, en contradiction à la formule de Sarkozy : travailler plus ne garantit pas de gagner plus! Croissance ou pas croissance, si l'activité humaine était réduite à l'emploi, nous connaîtrions la famine.

Les objecteurs de croissance sont donc des précurseurs qui ne comptent plus sur les productivismes, défendus à gauche comme à droite, et qui laissent à penser que seul vaut le travail salarié! De même les revenus doivent-ils être dissociés de ces emplois non garantis qui permettent à certains de vivre, mais désormais sans certitude de durabilité des ressources. Le travail est beaucoup plus que l'emploi et les revenus sont à fournir à tout vivant par la société des hommes en activité. Nous sommes très loin encore de cette organisation sociale où la valeur d'un homme ne se mesure pas à la considération que lui accorde un employeur. La revalorisation du travail libre, utile, permanent, lié à la vie quotidienne, viendra de sa démarchandisation (nouveau mot à connotation négative), car nous avons épuisé le modèle de la mise en marché de tout le vivant, et ce même s'il faut encore des décennies pour y échapper effectivement.

L'écologie qui peut fort bien signifier économie logique, soin de la grande maison humaine que nous habitons tous, et qui déborde de partout la simple idée de défense de l'environnement, était, dans les années 1970 associée à la décroissance. L'année 1968 est fréquemment associée à un joyeux remue-ménage étudiant et ouvrier, mais il est aussi possible d'associer cette année là à la création du Club de Rome. Au moment de sa création, il regroupait une poignée d'hommes, occupant des postes relativement importants dans leurs pays respectifs et qui souhaitaient que la recherche s'empare du problème de l'évolution du monde pris dans sa globalité pour tenter de cerner les limites de la croissance. Ce n'est pas en 1968 que paraît le fameux "rapport", mais quelques années plus tard, en 1972, et ce ne sont pas les membres du Club de Rome qui l'ont rédigé, mais une équipe de chercheurs du Massachussetts Institute of Technology (ou MIT) suite à la demande du Club de Rome. Il serait donc plus juste d'appeller le document couramment désigné sous le nom de "Rapport du Club de Rome" par son vrai nom : le rapport Meadows & al. (du nom du directeur de l'équipe de recherche Dennis Meadows).

Les mathématiques nous disent que, dans un monde fini, toute consommation de ressources non renouvelables tendra (en moyenne) vers zéro avec le temps, que cela nous plaise ou non ! En d'autres termes, pour toute consommation de ressources non renouvelables, nous n'avons le choix qu'entre provoquer nous-mêmes la décroissance pour disposer, certes à un niveau réduit, de la ressource le plus longtemps possible, ou attendre que la décroissance survienne toute seule.
La question de savoir si il faut limiter ou stopper la croissance pour éviter l'issue finale se pose de manière légitime : point d'idéologie là-dedans. La seule ambition du rapport Meadows (1), finalement, a été de tenter de comprendre quel pourrait être l'enchaînement des évènements qui se produirait si nous ne prenions aucune mesure préventive, à quel horizon de temps ces évènements pourraient survenir, et si des choix donnés au niveau mondial permettaient de se prémunir de la chute finale ou de la repousser très loin. Voilà la question qui demeure et même devient d'une pertinence particulière, quarante années après, une fois perdues ces quatre précieuses décennies!

C'est sous cet éclairage scientifique, qu'a remis en lumière le GIEC (2), qu'il faut examiner la décroissance: elle n'est plus un choix de vie; elle est une contrainte économique et ce n'est pas parce que cette contrainte est niée ou négligée qu'elle ne s'imposera pas.
Vivre dans l'inconscience, comme les autruches, (la tête cachée dans le sable), ou vivre dans l'irresponsabilité, comme ce roi qui se moquait bien de ce qui viendrait après lui ("après moi le déluge"), c'est très exactement le comportement auquel nous invitent les gouvernants, les médias et les organisations économiques qui ne changent ni de langage ni de pratique en attendant « la fin de la crise »! Cette cécité voulue est criminelle.

À la nécessité d'une décroissance (bien comprise!) est venue s'ajouter l'urgence d'une désobéissance (civique et non-violente). L'absence de propositions économiques et politiques crédibles de la part des leaders de toutes obédiences contraint de commencer à vivre autrement, à partir de repères nouveaux, peut-être à tâtons, dans un premier temps, mais sans attendre. Il n'est pas grandiloquent de dire qu'il y va de la survie de l'espèce humaine.



(1) Sur le contenu du rapport Meadows lire : http://www.manicore.com/documentation/club_rome.html (2) Sur les travaux du GIEC lire : http://www.manicore.com/documentation/serre/GIEC.html Le GIEC (Groupe d'Experts Intergouvernemental sur l'Evolution du Climat) est une organisation qui a été mise en place en 1988, à la demande du G7 (groupe des 7 pays les plus riches : USA, Japon, Allemagne, France, Grande Bretagne, Canada, Italie), par l'Organisation Météorologique Mondial et par le Programme pour l'Environnement des Nations Unies.

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