lundi 6 juin 2011

Du caritatif au politique

Il est facile de rappeler que le politique sans contact avec le réel perd toute crédibilité et que le charitable, ou l'humanitaire, sans perspective politique enferme les acteurs dans une bienveillance qui ne suffit pas à changer les causes de l'injustice.


Mais de quelle charité humanitaire et de quelle politique parle-t-on ?


Dans sa revue Faim & Soif, ("la voix des hommes sans voix"), l'abbé Pierre, dès la fin des années 1950, insistait sur cette évidence (je cite en substance) : "qui se contente de relever celui qui est tombé, sans enlever la peau de banane qui est la cause de la chutet, est un inconscient ; mais qui supprimerait cette cause, sans porter secours à celui qui est blessé, à terre, est inhumain ! ". Nul ne peut lutter contre le malheur sans en combattre la cause, sinon il s'use en vain.

Faim & Soif n°15 La voix des hommes sans voix 1956


La charité est l'acte du Bon Samaritain ou de Saint Martin de Tours. Le premier se détourne de son chemin pour se porter au secours de la victime d'une agression ; le second partage son propre manteau pour couvrir un homme mourant de froid. La réponse immédiate à la souffrance fait partie du partage de la condition humaine et celui qui s'y soustrait est complice du malheur car il ajoute la violence de son refus d'agir à la cause violente de la détresse. Toute autre conception de la charité est un soutien douceâtre qui donne l'illusion d'aimer autrui mais qui ne retient du mot prochain que le radical "proche". Et de quelle proximité s'agit-il alors ? De ce qui m'intéresse et peut servir, soit à mon salut, soit à ma bonne conscience. Je refuse, évidemment, cet erzats de charité.



La politique est l'acte par lequel tout citoyen apporte son concours à la meilleure organisation de la vie en société, dans la cité (du grec polis). La recherche des causes de la souffrance, de leur prévention, et des moyens de pallier l'injustice, passe par le partage entre tous les humains. En d'autres termes, donner un contenu effectif à la devise républicaine française (liberté, égalité, fraternité) est un impératif absolu. Toute autre conception de la politique n'est qu'une appropriation du pouvoir d'agir par des personnages qui ont confondu la puissance et le service, lequel service se détourne alors du bien commun pour n'être plus que la satisfaction d'intérêts particuliers.

Cette vieille distinction entre l'acte charitable et l'acte politique a pu permettre à certains de confiner la bonté dans l'espace de la pauvreté afin de se réserver l'espace global, là où se prennent les décisions pourtant susceptibles de réduire ou d'éradiquer cette pauvreté.

L'idée dominante est encore, aujourd'hui, que les responsables doivent surmonter leur générosité si c'est l'intérêt du pays. Un tel sophisme, qui a traversé les siècles, fonde l'emploi de la violence soit disant pour le bien de tous. On sait mieux, à présent, que la source des maux, voire la cause des guerres, se situe très en amont des événements tragiques et que ce n'est pas quand tout se noue dans un conflit que l'on peut éviter l'éruption de catastrophes faites de mains d'hommes et annoncées parfois depuis des décennies.



La " sainteté" (je n'aime guère ce vocable laudateur !) de François d'Assise, Vincent de Paul ou Henri Dunant ne s'oppose pas à celle de Martin Luther King, Gandhi ou Mandela, pour ne citer que des noms d'universelle renommée. François d'Assise a tenté de s'opposer à une croisade, Vincent de Paul a lutté contre les guerres de religion, Henri Dunant ne se contentait pas de secourir les blessés sur les champs de bataille ! Martin Luther King a lutté pour la citoyenneté des Noirs américain, Gandhi a grandement contribué à l'indépendance de l'Inde, Mandela a vaincu l'apartheid en Afrique du sud. L'action humanitaire et l'action politique sont, chez de tels hommes, comme l'envers et l'endroit d'une même médaille.



C'est le rejet du politique qui a conduit des chrétiens à l'acceptation résignée de l'inégalité. C'est le rejet a priori de la charité qui durcit le comportement de militants politiques au point de leur faire perdre toute humanité. Le temps est venu de reconnaître que la charité, la solidarité ou la fraternité ne sont ni mièvres ni inefficaces quand elles entrent dans le champ du débat public qui peut être fort éloigné de tout esprit partisan et politicien. Le temps est venu aussi, en même temps, de chasser la violence d'État des concepts politiques indiscutés ! La justice, le partage, l'égalité ne sont pas des "gros mots" ou des concepts inconsistants tout juste bons à rassurer les naïfs. Il est temps de donner et il ne s'agit pas du don d'une obole ou d'une donation à des organisations qui suppléent le comportement de plus en plus pingre des États ! Il s'agit d'oser la solidarité et la révolution non-violente qui renversent l'ordre établi des valeurs désuètes.

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