samedi 9 avril 2011

Ne nous reste-t-il que la désobéissance civile ?


Le 27 février 1997, lors d'une interview, Jacques Sémelin, qui vient de publier Résistance civile et totalitarisme, avait posé quelques repères permettant de circuler entre des concepts qui deviennent aujourd'hui, opératoires. (Résistance Civile et Totalitarisme, André Versaille, Bruxelles, 2011, (ISBN 978-2-8749-5127-5)


- L'Express
: Quelle différence entre désobéissance civique et désobéissance civile?
- Jacques Semelin : Remarquons d'abord que cette question fait irruption dans le vocabulaire politique français, et que ce n'est pas anodin. Pour ma part, j'introduis une distinction entre les deux concepts. La désobéissance civique renvoie à la seule citoyenneté. C'est un appel de citoyens qui s'adressent à d'autres citoyens pour refuser telle ou telle loi qu'ils considèrent comme injuste. La désobéissance civile ajoute au civisme la notion de civilité: il s'agit bien de désobéir collectivement, mais dans le respect d'autrui. L'aspect pacifique, non violent, qui est alors en jeu exclut donc les formes de désobéissance à la loi qui portent atteinte à l'autre. Comme le font, par exemple, les commandos anti-IVG aux Etats-Unis et même en France. Le principe du combat non violent est essentiel chez les précurseurs de cette pratique, y compris dans les démocraties. Je pense notamment à la figure emblématique de Martin Luther King.

- En général, une telle démarche s'exerce contre un pouvoir totalitaire. Dans quelles conditions se justifie-t-elle en démocratie?
- Tout dépend très précisément de la définition que l'on donne de la démocratie. Si l'on considère que c'est un système reposant exclusivement sur le vote majoritaire de la loi, laquelle s'applique à tous, alors, la désobéissance civile semble illégitime. Si la démocratie est prise en un sens plus large englobant d'autres critères, comme les droits de l'homme et la protection des minorités, elle autorise la désobéissance civile pour peu que la loi paraisse injuste au regard de ces critères. Les signataires des pétitions ont plus ou moins consciemment choisi cette seconde définition.

- N'est-ce pas là un symptôme supplémentaire de l'évolution de la société française vers un certain communautarisme?
- Difficile de faire un diagnostic sur une situation quand on a le nez dedans! Peut-être y a-t-il en effet un glissement de notre république vers une démocratie à l'anglo-saxonne - la désobéissance civile est d'ailleurs née avec Henry David Thoreau, au xixe siècle, aux Etats-Unis. Ce qui est certain, en tout cas, c'est que cela traduit toujours une crise importante de légitimité entre les institutions et une partie de l'opinion. En outre, un mouvement de ce genre suppose toujours, là encore, une affirmation identitaire de ceux qui se dressent.

Extrait de : http://www.lexpress.fr/informations/la-desobeissance-civique-est-elle-legitime_621117.html

Jacques Sémelin

Jacques Sémelin, qui devient aveugle actuellement, est un écrivain de la non-violence qui travaille, depuis longtemps, sur l'efficacité de ceux qui sont sans armes mais qui possèdent la force, unie, de leurs certitudes. Ce qu'il vit en sa chair ne fait que le conforter dans cette conviction que, par la seule force de la pensée et de son expression publique inépuisable, il est possible d'affronter la brutalité des totalitarismes. Se penser impuissant face à l'injustice est, pour lui, déjà donner la victoire au tyran.

Ses travaux rencontrent, aujourd'hui, une situation internationale où, des hommes et des femmes, aux mains nues, ont affronté et vaincu des pouvoirs violents. L'affrontement de la non-violence et de la violence ne se limite pas à l'opposition entre la lutte de rebelles sans violence et la répression des polices ou des armées, dotées de lourds et efficaces matériels, pouvant donner la mort ! Il n'y aurait, sinon, d'autre issue possible aux conflits que l'écrasement des révoltés, dans le sang !

Cette pensée d'actualité nous est précieuse au moment où se posent d'inattendues questions ! La France est-elle encore une démocratie ? Est-elle entrée dans un néo-totalitarisme ? Quelle est la nature de cette forme bien particulière de domination du pays par une oligarchie solidement implantée dans des appareils médiatiques ?

Mais, à l'extérieur de notre pays, que signifie l'intervention militaire de la France en trois lieux à la fois : l'Afghanistan, la Lybie et la Cote d'Ivoire ? (Sans compter sa participation à des forces internationales qui, sous couvert de l'ONU, continuent d'occuper des États fragiles, comme au Kosovo, par exemple...). Cette attitude de puissance n'est le fait que de quelques États, hier dominants au long de l'histoire (depuis les "Grandes découvertes" jusqu'à la colonisation massive en passant par l'esclavage transatlantique) et qui demeurent, au sein du Conseil de sécurité, détenteurs d'une place et d'un rôle qui en font encore, - on se demande pourquoi -, des gendarmes du monde.


Le dictateur n'est pas qu'un clown : c'est celui qui se veut ou se croit maître du monde.

On notera qu'est fort sélectif l'argument de la protection des populations asservies ou gravement menacées qui autorise à des frappes militaires importantes ! Face à des situations effroyables en Syrie, actuellement, en Arabie saoudite, nid de l'islamisme violent, au Yémen, à Barhein, on ne bronche pas. Pire, en même temps qu'on geint sur le sort des habitants de Benghazi, on repousse 20 000 Tunisiens débarqués en Italie et voulant s'établir en Europe, tandis que la Tunisie reçoit 250 000 Lybiens qui fuient leur pays soumis à la furie d'un dictateur en perdition.

Que ce soit dans les limites strictes de l'État français ou au niveau de l'Afrique noire ou blanche, (là où se jouent des intérêts économiques colossaux), le gouvernement met en œuvre des politiques brutales, plus ou moins habilement motivées, et qui révèlent une conception très "occidentale" de l'étranger, immigré ou non. Et, bien sûr, au nom de Droits de l'homme...

Le Parlement ne débat pas ou s'aligne. L'opinion est médusée, ne sachant que penser. Ne nous resterait-il que la désobéissance civile ? L'émergence du concept en dit long sur l'exaspération des plus lucides des citoyens. Et bien, puisqu'il en est ainsi, que s'assemblent les refusants ! Nous ne saurions attendre des échéances électorales (du reste incertaines par ces temps de manipulations de l'opinion), pour affirmer notre volonté de désobéissance à un ordre semeur de désordre, à une autorité sans fondement, à un pouvoir sans soutien populaire et à une conception des relations entre les hommes essentiellement fondée sur la violence d'État ? Nous voici engagés dans la voie de l'Homme révolté et il ne nous reste que l'urgence de secouer La servitude volontaire.



Je reviendrai sur cette nécessité d'entrer dans la désobéissance (et d'y rester!), car il ne s'agit pas d'une attitude systématique ou opportuniste, il ne s'agit pas de désobéir par dépit ou antipathie, il ne s'agit même pas de désobéir constamment, il s'agit d'être un vigile démocratique qui ne supporte pas l'insupportable et ne ne soumet pas avant d'être convaincu de la nécessité de faire ou de laisser faire. L'impératif de la désobéissance, comme le souligne Jean-Marie Muller, est une conséquence de l'obéissance "conditionnelle" qu'on retrouve dans les écrits de John Locke dès le XVIIème siècle.

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