dimanche 13 mai 2012

Croissance et lenteur


On ne va pas contre la mode. Or, la croissance est, tout à la fois, mode et culte.

Une mode verbale ?  Pas un discours où il ne soit question de "relancer la croissance", de "pacte de croissance", de "fruits de la croissance" ou de "libération de la croissance"... Bref, sans croissance, rien ne serait possible. Les succès ou les échecs s'expliqueraient par la chance ou la malchance de ceux qui héritent d'un taux de croissance faible ou élevé. Lionel Jospin avait gouverné en période de croissance tandis que Nicolas Sarkozy a rencontré une croissance "molle" puis quasi nulle...

Laissons de côté, pour une fois, la critique des partisans de la décroissance qui, même si elle est, intellectuellement fondée, ne résiste pas à la doxa économiste qui veut qu'il faut croire à ce qu'on fait et donc rechercher comment produire plus pour que l'activité économique dope l'emploi.

Car l'action politique ne consiste pas seulement à avoir raison. Encore faut-il convaincre. Or, dire aux Français, aux Européens aux occidentaux en général ainsi qu'aux peuples qui ont été conquis par la doctrine capitaliste occidentale que la croissance ne sera plus au rendez-vous est impossible et impensable.

En 2007, celui qui allait devenir Président de la république française avait gagné la bataille des idées avec une fausse évidence : "on peut gagner plus en travaillant plus". Aujourd'hui, on avance une idée voisine : "on peut échapper à l'austérité en relançant la croissance". La seule différence entre les deux formules est que, il y a cinq ans, l'espoir de s'enrichir par l'effort avait rencontré un vrai succès, bien que passager, tandis qu'aujourd'hui, en 2012, les écailles sont tombées des yeux : il n'y a plus de travail pour tout le monde et la consommation des ménages, nourrie par les salaires, ne va pas s'accroître comme au cours des décennies passées.

Alors, on va tenter de faire ouvrir les bas de laine, on va rechercher dans l'épargne les revenus qui manquent pour dynamiser les ventes, mais cela aussi n'aura qu'un temps car les épargnants, prudents, ne vont pas mettre en péril leur avenir en vidant leurs comptes, en fragilisant leurs ultimes ressources.

La croissance est un culte, celui du Veau d'or. La Bible dit ce qu'il advint des Hébreux qui ont cédé à cette idole. Sortis d'Égypte, privés de la présence de Moïse, ils fondirent leurs bracelets et colliers d'or pour avoir un dieu qui expriment leur richesse. Cette croyance s'effondra dès que Moïse, descendu de la montagne, eut révélé l'imposture. Le culte de la croissance est une imposture.

Ou bien la croissance sera, à coup sûr, au rendez-vous de l'Europe et il faut cesser de jeter le doute sur la possibilité de "rebooster" l'activité économique, ou bien la croissance sera déclenchée si, et seulement si, les conditions économiques sont favorables et il faut bien alors parler d'incantation. Pour un peu, on brûlerait des cierges pour qu'enfin l'on constate le retour de la croissance, comme jadis le retour de la pluie après la procession. On veut non seulement produire plus mais aller vite. Il faut produire et consommer sans prendre le temps de choisir car on risquerait alors de renoncer à certaines productions ou d'abandonner des produits sans intérêt pour les humains. On mettrait ainsi la croissance en péril...  Penser et s'informer demande du temps. Tout est rassemblé pour interdire de changer de "logiciel", pour conduire à croire l'information mille fois répétée et tombant comme pluie sans qu'on puisse s'en mettre à l'abri !

Quel que soit le gouvernement, dans chacun des pays qui viennent d'organiser des élections, le même conditionnement politique conduit aux mêmes choix à quelques nuances près : il faut réduire et rembourser les dettes, cesser de vivre au-dessus de ses moyens et donc faire payer les citoyens en prélevant sur leurs revenus et leurs avantages sociaux. Nul n'explique la généalogie de ces dettes et nul ne cherche comment faire régresser l'écart abyssal entre les revenus. Bref la politique est soumise à l'économie et non l'inverse, ce que nous savons depuis des lustres.

La pression exercée par l'Union européenne sur la Grèce fait penser aux pressions exercées sur les États mal-votants qui avaient repoussé, par référendum, le traité de l'Union européenne (dont on voir bien, à présent, qu'il contenait l'obligation d'avoir à se soumettre à des principes libéraux dans lesquels les États membres s'engluent un par un).

Changer de logiciel signifie, en politique, deux choses : supprimer un formatage intellectuel qui interdit de penser l'avenir en dehors des normes toutes faites ; ralentir le rythmes de décisions qu'on s'usera à remettre en cause et qui ne fournissent que des réponses immédiates à des problématiques complexes.

La démocratie, décidément, s'autodétruit quand elle n'est plus qu'une machine à élire. Les exemples actuels sont multiples : de l'Algérie à la Russie, de la Syrie à l'Espagne, de la Grèce à ... la France ! Si la fin du sarkozisme est une chance, il ne faut pas un seul instant continuer de penser que tout dépend d'un Chef d'État. Si les peuples, avec sagesse et lenteur, ne réussissent pas à imposer leur loi qui n'est pas faite que des lois parlementaires, alors nous allons traverser une période tragique. Puissent les "indignés", ces vigiles témoins de la jeunesse du monde, peser sur les travaux politiques de ceux qui ont non pas à nous gouverner mais à gouverner avec nous.


Qui veut voyager loin ménage sa monture.

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