dimanche 17 juin 2012

Les marchands de doute (ou de canons) nous dirigent vers le gouffre.

Deux événements auront marqué le mois de juin 2012.           

1 - Rio + 20 est la plus importante conférence internationale ayant jamais eu lieu concernant l'avenir de la planète. Plus de 130 chefs d'État y étaient présents. 
Le diagnostic est fait : nos activités ont mis le monde entier en danger. Les décisions à prendre ne seront pas prises pour autant parce qu'elles bouleversent toutes nos fausses certitudes. 
Ainsi, la plupart des  économistes supposent que les changements sérieux sont si lointains qu’on pourrait les ignorer. Certains misent sur la capacité d’adaptation des gens : une nette augmentation du niveau des mers se réglerait, par exemple, par des migrations. La vérité, c’est que les migrations de masse se sont accompagnées historiquement de souffrances de masse. Enfin, il y a la croyance que la technologie peut résoudre tous les problèmes. Tout cela est faux. 


Lisons : Les marchands de doute de Naomi Oreskes et Erik Conway (éd. Le Pommier, 2012. Ce livre aborde plusieurs points comme la bataille du trou d’ozone, la lutte contre le tabagisme passif ou l’attaque révisionniste contre Rachel Carson, mais surtout, il démontre pourquoi et comment on nous ment en ce qui concerne le problème majeur du réchauffement climatique.


  
Naomi Oreskes, historienne, dans un gros livre de pages démonte tous les pièges des" climatosceptiques".

"Depuis cent cinquante ans, y lit-on, la civilisation industrielle s’est repue de l’énergie emmagasinée dans les combustibles fossiles et aujourd’hui on nous présente l’addition. Pourtant, nous prétendons que cette note n’est pas la nôtre. Il n’est pas surprenant que beaucoup d’entre nous soient dans le déni, il n’est pas étonnant que les marchands de doute aient du succès : ils nous ont fourni le prétexte pour ignorer la facture. Il est vrai que faire quelque chose implique des coûts, et si l’on n’est pas sûr que ces coûts soient compensés par des bénéfices futurs, la meilleure option est de ne rien faire ; tel est le résultat d’une analyse rationnelle. Il est vrai aussi que ceux qui ont le plus à gagner à laisser les choses en l’état mettent en avant la nécessité de douter. Toute preuve peut être contestée car on ne peut jamais prouver quelque chose à propos du futur. Cela relève cependant d’une vision erronée de la science".

2 - Les Grecs auront voté sans que leur sort puisse dépendre de leurs propres décisions !
Ou bien les informations qui suivent sont exactes et ne cherchons plus où sont les causes majeures de la crise de la Grèce puis de l'Europe. Ou bien elles sont fausses et ceux qui les ont fournies devraient être traduits devant les tribunaux comme propagateurs de fausses nouvelles. Mais, hélas, il n'y a guère à craindre que cela soit faux. Contentons-nous, ici, de les reproduire !
 En Europe, la Grèce,  est certes un pays endetté.  Le remboursement de cette dette ouvre un juste débat national, un audit citoyen, comme dans d’autres pays : les intérêts des peuples ne sont pas ceux de l’oligarchie. Entre la question de la création monétaire et celle des taux d’intérêts, nous voyons vite que la « gouvernance » européenne actuelle penche du côté des banques commerciales. Il est même question de mettre le peuple indocile sous « tutelle » !
Mais ce pays endetté est  aussi  surarmé,  les médias dominants ne le disent jamais. Petit pays de 11,3 millions d’habitants, la Grèce est pourtant le 4ème importateur mondial d’armement. Les dépenses militaires grecques sont en pleine « explosion » et sont passées de 1,34 milliards d’euros en 1988  à 7, 39 milliards d’euros en 2009 ! Vive la croissance ! En quatre ans seulement (2005-2009), ces dépenses ont augmenté d’un tiers, passant de 5,4 milliards à 7,3 milliards d’euros. Curieusement, le « pouvoir d’achat en armement » donné à la Grèce tient à des concours financiers de banques de mêmes nationalités que les industriels fournisseurs d’armement (USA, Allemagne, France). La Grèce a acheté à la France des missiles, des blindés, des navires de surface, des mirages 2000 (1,6 milliards d’euros). L’Allemagne a vendu à la Grèce six sous marins pour 4,8 milliards d’euros ! Nous comprenons là pourquoi les critiques allemandes à la Grèce montent en puissance à partir du moment où les marchands de canons allemands font face à des impayés. Les aides financières et le soutien français à la Grèce sont conditionnés par l’achat par ce pays de frégates, hélicoptères de combat, …
Nous pouvons clairement affirmer que le malheur du peuple grec fait le bonheur des marchands de canon allemands, américains et français. Face à l’endettement, les gouvernements grecs ont appliqué des plans de rigueur au peuple grec. Incapable de supporter une division par deux de leurs revenus, des centaines de grecs mettent fin à leur jours. Voilà, en Europe,  les premières victimes des Dassault, Lagardère, Siemens et des banques  qui profitent de la « crise de la dette ».
 

Connue pour son important budget militaire - entre 3 et 4 % du PIB ces dix dernières années, selon le Guardian -, la Grèce est, au sein de l'OTAN, seulement dépassée par les Etats-Unis en termes de parts du PIB national consacré à la défense. Elle est le pays de l'UE qui consacre la plus grande part de son PIB à l'achat d'armes.
Entre 2004 et 2008, elle était le cinquième acheteur dans le monde. Mais, restrictions budgétaires obligent, le pays a réduit de 20 % son budget de défense entre 2010 et 2011, passant sous la barre des 5 milliards d'euros.

lundi 11 juin 2012

Pas de parti pour l'écologie

Plusieurs approches justifient qu'on puisse penser qu'il n'est pas de parti pour l'écologie.

La première, très générale, consiste à affirmer que la politique est chose trop sérieuse pour la confier aux partis politiques. L'écologie, axe ou centre de toute politique, pour quiconque voit et comprend, autant qu'il le peut, la réalité du monde, n'a pas besoin, par conséquent, de parti.

La seconde approche, plus politicienne, consiste à constater que, depuis 1974, à part quelques poussées à l'occasion d'élections européennes ou régionales, aucun parti "vert" n'a jamais pu, en France, peser suffisamment face aux partis traditionnels et surtout au PS. Les élections parlementaires, au Sénat comme à l'Assemblée nationale, et a fortiori les élections présidentielles, n'ont jamais pu donner une place utile à un parti se réclamant de l'écologie qui, dès lors, n'avait plus d'autre raison d'être que de témoigner.

La troisième approche consiste à considérer que le mode de scrutin, les institutions monarchistes de la Ve République, bloquent tout accès des écologistes à des responsabilités politiques majeures. Le déficit flagrant de démocratie, en France, use, inexorablement tout parti qui voudrait échapper au bipartisme : PS ou UMP et, notamment, le parti Vert, appelé à présent EELV, qui ne pourra jamais, quoi qu'il en ait dit, "faire de la politique autrement".

La quatrième approche est la plus délicate : il conviendrait à tous les partis traditionnels que l'écologie échappe à la politique ou soit récupérable par chacun d'eux. "Pas de parti pour l'écologie" est une formule qui ravirait les professionnels de la politique si... cette écologie n'était, désormais, non seulement présente dans tous les partis, mais au cœur de toute la société parce qu'elle en est devenue la principale constituante.

La cinquième approche, enfin,  est celle de Simone Weil administrant la preuve que tout parti est "une machine à excommunier", autrement dit un outil de fragmentation et non d'unification de la vie citoyenne. Selon elle, les partis confisquent la politique et en limitent l'accès. L'écologie qui couvre la totalité de la vie commune ne saurait, alors, avoir sa place dans les limites souvent sectaires d'un parti.

Ces cinq approches débouchent sur la même conclusion : on peut mettre l'écologie à la porte des partis et des parlements, elle rentre par les fenêtres de la société tout entière. Les écologistes n'auront pu enfermer l'écologie dans un parti, mais les adversaires de l'écologie n'auront pu, davantage, l'enfermer dans la prison des idéologies utopiques. L'écologie c'est l'organisation pratique, au quotidien, de nos vies, à tous les niveaux individuels et collectifs,  du local au global, dans le respect maximal de tous les équilibres naturels.



Plus encore : l'écologie est indissociable désormais de l'économie. Non que "l'économie verte" ou "le développement durable" ait le moindre avenir (ces expressions sont confuses et ambiguës) mais la gestion des affaires du monde devient tout simplement impensable si l'on oublie, si l'on minimise, ou si l'on écarte les pré-occupations dont dépend le devenir même de l'espèce humaine.

Alors, à bas les partis et vive la politique : s'il n'est pas de parti pour l'écologie, il n'est pas de politique sans écologie.

samedi 9 juin 2012

Finance du XXIe siècle : folie ou horreur ?

Chaque vendredi, une émission d'antenne 2, animée par Élise Lucet, propose, en fin de soirée (à 22h.45) : Cash Investigation, autrement dit l'étude d'un sujet très sensible touchant à la manipulation de l'information des consommateurs.

Le 8 juin 2012, il s'est agi de présenter (c'est le titre de l'émission) La finance folle, celle des speed traders. Les traders en chair et en os ne sont plus absolument nécessaires. Avec le High frequency trading, on peut, en utilisant les savoirs de mathématiciens de haut niveau, construire des algorythmes qui permettent, à la nano-seconde près, d'effectuer des opérations boursières massives et qui vont, d'un bout du monde à l'autre, peser sur les marchés de la finance ou sur les pratiques de la finance de marché (à vous de choisir l'expression qui convient...).

Ne croyons pas que ce monde n'est pas le nôtre ! C'est avec l'argent des contribuables que des banques spéculent, dans des conditions qui échappent à presque tous les contrôles.  Il n'existe actuellement aucune réglementation qui puisse maîtriser cette "finance folle". Des machines surpuissantes, hors de contrôle, agissent sur les Bourses en multipliant, à des vitesses débordant les capacités de tout esprit humain, des informations innombrables qui modifient les jugements des décideurs. Il s'agit non seulement d'une folie mais d'une forme très savante de délinquance qu'aucun gendarme ne pourra jamais traquer.

De tels "progrès",  fondés sur la libération de l'intelligence mathématique, qui n'a plus aucun frein éthique, donnent à penser que le développement de la civilisation ne peut plus aller plus avant sans passer par une régression minimale ! La quasi totalité des hommes de ce siècle voient passer un train dans lequel ils ne monteront jamais. Ce train, c'est pourtant celui de leur histoire, de notre histoire. Nous sommes vécus. S'il n'est aucune gare où arrêter ce bolide, où examiner le contenu du train et de sa tractrice, nous ne comprendrons bientôt plus ce qui nous arrive. 

Aucune décision politique, aucune analyse philosophique ne seraient bientôt plus utiles. Les maîtres du monde nous soumettent à un nouveau Big Brother qui n'est même plus l'outil monstrueux que dirigent des hommes, les plus puissants. C'est une machine autonome qui n'a plus besoin des hommes et dont on attend, simplement, qu'en plus de son action de domination absolue des finances internationales, elle soit assez efficace pour distribuer de très riches prébendes à ceux qui la servent.

Le capitalisme est au sommet de sa gloire. Il peut  fonctionner sans capitalistes. Il est devenu le mode d'être et de penser banalisé. Ceux qui le condamnent peuvent lui être asservis sans s'en rendre compte. La finance moderne n'est pas seulement devenue folle (c'est-à-dire hors contrôle) comme le décrit l'émission (courageuse !) qui vient d'être vue par quelques milliers de téléspectateurs, cette finance nous fait atteindre le comble de l'horreur dès lors que tout objectif démocratique est annihilé à cause de la vitesse inhumaine à laquelle se prennent les décisions relatives au financement de l'économie.


Les nanotechnologies, dont on ne veut voir que les apports, démontrent, ici, dans le domaine bancaire, que la civilisation peut échapper à la pensée humaine. Ou, plus exactement, en même même que l'écart entre les revenus se creuse comme un gouffre et n'a plus aucun fond, aucune limite, l'écart entre les connaissances des élites et celles des masses est devenu béant, impossible à combler, en dépit (ou à cause) de la diffusion exponentielle des savoirs par internet. Ce sera bientôt, du reste, le plus grand défi lancé aux formateurs : l'école n'est plus le moyen de comprendre le monde pour pouvoir y vivre ; elle va devoir se transformer pour entrer dans le processus permanent de formation de tous, tout le temps. Nous devrons, sinon, nous en remettre aux "mégamachines" intelligentes, créées pour abêtir la majorité des humains et les transformer en fourmis, ou en termites, dans des sociétés ayant cessé d'avoir un destin qui leur soit propre.

Nous voici en guerre : la guerre des financiers partis, comme aux temps des conquêtes territoriales ou coloniales, à l'assaut des lieux de pouvoir et d'enrichissement. Le malheur est que nous sommes, à notre insu évidemment, déjà plongés dans cette guerre laquelle, parce que productrice de misère, ne peut que nous conduire à de nouvelles guerres, cette fois physiques.


À cela, une seule réponse : développer la libre conscience de ce qui se passe et la transformation de l'action des indignés, de  partielle qu'elle est, en une action plus globale. Tous les concernés ont à dire ceci : non, nous ne voulons pas que l'intelligence humaine, confisquée comme un objet par les riches, servent à exploiter les "99%" des humains qui sont nos semblables. Ce serait, sinon, avant même la disparition de l'espèce humaine (toujours possible par notre propre faute !), la fin des temps historiques, ceux que peuvent vivre des hommes qu'on peut encore appeler hommes.

lundi 21 mai 2012

De la croissance économique à la croissance politique.

 

Les discours enflammés sur la croissance ne serviront à rien. La croissance ne se décrète pas. On ne fait pas pousser les branches de nos arbres au cœur de l'hiver. Or, nous sommes en hiver. Il en est des sociétés humaines comme de la nature : il y a une période où l'eau et le soleil font monter la sève mais il en est une autre où le repos et la moindre activité s'imposent.

"Bien entendu, disait De Gaulle1, on peut sauter sur sa chaise comme un cabri en disant l'Europe ! l'Europe ! l'Europe !... mais cela n'aboutit à rien et cela ne signifie rien". L'Europe est aujourd'hui à la peine et ce n'est pas la croissance qui la sauvera car «  on peut sauter sur sa chaise comme un cabri en disant croissance, croissance, croissance... mais cela n'aboutit à rien et cela ne signifie rien ».

Il est des réalités que les dirigeants occidentaux ne veulent pas voir parce qu'elles les affolent et mettent en question leurs certitudes économiques les mieux installées. Non seulement notre planète a des limites et l'on n'y peut pas produire toujours plus de biens et de services, mais nos ressources, au rythme où nous les exploitons, s'épuisent et nous franchissons, actuellement, et le « pic oil » et le « pic all ». Il nous faut repenser notre action économique en fonction de ce que la nature nous offre et renouvelle constamment, sans gâchis et sans pillage. En dépend la vie de sept, bientôt dix milliards d'humains.

Nous étions peu nombreux à affirmer que l'écologie, chassée de la campagne électorale par la porte, reviendrait vite par les fenêtres et s'imposerait dans nos tout proches débats. C'est fait. Et nous voici, comme citoyens très concernés, ne pouvant guère compter sur les écologistes patentés au sein de leur parti, enfermés dans leurs alliances et à l'affut de places qu'ils n'obtiendront que chichement. L'écologie politique n'est ni l'affaire du petit nombre des écologistes qui se brûlent les ailes chaque fois qu'ils s'approchent trop près de la flamme du pouvoir, ni du reste, de quelque parti politique que ce soit car elle n'est plus une partie de la politique mais la politique elle-même, tout entière, c'est-à-dire tout ce dont sont faites nos vies.

Eau, énergie, nourriture, transports, pollutions, démographie, climat, gestion des risques; etc..., tout devient enjeu écologique.

L'eau peut devenir cause de guerres là où elle viendrait à manquer ou causerait des épidémies au lieu d'assurer l'hygiène et la santé.

Les énergies aux multiples sources, sans lesquelles notre action est faible, ne peuvent plus seulement dépendre du charbon, du pétrole et de l'uranium et c'est pourquoi une longue action de « décarbonation » et d'exploitation des énergies renouvelables doit s'engager sous peine de laisser à notre déscendance une Terre ruinée et vide. Il y a urgence et la recherche technologique, notamment pour le développement des énergies solaire et géothermique, ne doit plus subir la priorité et donc le freinage des entreprises pétrolières et nucléaires.

La nourriture a cessé d'être prioritairement une marchandise le jour où il est apparu qu'on ne peut plus la laisser se dégrader et perdre dans nos greniers ou dans nos usines agricoles, bien qu'elle puisse être produite en quantité suffisante pour nourrir les milliards d'humains que nous sommes, à condition de ne plus imposer notre régime alimentaire exagérément carné au monde entier.

Les transports, trop liés au pétrole et à l'électricité, vont devoir être repensés et toute l'industrie du tourisme va s'en trouver bouleversée. En vingt ans, les hommes vont devoir réapprendre à utiliser des moyens de circulation qui ne fassent plus de la vitesse le facteur décisif de choix des véhicules de déplacement. Des transports en commun, moins gourmands en énergie, vont devoir être proposés et nous aurrons à nous y habituer.

Les pollutions, non pas les malpropretés et les souillures mais les atteintes à la santé, du fait de l'usage de produits sanitaires, d'engrais et de pesticides ravageurs pour les populations animales dont l'homme fait partie, ne peuvent plus être supportées. On connaît les effets cancérigènes ou mutilants de produits qu'on a utilisés sans vergogne dans les industries et dans l'agriculture. On ne viendra pas à bout de ces pratiques sans des luttes politiques intenses qui seront tout sauf paisibles.

La démographie qui commande toutes les actions humaines ne peut plus être considérée comme une science d'observation du donné humain. Elle est l'étude de toutes les causes qui génèrent des fluctuations parfois rapides et considérables dans les populations humaines. On ne comprend guère pourquoi ce n'est pas une discipline universitaire privilégiée qui engloberait la géographie, l'anthropologie avec leurs appendices économiques et sociaux. Il y va de la connaissance de la planète de plus en plus étroite où nous vivons sans pouvoir nous en échapper. La juxtaposition d'États-nations voulant décider de tout chez eux, dans ce contexte planétaire en pleine évolution, apparaît de plus en plus surannée. Vivre ensemble sur toute la Terre avec, à la mi-siècle, dix milliards peut-être d'humains vivants, puis, après une lente décrue dont nous savons seulement qu'elle comportera un vieillisement massif, est un enjeu sans équivalent dans l'histoire de l'humanité. Toute politique, évidemment, en dépend.

Le climat détermine nos acivités mais nos activités, en ce siècle, nous le savons à présent, ont fini par déterminer le climat. D'aucuns, qui se disent scientifiques, le nient et ne veulent pas le savoir, mais l'élévation des températures, la fonte des glaces, les manifestations brutales des intempéries se sont produites à un rythme jamais connu et donc sont de plus en plus difficiles à prévoir et contrôler. Pour réduire, ralentir, avant de pouvoir les arrêter, les effets de ces bouleversements climatiques, il faut agir tout de suite, tout en sachant qu'il faudra des décennies avant d'éloigner les risques majeurs qui pèsent sur nos civilisations. Les actuels « maîtres » de l'économie et des institutions politiques ne peuvent l'ignorer mais ils hésitent, tant sont lourdes les décisions à prendre, décalées dans leur temps d'exercice de leurs mandats, et qui, si elles ne sont pas annoncées, expliquées et partagées, seront très impopulaires.

Restent, précisément, la prévention des risques que connaissent des peuples entiers du fait des inondations, tsunamis, tornades, volcanisme, tellurisme, risques en partie naturels mais aussi alourdis par les choix économiques des hommes qui engendrent parfois des effets désastreux. Car les risques peuvent être dûs non seulement au déchaînement des forces que la nature libère, ils proviennent aussi de l'incapacité des producteurs humains à maîtriser leurs « créatures » en entrainant des ravages maritimes ou des pertes de contrôle de centrales nucléaires. Tchernobyl et Fukushima en auront fourni notamment les preuves mais sans, du reste, que cela ait suffi à convaincre ceux qui se sont engagés, de toute leur intelligence, dans des aventures passionnantes sans doute, mais qui les ont mués en apprentis sorciers.

Etc, enfin, car tout n'est pas dit... Il n'y a pas de compromis possible entre ceux pour qui la survie de l'humanité passe avant tout et ceux qui considèrent que les pires risques font inévitablement partie de notre histoire. Pour ceux qui parient sur l'utopie d'un monde plus pacifié, il n'y pas d'accord pensable avec ceux qui jugent que fait partie de la condition humaine la violence des guerres auxquelles nous auront échappé, depuis 1945, en Europe de l'ouest, mais nullement ailleurs, à l'est du micro-continent, en Yougoslavie, et en Tchétchénie, en particulier, mais aussi en maints pays d'Asie et d'Afrique. On est là devant la question philosophique par excellence qui donne leur sens aux politiques qui s'affrontent : ou bien, considérant l'histoire, on estime que l'homme est une menace permanente pour l'homme et un facteur de maux dont on ne peut que limiter la perversité, ou bien l'on s'engage dans la voie, jamais empruntée, de la paix en actes et de la justice mise en œuvre. Il n'y aurait là rien de plus révolutionnaire que ce que les philosophes du XVIIIe siècle avaient posé dans le champ des possibles avec les Droits de l'homme et du citoyen, l'abrogation des privilèges et la devise liberté, égalité, fraternité.

À ceci près : faire entrer l'utopie dans la réalité, faute de pouvoir prolonger l'histoire humaine dans le cadre des données actuelles, est un pari gigantesque qui, selon les mythes qui ont bâti notre pensée, est trop lourd et trop douloureux, pour les épaules d'Atlas portant toute la Terre, et les bras de Sisyphe remontant, sans fin, un rocher impossible à fixer au sommet de ses épreuves.

Il nous faut donc porter la planète et rendre possible l'impossible. La croissance est, à côté, une espérance d'autant plus ridicule qu'elle est vaine ! Et pourtant, nous n'avons plus le choix. Nous ne pouvons laisser les générations qui nous suivent s'installer sur un volcan, sauf à décréter que nous avons fait notre temps sur terre. Cette pensée peut se concevoir, individu par individu, et le suicide fait partie des choix qu'un être humain peut effectuer quand il considère que toute issue heureuse lui est enlevée. Il n'en est pas de même pour l'ensemble des sept milliards de personnes en qui la conscience a jailli.

Mieux vaut une folie rationnelle à la hauteur de notre dignité que le réalisme meurtrier dans lequel nous nous engluons, discours après discours, débat après débat, conférence après conférence. Redonner foi en nous-mêmes, petits usagers de la planète où nous sommes pour longtemps encore enfermés, est devenu l'obligation des obligations.

Le comble du comble est donc que nous voici condamnés à réussir ce qui jamais n'est advenu : non pas l'installation dans le Paradis terrestre, mais dans une citoyenneté planétaire effective et réussie, laquelle suppose un partage et une solidarité... croissantes.

Le 21 mai 2012

1 - Conférence de presse du 14 décembre 1965.

dimanche 13 mai 2012

Croissance et lenteur


On ne va pas contre la mode. Or, la croissance est, tout à la fois, mode et culte.

Une mode verbale ?  Pas un discours où il ne soit question de "relancer la croissance", de "pacte de croissance", de "fruits de la croissance" ou de "libération de la croissance"... Bref, sans croissance, rien ne serait possible. Les succès ou les échecs s'expliqueraient par la chance ou la malchance de ceux qui héritent d'un taux de croissance faible ou élevé. Lionel Jospin avait gouverné en période de croissance tandis que Nicolas Sarkozy a rencontré une croissance "molle" puis quasi nulle...

Laissons de côté, pour une fois, la critique des partisans de la décroissance qui, même si elle est, intellectuellement fondée, ne résiste pas à la doxa économiste qui veut qu'il faut croire à ce qu'on fait et donc rechercher comment produire plus pour que l'activité économique dope l'emploi.

Car l'action politique ne consiste pas seulement à avoir raison. Encore faut-il convaincre. Or, dire aux Français, aux Européens aux occidentaux en général ainsi qu'aux peuples qui ont été conquis par la doctrine capitaliste occidentale que la croissance ne sera plus au rendez-vous est impossible et impensable.

En 2007, celui qui allait devenir Président de la république française avait gagné la bataille des idées avec une fausse évidence : "on peut gagner plus en travaillant plus". Aujourd'hui, on avance une idée voisine : "on peut échapper à l'austérité en relançant la croissance". La seule différence entre les deux formules est que, il y a cinq ans, l'espoir de s'enrichir par l'effort avait rencontré un vrai succès, bien que passager, tandis qu'aujourd'hui, en 2012, les écailles sont tombées des yeux : il n'y a plus de travail pour tout le monde et la consommation des ménages, nourrie par les salaires, ne va pas s'accroître comme au cours des décennies passées.

Alors, on va tenter de faire ouvrir les bas de laine, on va rechercher dans l'épargne les revenus qui manquent pour dynamiser les ventes, mais cela aussi n'aura qu'un temps car les épargnants, prudents, ne vont pas mettre en péril leur avenir en vidant leurs comptes, en fragilisant leurs ultimes ressources.

La croissance est un culte, celui du Veau d'or. La Bible dit ce qu'il advint des Hébreux qui ont cédé à cette idole. Sortis d'Égypte, privés de la présence de Moïse, ils fondirent leurs bracelets et colliers d'or pour avoir un dieu qui expriment leur richesse. Cette croyance s'effondra dès que Moïse, descendu de la montagne, eut révélé l'imposture. Le culte de la croissance est une imposture.

Ou bien la croissance sera, à coup sûr, au rendez-vous de l'Europe et il faut cesser de jeter le doute sur la possibilité de "rebooster" l'activité économique, ou bien la croissance sera déclenchée si, et seulement si, les conditions économiques sont favorables et il faut bien alors parler d'incantation. Pour un peu, on brûlerait des cierges pour qu'enfin l'on constate le retour de la croissance, comme jadis le retour de la pluie après la procession. On veut non seulement produire plus mais aller vite. Il faut produire et consommer sans prendre le temps de choisir car on risquerait alors de renoncer à certaines productions ou d'abandonner des produits sans intérêt pour les humains. On mettrait ainsi la croissance en péril...  Penser et s'informer demande du temps. Tout est rassemblé pour interdire de changer de "logiciel", pour conduire à croire l'information mille fois répétée et tombant comme pluie sans qu'on puisse s'en mettre à l'abri !

Quel que soit le gouvernement, dans chacun des pays qui viennent d'organiser des élections, le même conditionnement politique conduit aux mêmes choix à quelques nuances près : il faut réduire et rembourser les dettes, cesser de vivre au-dessus de ses moyens et donc faire payer les citoyens en prélevant sur leurs revenus et leurs avantages sociaux. Nul n'explique la généalogie de ces dettes et nul ne cherche comment faire régresser l'écart abyssal entre les revenus. Bref la politique est soumise à l'économie et non l'inverse, ce que nous savons depuis des lustres.

La pression exercée par l'Union européenne sur la Grèce fait penser aux pressions exercées sur les États mal-votants qui avaient repoussé, par référendum, le traité de l'Union européenne (dont on voir bien, à présent, qu'il contenait l'obligation d'avoir à se soumettre à des principes libéraux dans lesquels les États membres s'engluent un par un).

Changer de logiciel signifie, en politique, deux choses : supprimer un formatage intellectuel qui interdit de penser l'avenir en dehors des normes toutes faites ; ralentir le rythmes de décisions qu'on s'usera à remettre en cause et qui ne fournissent que des réponses immédiates à des problématiques complexes.

La démocratie, décidément, s'autodétruit quand elle n'est plus qu'une machine à élire. Les exemples actuels sont multiples : de l'Algérie à la Russie, de la Syrie à l'Espagne, de la Grèce à ... la France ! Si la fin du sarkozisme est une chance, il ne faut pas un seul instant continuer de penser que tout dépend d'un Chef d'État. Si les peuples, avec sagesse et lenteur, ne réussissent pas à imposer leur loi qui n'est pas faite que des lois parlementaires, alors nous allons traverser une période tragique. Puissent les "indignés", ces vigiles témoins de la jeunesse du monde, peser sur les travaux politiques de ceux qui ont non pas à nous gouverner mais à gouverner avec nous.


Qui veut voyager loin ménage sa monture.

mardi 8 mai 2012

À quand la politique et la démocratie ?

Il est incorrect de ne pas se réjouir avec les vainqueurs, surtout quand on a apporté sa faible contribution à la victoire. Eh bien, tant pis.

Depuis le 6 mai, c'était il n'y a pas deux jours, j'observe, éberlué, la suite d'un spectacle médiatique qui n' a pas grand chose à voir avec la politique et qui me semble éloigné de la démocratie véritable.


Je ne voudrais pas me montrer méprisant à l'égard de ceux dont on coulé les larmes de joie ou de dépit, mais je ne comprends pas trop cette insistance sur des sentiments respectables mais nullement décisifs. Les médias auront capté et étalé ces images parfois indécentes qui révélaient triomphalisme ou détresse...

Je constate aussi qu'en fait de changement, les mêmes commentateurs, les mêmes personnalités politiques se jettent sur les micros et se livrent à des analyses qui ne sont que des justifications a posteriori. En fait  de recherche de ce qui peut se produire de neuf dans le pays, je n'entends rien...

Tout bien réfléchi, et je ne fais que me répéter, la 5ème République ne peut satisfaire la demande politique et enferme les citoyens dans des processus électoraux qui figent ou détournent leur expression.


Autrement dit, nous venons d'assister à la ènième manifestation d'un jeu politicien qui place les acteurs dans la tribune, une fois qu'ils ont payé leur place au moyen d'un bulletin de vote, en ne laissant sur scène que les vedettes.

Nous ne savons, du reste, pratiquer la démocratie autrement. Nous avons été formatés pour ne penser notre rôle que dans ce cadre institutionnel plus que jamais incontesté mais pas incontestable !

Nous assistons au triomphe des partis, y compris de ceux qui sont défaits et qui, déjà, préparent leur revanche. Et cette débauche d'élections sans suivi politique, partout en Europe, ne fait qu'accentuer le caractère douteux de pratiques électorales qui servent de défouloirs et qui ne sont pas appliquées à la réalité des questions que les hommes ont à affronter.

On vote en Syrie. On vient de voter en Grèce. On voudrait bien voter en Égypte. On a voté aussi en Grande-Bretagne. Il y a quelques mois on votait en Espagne. On aura voté en Russie. On va voter aux USA. On revotera en juin en France. Etc.

La Syrie ne peut que voter conforme, sous peine de mort. La Grèce devra revoter si, faute de majorité, elle rejette la politique d'austérité qu'on lui a imposée. Le printemps arabe, en Égypte, n'est acceptable par l'armée que si elle conserve le pouvoir. Les Britanniques ont désavoué, pour la gestion des villes, ceux qu'ils avaient choisis pour diriger la Grande-Bretagne. Les Espagnols qui ont fait payer aux socialistes la déconfiture économique de leur pays, manifestent en masse contre le nouveau gouvernement. Poutine s'installe avec morgue et brutalité. Les USA vont se lancer dans une guerre médiatique et financière géante de quelques mois pour décider s'ils conservent ou non Obama, quatre ans encore. Quant à la France, elle va, pour la forme, se relancer dans une campagne électorale dont on connait déjà le résultat dès lors qu'il n'y a plus qu'une seule élection qui pèse, désormais.

J'ai quelque peine à penser que des élections fassent la démocratie. J'ai plus de mal encore à penser que les questions politiques fondamentales y soient abordées. 

Penser la politique avec Montesquieu ?

Je ne veux, désormais, consacrer du temps à mettre en évidence que ce n'est pas la conquête d'une majorité qui fait l'histoire d'un pays. J'ai seulement l'intuition que la débauche d'énergies et de crédits qui a conduit à un résultat électoral fragile aura usé et crispé des citoyens qui méritaient mieux et dont la créativité politique a été mise aux oubliettes le temps de faire sortir de l'ombre un nouveau prince.

Il est temps de "faire la politique" plutôt que de faire "de la" politique et il n'a jamais été aussi important de faire saisir que la démocratie réduite aux élections n'est pas la démocratie. Avec beaucoup d'autres, chercheurs ou simples acteurs locaux, je veux m'y employer.

jeudi 3 mai 2012

Voter Hollande quand même ?


Voter pour un "socialiste libéral", c'est-à-dire une contradiction vivante ? Voter pour qui, rapidement, va me transformer en opposant ? Voter pour celui qui se contentera, comme l'avait fait Mitterrand, en 1981, avec Plogoff, de limiter à une centrale la dénucléarisation de la France ? Voter pour celui qui expulsera, tout autant que son prédécesseur, les Roms, les sans papiers et les mauvais payeurs, brefs les plus démunis des hommes  vivant près de nous ? Voter pour un responsable politique qui dit, contre toute évidence, pouvoir compter sur la croissance pour redonner de l'emploi ? Voter pour qu'une équipe de ministres et de conseillers comprenne les Vals, Moscovici, et autre Rebsamen, tous plus à droite qu'un centriste à la Bayrou ? Voter pour le candidat d'un parti, dont nombre de leaders étaient près, voici moins d'un an, en dépit de ce que tout le monde savait, à se rallier à un DSK ?

Et néanmoins, voter, sans illusion, pour nous soulager d'un mal par un moindre mal ? Voter, en tombant, consciemment, dans le bipartisme qu'on n'a pourtant cessé de dénoncer ? Voter en sachant que, bientôt, nos maigres espoirs se transformeront en résignations ? S'en tenir, ainsi, à chasser Sarkozy, champion des riches, des "forts" et des nationalistes ? Voter sans voter en quelque sorte. Fermer les yeux ; ne plus chercher à choisir ; éliminer...


Maintenant que le vote blanc, confisqué par Marine Le Pen, est devenu brun, il me va falloir, comme au premier tour, où j'avais voté blanc-vert, (une goutte d'écologie dans un océan de bienpensance politicienne) voter blanc-rose, un rose très pale (une goutte de socialisme dans une mer de bienpensance social-démocrate).

Impossible de voter blanc, alors que ce serait l'acte logique de tous ceux qui  voudraient choisir de ne pas choisir. En France, si "blanc n'est pas nul", voter blanc est transparent et n'est pas une opinion exprimée ! Encore un dispositif électoral antidémocratique...

Je vais voter en acceptant la faute constitutionnelle que constitue ce mode de scrutin dont il faudra bien que la France se débarrasse. Je vais voter la honte au cœur et l'amertume aux lèvres. Je vais voter sans rien accorder au PS. Je m'y apprête... Hélas ! Je vais faire ce que je me refusais, hier encore, obstinément, de faire !

Et dès le 7 mai, il faudra, je le sais aussi, que rentrent, par la fenêtre, les questions écologiques majeures, décisives pour l'humanité, qu'on aura froidement, sciemment, cyniquement, mises à la porte. Le 7 mai, une fois passées cette élection-spectacle et son cirque médiatique, reviendra le temps de la politique, la vraie politique libérée de toute doxa, celle des citoyens capables de penser et vivre sans partis. Ce disant, je sais que Don Quichotte n'est pas loin de moi... J'accepte volontiers qu'on rie de ma naïveté mais je ne veux pas, et ne peux d'ailleurs pas, ne vivre que de doutes.

Je serai donc parmi ceux qui sèment des graines en pensant que si l'une d'elles, une seule, germe, des événements vont balayer les fausses évidences dont les politiciens se nourrissent. La victoire probable de François Hollande sera, paradoxalement, une défaite provisoire et tactique, une de plus, subie par ceux qui ont tort d'avoir raison trop tôt et qui savent que le siècle ne peut s'écouler paisiblement dans la quête du "toujours plus" de croissance, le maintien du nucléaire civil et militaire, l'épuisement des ressources naturelles vivantes ou minières, la pollution lente des sociétés, la dérive climatique accélérée, et la paupérisation de ceux qui ne sont pour rien dans le malheur qui s'acharne sur eux ...


Que je prête la main à l'installation d'un pouvoir qui ne fera pas, de l'essentiel, sa préoccupation principale, me désole et m'accable. Mais je vais le faire. J'éviterai de regarder le visage de celui qui me tend le seau d'eau qui peut éteindre l'incendie. Je vais, la rage aux dents, me motiver pour que le changement en soit un et pas seulement "un changement de personnel", comme disait Sartre.

vendredi 23 mars 2012

La fabrication d'un meurtrier.


Il portait un nom : Mohamed Merah. C'est une personne humaine qui a tué et qui a été tuée. Pas « un monstre », mais un meurtrier dont la pensée a été pervertie, et par les influences qu'il a reçues et par sa propre histoire qui fut une suite d'échecs.

L'épouvante qui nous a touchés, au plus profond de nous-mêmes, en particulier quand des enfants ont été exécutés, nous oblige à chercher les causes réelles de cette horreur si nous voulons les éradiquer.


 Relisons Hannah Arendt : le moment en est venu.

Ce n'est pas l'Islam qui est en cause, même il faut toujours s'interroger sur les fanatismes qu'engendrent toutes les religions. Les prétextes fournis par Mohamed Merah lui-même, au cours des « négociations », quand il fut encerclé, sont  mal fondés mais reposent pourtant sur une réalité : les meurtres de civils, y compris d'enfants, en Afghanistan et en Palestine. Toutefois, l'assassinat d'innocents ne souffre aucune justification.

 Ce n'est pas l'immigration qui est en cause. L'origine algérienne de l'assassin n'a rien à voir avec son comportement ! Il serait trop facile de tout faire reposer sur les les épaules de cet « individu », (c'est le mot qu'on emploie quand on veut dépersonnaliser quelqu'un), cet homme, ce jeune Français, né en France, qui a sombré, progressivement, dans une violence exacerbée conduisant à la mort, la mort donnée puis la mort reçue. Tous ceux qui l'ont approché, éduqué, contrôlé, emprisonné, surveillé, oublié, ont leur part de responsabilité dans cette « banalisation du mal », cette fabrication du meurtrier, cette construction d'une machine à détruire, si bien décrite par Hannah Arendt.

La violence ultra médiatisée, dont on a fait un spectacle permanent et vide, durant des heures et des heures, au moment de la découverte du lieu où s'abritait Mohamed Merah, renvoie aux images sanglantes, choquantes, déshumanisées, que déversent, sans relâche, la télévision, le cinéma et les jeux vidéo, lesquelles constituent des modèles fascinants notamment pour les esprits les plus faibles.

Il est beaucoup trop facile de se procurer des armes ! Leur trafic est trop peu réprimé, leur vente trop peu encadrée et le permis de port d’arme est trop souple... Les "outils qui tuent" donnent l'illusion de la puissance et les marchés de l'armement, officiels ou parallèles, font le reste : nous vivons dans un monde où l'on veut faire reposer d'abord la loi et la justice sur la force. La conséquence en est que les insensés, qui veulent faire justice eux-mêmes et qui se donnent à eux-mêmes des lois, parfois faussement appuyées sur des considérations religieuses, s'arment et risquent de se perdre dans la vengeance et la haine.

Il n'y a, hélas, rien d'exceptionnel dans cette guerre que l'homme se fait sans cesse à lui-même et le caractère brutal, insupportable des événements survenus en France, ne doit pas masquer que le monde entier subit chaque jour des crimes semblables. Les commentaires à jet continu des médias, durant la période sensible, prendront vite fin et les questions resteront sans solution si les citoyens ne s'en soucient que par compassion ou colère.

Allons-nous accueillir, enfin, nos compatriotes, nés ailleurs où enfants d'immigrés, qui sont reclus dans des quartiers où règnent la désespérance et l'inutilité ? Allons-nous cesser de prétendre défendre les droits de l'homme au bout de nos bazookas, en Afghanistan ou ailleurs ? Allons-nous supprimer les appels au meurtre des inconscients qui s'en prennent à Israël au lieu de s'en prendre à la politique de l'État d'Israël, dangereuse pour tous les Juifs du monde ? Allons-nous, enfin, quitter cette doctrine selon laquelle les fautes ne sont jamais dues qu'à la responsabilité individuelle de ceux qui commettent le pire ?

Refusons cette moralisation sans éthique qui nous mettrait à l'abri de nos responsabilités.

mardi 20 mars 2012

Les quatre erreurs de Charles de Gaulle

Cinquante ans après les accords d'Évian, je m'étonne de de l'impossibilité de contester encore la politique mise en œuvre par Charles de Gaulle, à partir de 1958 !

La guerre d'Algérie, de 1954 à 1958, appelée "pacification", (il faudra attendre 1999 pour qu'elle soit appelée par son nom !), dont tout a dépendu par la suite, a enfermé la France, durant quatre ans, dans un enfer politique auquel l'intelligence et l'autorité du héros des années 1940 n'ont pas suffi à nous faire échapper.

"Le recours au Général" a pesé, alors, sur les destinées de la France.

Il a fait quatre erreurs funestes dont la majorité des Français n'ont pas encore tous conscience.



La première fut de flatter l'armée avant de la décevoir ou de la trahir. La fin de la tentative de conciliation avec l'armée, aux comportements coloniaux, afin de sortir la France de la guérilla dont on ne venait pas à bout, a conduit à une contradiction majeure. Entre le "je vous ai compris" lancé de la place du Forum à Alger, le 4 juin 1958,  et le discours télévisé du le 16 septembre 1959, où est lâché le mot tabou d’autodétermination (conduisant au référendum du 8 janvier 1961), il y eut un retournement, sans doute inévitable, mais qui a abouti à dresser les Français d'Algérie contre leur pays. On a flatté le nationalisme et l'on a encouragé les colons avant de s'incliner devant les faits. L'Algérie n'était pas française et  le "Vive l'Algérie française" du 6 juin 1958, à Mostaganem, avait été bien plus qu'une faute politique : une justification a priori de la violence perpétrée contre quiconque n'accepterait pas l'assimilation des Musulmans devenus officiellement des "Français à part entière". L'Algérie n'était pas la France mais de Gaulle, venu au pouvoir, à cause de la guerre d'Algérie, s'est trompé et nous a trompés avant de tomber dans un réalisme brutal dont nombre de harkis et de Français d'Algérie feront les frais...




La seconde fut de profiter du désordre général pour changer de République. De Gaulle, incontesté, rappelé par ceux-là mêmes qui n'avaient su résister aux factieux d'Algérie, a commis alors l'erreur institutionnelle dont la Vème République est porteuse : en reprenant et en mettant en œuvre le contenu de son discours de Bayeux, en 1946, il a fait de la République parlementaire (qui avait fonctionné de 1871 à 1958) une république monocratique, mainte fois modifiée, mais toujours plus centralisée et autoritaire (y compris quand le Chef de l'État était diminué par la maladie ou par son incapacité !). L'abandon du lien direct entre le Président de la République et le peuple qui faisait, de chaque référendum un possible plébiscite et qui conduisit au départ, historique et choisi, de De Gaulle en 1969, a transformé la République monocratique en République oligarchique, ce qui n'est pas mieux... L'invention de la cohabitation a achevé de décrédibiliser les institutions gaulliennes.




La troisième fut  le choix d'une défense nationale fondée sur l'arme atomique. Le 13 janvier 1960, à Reggane, dans le désert saharien d'Algérie (alors encore "française") eut lieu la première explosion nucléaire, en plein air. La décision avait été prise, un mois avant le 13 mai 1958, par Félix Gaillard, président du Conseil, qui avait écarté les Pyrénées, les Alpes et la Corse, au profit du Sahara...! De  Gaulle la confirma et fut présent sur les lieux, à distance de l'explosion. Tout s'ensuivit : le lien entre le nucléaire civil et le nucléaire militaire était, pour De Gaulle, une nécessité de garantie de l'indépendance énergétique et diplomatique de la France. Aujourd'hui notre dépendance au nucléaire, cette fois, constitue un boulet que nous n'avons pas fini de trainer au pied de la république !



Le quatrième fut de n'avoir rien "compris" aux événements de mai 1968 qui n'ont rien changé au gouvernement de la France mais qui, en profondeur, ont changé la France elle-même grâce à l'apparition d'exigences écologiques jusqu'alors inconnues. De Gaulle n'y résista que de justesse. Parti à Baden-Baden, le 29 mai 1968, allé vérifier le soutien de l'armée auprès du général Massu, "vainqueur" de la bataille d'Alger en 1957, ce fidèle, en dépit de ses critiques de la politique algérienne de De Gaulle, et de son rappel en métropole en 1960. On avait changé d'ère, peut-être de civilisation et De Gaulle, épuisé, submergé, n'a tenu ensuite la barre qu'une seule année. Ne pouvant et ne sachant incarner des valeurs n'appartenant pas à sa culture, il n'a pu tirer parti des apports du printemps 1968 qui ont été, ensuite, méconnus et rejetés sans qu'on puisse pourtant les rejeter totalement.

Aujourd'hui, il faut tirer le bilan de ce quadruple échec
 devenu l'échec de la France tout entière. 

Dans les années qui viennent, nous verrons un rapprochement avec les pays du printemps arabe, francophones, dont l'Algérie finira par faire partie, à la suite du renouvellement de ses dirigeants trop âgés pour se réclamer longtemps encore de la libération et de l'indépendance du pays.

Dans les années qui viennent, nous verrons le passage à la VIème république qui s'effectuera, espérons-le, sans heurts, par modernisation de nos institutions rendues compatibles avec celles des autres États d'Europe. La république actuelle qui n'est plus ni gaullienne ni gaulliste a vécu.

Dans les années qui viennent, nous verrons le recul, puis le renoncement progressif à l'énergie nucléaire. L'indépendance énergétique passera par l'autonomie liée à une transition énergétique provenant de la diversification des sources d'énergies renouvelables. Quant à la dissuasion nucléaire, elle ne résistera pas à la réalisation d'une Europe politique nouvelle qui aura bien d'autres moyens d'assurer sa défense à commencer par sa solidarité économique !

Dans les années qui viennent, nous verrons, enfin, l'apparition d'une démocratie où les citoyens seront davantage gouvernants que gouvernés, grâce aux nouveaux moyens techniques d'information et de communication. Nous verrons, surtout une prise en compte des nécessités écologiques dont les années 1968 n'auront été que l'annonce.




dimanche 4 mars 2012

Vivre et penser avec Albert Camus





"Vivre et penser avec Albert Camus" est le titre de l'émission de France Culture, Répliques, en date du 2 mars 2012, à laquelle Michel Onfray et Maurice Weyembergh, philosophes, furent invités, par Alain Finkielkraut. Je reçois d'un ami proche, Jean-Claude Borrel, auditeur de cette émission, une réaction qui donne à penser :

Dans les dernières secondes de l'émission, Michel Onfray, à deux reprises, va affirmer à propos de la guerre d'Algérie, que tous les historiens s'accordent à penser que cette guerre était « militairement
gagnée ».

Comment, à la veille du 19 mars 2012, a-t-on laissé proférer une telle stupidité ?

J'étais en Kabylie en 1960. Pour « gagner » la guerre, il eût fallu maintenir en place le dispositif militaire (400.000 hommes ) durant quelques décennies. Un poste abandonné et les résistants le reprenaient immédiatement.

Quelques instants avant, le même M. Onfray, après avoir déploré que Louis XVI eût été guillotiné, avait affirmé que le F.L.N. « Robespierriste » était exclusivement mu par le projet de « décapiter ». On ne peut que rester interdit devant autant d'ignorance et d'outrance.

Il semble qu'il parvienne à tenir pour négligeables les conditions de la colonisation, les évènements de Sétif en 1945 (« je vous donne « la paix » pour 10 ans »), les pratiques militaires utilisées pour obtenir cette « victoire », la guillotine fonctionnant sans désemparer, la torture généralisée, les exécutions sommaires, le viol comme arme de guerre... Bref tout ce que Aussaresse et ses disciples ont été enseigner dans les écoles de guerre, tant aux U.S.A. qu'en Amérique latine.

Il apparaît bien ici que M. Onfray utilise Camus ( et Monsieur Maurice Weyembergh l'a suggéré
discrètement à plusieurs reprises ) comme une arme lourde dans le combat qu'il a engagé contre ses
ennemis intimes dont la liste ne cesse de grossir. Il ne fait ni dans la nuance ni dans le détail. Il cogne
avec autant d'arrogance que les idéologues qu'il prétend dénoncer.

La gauche libertaire a du souci à se faire avec son avocat autoproclamé.

Qu'il s'autorise à utiliser la tragédie algérienne avec autant de cynisme et de légèreté (« ...Si De Gaulle avait été camusien … »!) laisse pantois .

Certes, il semble avoir lu les articles de Camus sur la misère en Kabylie. Peut-on lui recommander s'il veut échapper à sa problématique grossière et indigne de lire le « Journal » de Mouloud Ferraoun.
 
À entendre M. Onfray, tant à la radio qu'à la télévision, je ne suis pas sûr qu'il soit en capacité de s'extraire de ses préjugés pour suivre le discours subtil de ce Journal, élaboré au cours d'une guerre où Ferraoun fut partie prenante avec Germaine Tillion et ses amis, avant enfin d'être victime de ceux-là mêmes qui avaient, depuis toujours, exclu le « vivre ensemble » dont avaient rêvé Camus et quelques autres.
 
Ferraoun, fils de pauvre, instituteur, était lui au cœur de la question. Il en a mesuré et décrit tous les
dangers, tous les risques, loin de l'idéologie « carrée » de M. Onfray. À l'écoute de la parole de
Feraoun, nous échappons aux simplismes affligeants et réducteurs. Mais M. Onfray n'a jamais lu non
plus les attendus du Congrès de la Soumam de 1956...

En ce qui concerne l'histoire algérienne, M. Onfray est un ignorant et il se sert d'une manière tout à fait indécente tant de cette histoire, qu'il méconnaît, que de Camus qu'il utilise comme un faire valoir.
 
BORREL Jean-Claude
 
 

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