lundi 11 novembre 2013

Du religieux et des religions


 J'ai, assez souvent, distingué entre le religieux et les religions. J'ai même estimé que les religions éloignent du religieux. Il est temps de préciser ces affirmations.

Le religieux relie. C'est le domaine, propre à l'humanité, où chacun s'interroge sur ce à quoi il se trouve relié : le cosmos (dont on ne cesse de constater l'étendue vertigineuse), les autres humains (du moins les plus proches, d'où le vocable de prochain), la nature tout entière (où s'épanouit la vie dans toute son impressionnante complexité), le monde animal (dont nous faisons partie, comme mammifères), l'histoire (qui nous rattache au passé événementiel et à nos propres ancêtres).

Les religions séparent mais peuvent conduire au religieux. Les approches culturelles, linguistiques, politiques du domaine religieux ont donné naissance à des regroupements communautaires ayant leurs traditions, cultes et dogmes dont les contenus, différents, parfois d'une grande richesse intellectuelle et sensible, se sont trouvés affrontés au nom de vérités, transmises ou dites révélées, ne souffrant guère discussion. Le thème de la révélation peut contenir une perversion radicale dès lors qu'il est affirmé qu'il n'y a plus qu'à se conformer aux exigences de la parole même de Dieu communiquée par ses prophètes.

La volonté d'appropriation de la vérité religieuse par les églises, mosquées, temples, pagodes, synagogues, avec, parfois, intransigeance et subtilité mêlées, a pu conduire, et conduit encore, à d'extrêmes violences. Alors, les liens de l'unité du genre humain se rompent, la sphère du religieux se brise ou, tout au contraire, ces mêmes liens qui nous attachaient, positivement, les uns aux autres, dans une même histoire terrienne, nous lient au lieu de nous relier et, négativement, s'entrelacent jusqu'à étouffer la connaissance !

Cette contradiction majeure qui entraine de l'amour à la haine, de la recherche de la fraternité à l'obstination sectaire, est une donnée historique constante. Les guerres de religion auront été et demeurent, j'y insiste, fondées sur la certitude que le Coran ou l'Évangile ou la Thorah ou tous autres livres "sacrés" constituent des trésors intouchables.

Il y a là les causes de désordres et d'horreurs qui ont laissé des blessures historiques dont nous continuons de souffrir (les Croisades ont été monstrueuses, mais aussi les conflits entre chiites et sunnites, les pogroms qu'ont subi les Juifs et, en Asie, des massacres tout aussi affreux). L'exaltation de la foi peut mener au fanatisme et le fanatisme au meurtre. Ce sont, de nos jours, des dérives bien connues et, dans ces logiques obscurantistes, le phénomène religieux est dissous, détruit, rendu inabordable...

Il n'en reste pas moins que l'inversion des apports des fondateurs constitue une rupture entre le religieux et les religions. Pour n'évoquer que la seule religion que je connais un peu, puisque c'est celle dans laquelle mon enfance a baigné, la religion catholique (qui n'est pas stricto sensu le catholicisme), il est ahurissant que le Pape François ait dû rappeler, après François d'Assise, que la pauvreté est une valeur fondatrice de l'Église se réclamant de Jésus-Christ ! 

Il y aurait dix raisons à évoquer pour justifier l'affirmation d'une rupture radicale entre religion et religieux en milieu chrétien. Il s'agit de bien autre chose que d'infidélités ! L'argent (avec le scandale des affaires bancaires, au sein de la Curie romaine, dont on est loin encore d'être sortis), le sexe (avec, imprévisible pour moi, la révélation, au cours des décennies récentes, du gigantesque crime de la pédophilie), la guerre (avec, et entre autres, c'est le moment de le rappeler, la bénédiction des armes par les aumôniers français et allemand, pendant la grande boucherie des années 1914-1918), le pouvoir (avec les compromissions ouvertes ou secrètes avec des fascismes - espagnols, chiliens, argentins...-). bref, la trahison du Christ, "par pensée, par actions et par omissions", est une évidence douloureuse mais flagrante.

Les chrétiens ne sont pas les seuls à devoir effectuer ce constat de rupture. 

Des Juifs, qui furent pourtant, eux-mêmes ou par leurs ascendants, parmi ceux des hommes qui ont eu le plus à souffrir de l'inhumanité de leurs contemporains, avant, pendant et après la seconde guerre mondiale, prétendent aujourd'hui justifier, au nom du judaïsme, une politique d'État qui est, de fait, un néo-colonialisme à prétention théocratique qui ne peut conduire qu'à un drame sans nom, d'ici moins d'un demi-siècle. L'instrumentalisation politique de la religion et même, - à mon avis, j'en conviens - le caractère caricatural de mœurs et coutumes coupées du réel, au sein d'un peuple que je sais néanmoins de haute culture, rend difficile, en Israël, un questionnement religieux véritable lequel ouvre sur sur le monde entier et ne replie pas sur quelque nationalisme que ce soit.

Les trois religions du Livre ne sont pas à la fête, en notre temps, car les islamismes semblent bien, eux aussi, s'éloigner de l'Islam ! Ni le Coran, ni la Bible, ni la Thora ne justifient, pour qui sait les lire, le recours à la violence. Dans le Coran on a puisé, pourtant, de quoi conduire vers un djihad qui n'est plus un effort sur soi pour se grandir en humanité, mais qui est le don total de soi pour faire triompher, s'il le faut par la force, la cause musulmane. On conçoit que pareil glissement de sens entraine ailleurs que vers la quête du bien. L'Islam a été, au cours de l'histoire, générateur de science, d'art, de tolérance et d'approche religieuse finement pensée, et pas seulement de conquêtes ! Il y a rupture, à cet égard, et cette fois non seulement entre religieux et religion mais entre des conceptions de la religion musulmane actuellement incompatibles !

Dans d'autres parties du monde, les mêmes causes produisant les mêmes effets, des affrontements sanglants ont lieu, au nom de religions. En Inde, ce fut, cette fois, les Musulmans qui en firent les frais, pourchassés qu'ils furent par des Indous fort peu non-violents. 

Inutile de tenter ici un inventaire. La cause semble entendue : partout ou l'affirmation d'une religion masque une volonté de pouvoir, l'homme devient un meurtrier. Et la question fondamentale que cela pose est celle-ci : toutes ces forfaitures, des "fidèles" autant que des "directeurs de conscience", quelle que soit la religion considérée, ne conduisent-elles pas des humains de... bonne foi à renoncer à affronter les interrogations fondamentales que tout homme qui pense rencontre ! C'est là un drame.

Le religieux emplit la conscience des humains depuis la plus haute antiquité. Que les religions, peu ou prou, nous en détournent met l'humanité tout entière en danger.



jeudi 7 novembre 2013

Nous sommes tous des Taubira

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Que nous soyons, ou non, solidaires de la politique que conduit Christine Taubira, comme Garde des Sceaux - et, pour ma part, je ne suis ni un soutien du Gouvernement ni un thuriféraire de son ministre de la Justice -, il est impossible de laisser passer les injures racistes qui ont été déversées sur elle.

Les relents de l'esclavagisme et les miasmes du colonialisme ont si profondément imprégné le tissu social français qu'il en pue encore.

Les Haïtiens qui ont, il y a plus de deux siècles, vaincu les armées envoyées par Bonaparte pour soutenir les colons, dont les ancêtres ont constitué le premier État libre de tout esclavage (on le leur fit bien payer !), comptent, parmi eux, nombre de poètes francophones. 

J'ai trouvé, dans un recueil dit de Poésies nationales, (deuxième édition, curieusement non datée), sous la signature de Massilon Coicou, écrivain fort peu connu en France, dans le poème Cauchemar, (oui, le racisme est un cauchemar !), quatre vers qui me semblent adaptés à cette condamnation des racistes et de leur refus de la présence, parmi nous, de responsables politiques noirs.

La force est votre droit, le droit est notre crime.
Qu'un peuple noir soit libre et travaille et s'anime,
Et lentement prospère, et vive sous les cieux : 
Que cela soit ainsi, c'est un crime à vos yeux.

Ce qui se passe en France, comme en Italie est un rejet des hommes et des femmes dont l'apparence et, plus encore, les compétences échappent, fut-ce en partie, à l'occident blanc. C'est tragique, et l'élection d'un Obama européen n'est pas proche de se produire là d'où s'est organisée la traite négrière.

Christine Taubira est particulièrement haïe pour avoir fait voter la loi sur la commémoration de l'esclavage, pour avoir porté, devant le Parlement, la loi sur le "mariage libre", pour être ce qu'elle est, c'est-à-dire pétrie de culture française et de négritude, et pour être femme, une femme en charge du respect des lois. Cela semble incongru et pour tout dire impensable pour ceux qui vivent dans un ethnocentrisme obsolète, si ce n'est dans le machisme le plus brutal.

N'ont pas été suffisamment étudié, dans nos pays ex-coloniaux, les effets profonds, enracinés, pendant de très nombreuses années de domination, sur des populations méprisées, exploitées, violentées. On a appris à des générations de Français que la grandeur de la France s'était manifestée dans un empire géant soit-disant en charge de la transmission de la civilisation véritable. L'armée et l'Église furent associées pour garantir l'irréversibilité d'un processus ethnocidaire qui devait assurer à jamais, à notre pays, le statut de grande puissance éternelle.

Cartes à l'appui, -je les revois encore !-, les écoliers ont été littéralement endoctrinés avant comme après la seconde guerre mondiale. Les guerres nouvelles, de libération des peuples privés du droit à disposer d'eux-mêmes ont (déjà !) été présentées comme des entreprises terroristes. les défaites du Vietnam et d'Algérie n'ont pas été pardonnée. Jamais il n'a été rappelé que c'était la violence d'État qui avait engendré des violences indépendantistes.

Madame Taubira est le symbole même de ce qu'exècrent les nostalgiques du passé colonial et des tenants d'un esclavage moderne suite évidente de l'esclavage transatlantique passé. Elle a même osé être favorable à l'autonomie de sa lointaine Guyane.

Au moment où il devient possible de dire que la guerre de 1914-1948 fut une guerre perdue par tous les belligérants, il est temps que la parole et l'écriture se libèrent totalement. Jaurès avait eu raison d'écrire (mais il en mourut) : "le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l'orage". Les dominations, (esclavage, colonialisme, capitalisme moderne) auront été les causes des perversions intellectuelles et psychologique ayant fait et continuant de faire le lit du racisme !

lundi 4 novembre 2013

Vous avez dit terrorisme ?



Le terrorisme a remplacé le communisme ! Qui ne pense pas comme l'oncle Sam et ses affidés est peu ou prou terroriste. Le terroriste n'est pas seulement celui qui sème la terreur (et à cet égard le terroristes sont légions !), le terroriste est celui qui est un djihadiste (sous entendu un Musulman intégriste qui fait par tous les moyens la guerre au monde occidental). Dès lors, tout Musulman devient suspect d'extrémisme et de perméabilité à la violence !

Que les militaires étatsuniens usent de drones pour assassiner leurs adversaires en Somalie ou au Pakistan ne fait pas d'eux, pour l'opinion occidentale, des terroristes et pourtant, ils le sont car ils pensent que les dégâts collatéraux sont inévitables et donc justifiables.

Toute politique fondée sur la peur qu'engendrent les violences dominantes est terroriste.

Toute accusation de terrorisme appliquée à des adversaires violents confond la résistance et l'agression et c'est par ce mot que la propagande nazi cherchait à dresser les citoyens contre les patriotes.

Djihad, jihad ou djihâd ( de l'arabe : ǧihād, جهاد « effort ») est un terme signifiant « exercer une force », « s'efforcer » ou « tâcher ». Autrement dit le djihaddiste fait effort sur lui-même pour lutter contre ce qui lui apparaît comme un mal. Entre celui qui a un comportement spirituel afin de se transformer soi-même, en vue d'un mieux vivre, et celui qui a un comportement guerrier afin, soit de résister à l'oppression soit d'islamiser la société tout entière, il y un fossé large et profond !


L'évangélisation a pu être, notamment dans les pays colonisés par des États européens, une contrainte violente ayant conduit à l'ethnocide ou carrément à des formes génocidaires. Rappelons-nous que le génocide est une éradication dans un territoire donné ordonnée par un État. Au nom des religions, et souvent en prêchant le contraire de ce que les fondateurs ont voulu et prescrit, des missionnaires et autres zélotes ont pratiqué un terrorisme structurel devant faire disparaître des us et coutumes jugées impies et, à défaut d'y pouvoir parvenir, en faisant disparaître les récalcitrants eux-mêmes.

Le terrorisme est un système. C'est, en même temps, une idéologie et une organisation. C'est une domination par le « lavage de cerveau » ou par la menace de mort ou son exécution. Le terrorisme d'État n'est pas moins meurtrier que le terrorisme fanatique des sectes et des organisations partidaires.

Staline, ses militants et ses goulags, Hitler, sa gestapo et ses camps d'exterminations, mais aussi les génocidaires du Cambodge et du Rwanda n'ont pas été les seuls à perpétrer des massacres de masse afin de dominer par la terreur toute opposition réelle, éventuelle ou simplement imaginée. Il serait bien vain de tenter de dresser la liste de toutes les exactions géantes qui ont abouti à la fois à supprimer des millions de vies humaines et à soumettre des peuples entiers au nom de Dieu, de la loi, du chef ou du parti ! Quiconque admet que la violence fait l'histoire finit par y succomber. Le terrorisme alors, se banalise.

La peur du gendarme est une forme de terrorisme. On dit qu'il y eut, siècle après siècle, plus de têtes et de mains coupées, d'écartèlements, de mises à mort épouvantables, terrorisantes, par voie de justice que du fait des assassins, criminels et bandits en tous genres. Nous ne ferons pas l'économie du bilan à dresser après que l'on ait réalisé l'ordre public en multipliants les meurtres légaux.

L'actuel débat qui s'entr'ouvre sur le terrorisme nous place, comme citoyen, face à la responsabilité du pouvoir à exercer au nom de l'État, de la loi et du droit. La séparation des pouvoirs, précisée par Montesquieu et, au reste, bien fragile de nos jours, ne permet pas, en principe, qu'une petite injustice vaille mieux qu'un grand désordre. En fait, la raison d'État est au-dessus des élus, des juges et des parlementaires. La violence dont, affirma Max Weber, l'État a le monopole, est seule « officiellement » légitime, et les pouvoirs publics monarchiques, dictatoriaux ou républicains ne sont pas privés d'en user et abuser. Sommes-nous alors jamais sortis du terrorisme ? Nous avons connus des temps historiques plus brutaux les uns que les autres mais la paix, intérieure et extérieure, supposerait que la force ne soit pas d'abord au service des appétits, des profits et des volontés de puissance. Nous en sommes encore loin.

Il n'y a donc pas d'un côté les justes et de l'autre les injustes, les terroristes et les non-terroristes... Le terrorisme est présent là ou le pouvoir se cherche ou s'exerce. De Gaulle était un chef terroriste pour le gouvernement de Vichy. Arafat tarda à pouvoir s'exprimer à l'ONU. Mandela ne fut retiré des bases de données de la liste noire américaine des terroristes qu'en... 2008 ! Celui qui menace le pouvoir en place est ipso facto suspect. A-t-il des soutiens armés, alors, il devient terroriste jusqu'à ce que l'histoire, le cas échéant, en fasse un héros...

Le terrorisme contemporain a deux visages. L'un s'en prend à des États au moyen d'organisations et de structures non gouvernementales, appuyées sur des moyens technologiques de communication hier encore inconnus. L'autre se développe au sein des États eux-mêmes pour assurer leur défense, en interne comme en externe et, ainsi, plus grand est le pouvoir plus il recourt à un contre-terrorisme sophistiqué mettant le monde entier en surveillance renforcée.

Un démocrate ne peut se satisfaire de cette amplification, réelle ou supposée, des menaces qui fait vivre sous la protection des mitraillettes, des caméras et des espions. En France, le plan Vigie pirate est un dispositif de sécurité destiné à prévenir les menaces ou à réagir face aux actions terroristes. Créé en1978, nous n'en sommes jamais sorti ! Pour le sociologue Mathieu Rigouste, son principal effet est « l'intensification de la militarisation du quadrillage urbain » et « l'emploi de l’armée dans une fonction policière ». Nous vivons donc dans l'exception. Nous baignons dans une ambiance idéologique où tout devient terrorisme. Cela fait obstacle efficacement à l'ordinaire de la vie car croire que les Terriens ne pourront jamais plus habiter leur planète autrement que sous la protection d'armes toujours plus puissantes, plus nombreuses, plus accessibles, c'est faire de l'insécurité un nouveau Diable et de son enfer notre quotidien inévitable.


À nous de savoir si nous voulons, ou pas, vivre libérés de cette hantise du terrorisme 
qui « vit des peurs qu'il propage ».

mercredi 30 octobre 2013

La contradiction qui menace la République


 
La route écrase la planète.

On ne sait plus en France ce qu'est la gauche. On sait encore fort bien ce qu'est la droite. Depuis que la démocratie est devenue intellectuellement indissociable du capitalisme, il n'est plus pratiqué, en Europe, que des politiques libérales, c'est-à-dire tenant principalement compte des intérêts des entreprises et, principalement, des plus grandes. La droite ne triomphe pas seulement. Elle se veut sans aucune alternative. La gauche est vidée de son contenu. Elle meurt donc.

L'économie est présentée comme une science dont les lois ne se discutent plus. L'économie n'est pourtant pas une science ! Il est des économies mais une seule a été imposée ! Disons le crûment : on n'en fait-on jamais assez pour plaire aux riches. Si la droite parlementaire ne cesse de s'en prendre à la majorité présidentielle et au parti « ex-socialiste », elle approuve, en secret, des mesures gouvernementales qu'elle aurait voulu conduire elle-même, pour faire, si possible, pire encore ! Les citoyens constatent, dès lors, que ce ne sont plus les gouvernements qui dirigent les pays mais les puissances d'argent.

S'agissant, par exemple, de l'écotaxe, la confusion est à son comble. Elle a été votée très largement, en 2007. C'était le minimum accepté après le Grenelle de l'environnement. Tout le monde la voulait mais personne n'en a préparé des conditions acceptables d'application par tous et donc d'approbation par l'opinion. Il devait s'agir de taxer les camions en fonction de la distance qu'ils parcourent et de la pollution qu'ils génèrent, sur le principe « pollueur-payeur », afin de détourner progressivement de l'usage de la route au profit d'autres modes de transport, moins polluants. Les ressources libérées devaient être affectées notamment aux infrastructures ferroviaires. C'était un choix politique clair. Il a été sciemment saboté, et par le patronat et par des conservateurs qui ne voient que leurs intérêts à court terme. Des Bretons, de bonne foi, protégés jusqu'ici contre tout péage au sein de leur région, mais angoissés pour leur avenir, ont vu, dans l'écotaxe, la cause inévitable du recul de leur niveau de vie. Ils ont été manœuvrés ! Le Medef et la FNSEA ont fomenté la grogne. Ils ont obtenu mieux : l'émeute. 

Ce sera donc la faute à « la taxe ». Ajout du 2 novembre 2013 : car en fait de taxe, d'écotaxe, il s'est agi d'un détournement d'impôt vers le privé, d'un PPP (partenariat-public-privé) qui constitue une "bonne affaire" pour des entreprises et des banques coalisées pour mieux se servir et non servir ! Les infos révélées par médiapart sont tout à fait révélatrices de cette magouille qui va coûter aux contribuables sans rien rapporter d'écologique au pays ! (http://www.mediapart.fr/journal/france/311013/le-contrat-insense-de-lecotaxe).

Au passage, cela permet d'éreinter l'écologie... Ses soutiens plus fidèles à la majorité présidentielle qu'à eux-mêmes, protestent mais avalent à la fois et la couleuvre et leur chapeau... Bref, ce que l'UMP n'avait pas osé faire, ce sont les « pseudos-socialistes » et les « ex-écologistes » qui s'en chargent. Les sondages l'indiquent : la droite en veut toujours plus ; « l'ex-gauche » est dominée ; résultat : les citoyens jettent le manche avec la cognée et, désespérés, s'en remettent aux extrémistes, les vrais, les extrémistes de droite qui ne se retrouvent pas qu'au Front national et qui en veulent clairement à « la chose publique » c'est-à-dire à la République elle-même.

Plus d'écologie et moins d'écologie ? Nicolas Sarkozy s'était écrié : « l'écologie, ça suffit ! ». Il n'en voulait plus. François Hollande, reniant ses propres engagements, ne peut que le suivre. Cette contradiction va, à terme, lui coûter cher et politiquement et économiquement. Mais à nous tous aussi...

samedi 26 octobre 2013

Sur l'extrèmedroitisation de la France

 Non, ce n'est pas Marine Le Pen qui nous fait peur ! C'est notre grande perméabilité à des idées qui ne sont pas avancées par le seul Front National !

Que le Ministre de l'Intérieur actuel soit la personnalité politique la mieux appréciée des Français (selon des sondages dont les initiateurs et les modalités sont loin d'être toutes transparentes), voilà qui inquiète davantage. Non que Manuel Valls soit le grand méchant loup dont tout est à craindre, mais parce qu'il mène une politique, au nom du gouvernement tout entier, qui conduit à confondre les causes et les conséquences, l'appât du gain généralisé et encouragé d'une part, et les malfrats, petits et gros, qui en profitent, d'autre part. Autrement dit, des logiques de répression se mettent en place, avec l'assentiment des citoyens excédés, au lieu de dresser des obstacles à la gloutonnerie des profiteurs qui disposent de la complicité de médias aux ordres de qui les paient.

L'extrèmedroitisation est d'abord culturelle. En 2007, Nicolas Sarkozy avait remporté l'élection présidentielle sans rien cacher de l'idéologie qu'il soutenait et dont la formule, « Travailler plus pour gagner plus », n'était que la plus visible apparence. Depuis, de l'eau a coulé sous le pont et elle charrie des objets de plus en plus nombreux et dangereux. Ainsi continue-t-on à vouloir réduire le chômage en satisfaisant les exigences du patronat (à ne pas confondre avec l'ensemble des entreprises !). Ainsi leurre-t-on l'opinion en lui enfonçant dans la tête, jour après jour, que seule la vache sacrée de la croissance peut nourrir les revenus des Français. Ainsi culpabilise-t-on tous ceux qui sont privés d'emploi en leur reprochant de préférer l'assistance au travail ! Ainsi voudrait-on sanctionner ceux qui, pour trouver à s'employer, refusent de quitter leur région, leur maison, leur famille, prétendent ne s'engager que dans ce qu'ils savent faire, et hésitent à se reconvertir l'âge venant...

La mobilité, la souplesse, l'adaptabilité, la compétitivité, la modération dans l'activité salariée sont devenues des valeurs détournées qui signifient, en vérité : va où je le veux, - accepte mes conditions de travail quelles qu'elles soient, - apprend à faire tout ce que j'exige sinon, si tu n'as pas la compétence requise, je me passerai de tes services, - produit plus vite et moins cher sinon je ferme l'entreprise et je la transfère ailleurs, en France ou pas, - enfin ne me demande surtout pas de te payer plus, la main d'œuvre ne manque pas... L'affaiblissement des salariés et de leurs syndicats, incapables d'établir un rapport de force en leur faveur, fragilise des secteurs entiers de la société où s'introduisent d'autres moyens, illicites, d'avoir des ressources pour vivre. Cette situation est intenable et ne peut que déboucher sur une violence à laquelle déjà se préparent ceux qui ne veulent rien changer à un système qui broie l'Europe tout entière, mise en concurrence avec des populations immenses mais, pour le moment moins exigeantes et plus soumises.

Accepter cette logique économiste est mortifère. Ne pas sortir des fausses évidences distillées par les professionnels de la communication conduit à une impasse où les faibles et les pauvres seront égorgés. La dépréciation volontaire de la solidarité, du partage de l'égalité et de la fraternité (laquelle est une valeur politique et non une forme de la compassion !) mène à des conflits dont nul ne peut encore apprécier l'ampleur et le coût humain. Les « réalistes » ne sont pas réalistes sinon ils verraient pourquoi l'Europe, et l'Occident plus généralement, fut-ce très lentement mais inexorablement, sont entrés dans la voie du sous-développement pour avoir voulu conserver le développement pour eux seuls.

Du Tee-Party américain au FPO autrichien, au Vlaams Belang belge, au Jobbik hongrois (mais la vague n'a cessé d'enfler partout, en Norvège, Danemark, Suède, Italie, Japon, Israël...) les mêmes revendications s'installent : vivons chez nous, entre nous, chassons les étrangers, fermons les frontières, renforçons notre police et notre armée, appuyons nous sur nos élites, méfions nous du métissage, combattons l'islamisation, plaçons l'ordre avant la liberté... S'il ne s'agissait que des excès idéologiques d'une partie de nos sociétés il n'y aurait pas à craindre ce poison qui a déjà diffusé, dans le passé, et dont nous avions trouvé l'antidote. Le poison réinjecté dans notre corps social atteint, cette fois, la droite classique et la partie « républicaine » de la gauche qui se sont laissé pénétrer par le nationalisme et le retour d'une conception fermée de l'identité française. Autrement dit, les organisations économiques et sociales étant mises à mal par ce qu'on appelle la crise (et qui est une forme nouvelle d'une mondialisation qui a cessé d'être occidentale), le repli de tous ceux qui craignent l'avenir, et singulièrement pour leur propre avenir, prend un tour agressif sur lequel surfent d'habiles démagogues. 

http://upload.wikimedia.org/wikipedia/en/thumb/c/c5/Jobbik_Magyarorsz%C3%A1g%C3%A9rt_Mozgalom.png/150px-Jobbik_Magyarorsz%C3%A1g%C3%A9rt_Mozgalom.png

 L'extrèmedroitisation apparaît donc comme un effet de glissement du curseur politique, non vers les extrêmes comme on nous dit mensongèrement (pour nous faire accepter une fausse égalité entre le Front de gauche et le Front national par exemple), mais vers la droite dure, super-individualiste, hostile aux choix écologiques les plus incontournables, centralisatrice, souvent sexiste, néo-nationaliste, répressive avant d'être préventive, interventionniste dans les pays hier sous domination coloniale, etc... Il s'agit là d'une orientation où se rejoignent des formations politiques (en tout ou partie) de plus en plus décomplexées, c'est-à-dire de plus en plus à droite, de plus en plus extrémistes dans leur défense de la « démocratie capitaliste » (les deux mots étant devenus indissociables, progressivement après la chute du mur de Berlin, et nettement depuis le début du XXIe siècle !).

Nous sommes entrés dans un conflit idéologique total. Ce n'est plus un affrontement parti contre parti. C'est la mise en cause brutale de la citoyenneté. Qui choisit le camp des pauvres, des modestes, des négligés, des oubliés, des « sans », des abandonnés, bref des « misérables » eut dit Victor Hugo, est confronté, immédiatement, à tous ceux qui, ou bien veulent que ça dure, par intérêt personnel (lequel est multiforme et ne concerne pas que les grandes fortunes) ou bien préfèrent la stagnation plutôt que le risque d'un changement jugé impossible (et nul mieux que François Hollande n'aura si vite, et si éloquemment, bradé ce beau mot de changement) ! Il nous faut considérer les échecs multipliés d'une Europe non européenne qui n'a pas encore d'existence politique, des partis socialistes européens, sevrés de marxisme, et devenus si peu sociaux qu'on les confond voire qu'on les associe aux conservateurs -comme en Allemagne, actuellement-, des partis écologistes qui se sont trahis eux-mêmes en cessant d'être ce qui a été leur raison d'apparaître. Le malheur accouche parfois d'une espérance : tous ces échecs ne peuvent qu'entrainer vers un neuf qui ne viendra pas au monde tout seul.

Il est temps de méditer, de nouveau, le propos d'Antonio Gramsci : "L'ancien se meurt mais résiste ; le neuf ne tarde pas à voir le jour, mais dans le clair-obscur surgissent des monstres." Chassons les monstres et travaillons à ce que le neuf, qui s'annonce, n'avorte pas.

dimanche 20 octobre 2013

Leonarda et la religion du droit


François Hollande a tranché : Leonarda Dibrani, mineure, peut quitter le Kosovo et rentrer, seule, en France ; ses parents n'en ont pas le droit. Indépendamment du ridicule de la proposition (comment vivre sans famille ?), il y a, dans la décision du chef de l'État, et donc dans l'esprit de ceux qui l'ont conseillé, une conception du droit qui fait froid dans le dos !

Qu'est-ce que le Droit sinon l'ensemble des lois et textes d'application qui, dans une société donnée, la nôtre en l'occurrence, constitue les règles de vie communes à tous les habitants, citoyens ou non, Français ou étrangers. Le droit protège ; il ne crée pas l'injustice, sinon il cesse d'être le droit.

Car il y a abus de mot quand la référence au droit devient un mode de refus de droits humains qui n'ont pas besoin de code pour s'imposer. Celui qui aime accomplit la loi et plus que la loi, disent les textes que citent les chrétiens. (Romains 13.10 : "…l’amour est donc l’accomplissement de la loi" ou
Galates 5.14 : "Car toute la loi est accomplie dans une seule parole, celle-ci : Tu aimeras ton prochain comme toi-même".) Dans notre civilisation, chrétiens ou pas, nous avons tous comme tradition non pas la religion de la loi mais un respect des personnes qui passe avant le droit.

Adolescent, puni pour je ne sais plus quelle peccadille, dans mon internat, j'avais dû commenter, par écrit, la formule : "mieux vaut une petite injustice qu'un grand désordre" ! Je m'étais libéré de la rage d'être en retenue en pourfendant ce faux principe. J'estimais déjà que toute injustice, fut-elle petite, peut conduire vers un grand désordre. 

Nous en sommes là, avec Leonarda. Déjà, Manuel Valls, de plus en plus bravache, et qui se constate soutenu, annonce, dans Le Journal du dimanche, que les précautions sont prises : la famille ne rentrera pas en France. Autrement dit, la police est, par avance, chargée de traquer ces clandestins qui tenteraient de revenir en France pour rejoindre leur fille à Pontarlier. Inhumanité manifeste ! Pas plus qu'à Lampedusa où, sous nos yeux, on laisse la mer punir de mort les réfugiés africains qui tentent de violer la loi et de pénétrer en Europe, on n'acceptera la moindre exception ! Une famille sans droit "n'a pas vocation à vivre en France" (surtout, ce n'est pas dit, mais c'est évidemment pensé, s'il s'agit de Rroms...). Qu'ils aillent s'échouer ailleurs...


Alexandre Romanès, dans le numéro de Libération du 18 octobre 2013, rappelle la phrase de Gandhi : "Quand la loi n'est pas respectable, je ne la respecte pas". Oui, la loi n'est pas sacrée et quand elle ne respecte pas les hommes, il faut lui désobéir. Un bon citoyen n'est pas celui qui s'incline à tout coup devant la loi, il est celui qui sait et peut discerner ce qui est juste ou non et qui agit en conséquence.

Il y a ambiguïté dans le constant rappel à la société de droit. Admettre quasi automatiquement que notre pays est une société de droit fait bon marché des violations multiples que subit le droit existant et que constatent les avocats défenseurs du droit ou le Défenseur des Droits (actuellement Dominique Baudis). Mais il y a bien pire : en nombre d'occasions, le droit français se révèle injuste, ce que souligne, par exemple, un jugement récent de la Cour européenne des droits de l'homme (1).

La Ligue des Droits de l'Homme, elle-même, n'échappe pas à ce culte du droit par ses rappels au droit de façon trop générale, comme si une société était harmonieuse et libre parce qu'elle dispose d'un Droit national abondant, précis et enseigné ! 

Le droit est rectiligne et manque de souplesse. Il faut donc le corriger, sinon le droit devient rigide et vire à droite. Au lieu d'être un ensemble de repères permettant de trouver son chemin soi-même, il prétend fixer en détail notre mode de vie ! Bien entendu, c'est impossible et aucune répression ne permet de faire marcher tout le monde d'un même pas, sauf à détruire cette démocratie fragile constamment menacée voire mise à mal. 

La jeune Leonarda est, bien sûr, soutenue par les lycéens de son âge qui se reconnaissent en elle. Sans l'avoir voulu, elle nous aura permis d'ouvrir les yeux sur une contradiction majeure. Au moment où l'on fustige les Rroms en stigmatisant leur prétendu refus d'intégration voila une adolescente, parfaitement francophone, qui réussit ses études et concourt à l'insertion de sa famille dans une ville où elle se fait accepter. C'est tout le discours sur la "vocation" des Rroms à rentrer dans leur pays qui vole en éclats. Après Anina, l'étudiante voulant devenir magistrate, en France, ces jeunes filles rroms démontrent (mais pourquoi est-ce nécessaire ?) qu'on peut vivre en France, même si l'on est d'origine étrangère, en restant soi-même (2).




Le débat est lourd de différends profonds. L'identité française n'est pas close (elle ne l'a jamais été) et elle est plurielle (n'en déplaise à l'UMP, au Front national et à une partie des socialistes qui n'ont retenu de la République que son caractère ethnocentré de non reconnaissance des minorités). Les Rroms de l'Union européenne (Roumains ou Bulgares depuis 2007, Croates depuis 2013), mais aussi ceux qui sont ressortissants de pays européens ayant "vocation" à entrer, tôt ou tard, dans l'Union, en dépit  d'innombrables résistances, (dont l'Albanie, le Kosovo, la Serbie, la Serbie, la Macédoine, le Monte-Negro et, bien entendu, la Turquie...), ne sont pas des étrangers comme les autres. Ils sont chez eux en Europe, dans toute l'Europe et s'ils n'en ont pas partout le droit formel, ils en on le droit de fait - ils y sont ! -, le droit moral - à moins qu'on songe, comme les nazis, à les faire disparaître ! -, le droit des hommes à vivre sur un continent qui est autant le leur que le nôtre - depuis sept siècles -.

Les Rroms ont, en Europe, le droit d'avoir des droits ! Merci Leonarda.
 
(1) - La Cour européenne des droits de l'homme(CEDH) a condamné, jeudi 17 octobre, la France pour avoir prononcé en 2004, sans nécessité apparente, l'expulsion d'un campement de gens du voyage et sans leur proposer de solutions satisfaisantes de relogement. /.../ Les juges concluent qu'il y a eu violation du droit au respect de "la vie privée et familiale, du domicile et de la correspondance".
http://www.lemonde.fr/societe/article/2013/10/17/la-cedh-condamne-la-france-pour-une-expulsion-de-gens-du-voyage-en-2004_3497339_3224.html
(2) -  Anina Ciociu, Je suis tzigane et je le reste, éditions City, 2013.

mercredi 9 octobre 2013

Les cinq R ou de la résistance à la rupture.


Résistance, refus, révolte, rébellion, rupture : nous voici acculés vers des attitudes de rejet au lieu de passer le plus clair de nos vies à construire une société d'équilibre.

Résister, c'est ne pas se laisser entrainer dans ce qui nous apparaît néfaste. Ce n'est pas tout rejeter.

Refuser, consiste à dire non aux comportements politiques toxiques. Ce n'est pas tout critiquer.

Se révolter, c'est s'opposer à ceux qui ne proposent rien à quoi l'on puisse souscrire. Ce n'est pas tout nier.

Se rebeller, c'est se dresser contre l'État, dès lors qu'il ne remplit plus ses missions. C'est un acte citoyen positif et nécessaire.
http://www.nostate.com/wordpress/wp-content/uploads/2008/11/rebellion.jpg

Rompre, c'est briser le lien qui nous enchaîne aux outils qu'utilisent les servants-serviteurs-asservis du système économico-politique. C'est se libérer.

Il y a là toute une gradation qui conduit de la simple contestation à la non-participation à cette démocratie-capitaliste (les deux mots sont désormais liés !) qui se veut sans aucune alternative, finie, close.

Nul besoin de recourir à des actions violentes pour laisser s'épanouir sa colère. « La plume plutôt que le fusil » s'exclame la jeune Pakistanaise de 16 ans, Malala Yousafzai, dans une autobiographie parue le 8 octobre. On voudrait la porter candidate au prix Nobel de la paix et, déjà, les médias occidentaux commencent à pourrir son image en en faisant une miraculée dont les méchants Talibans n'ont pas eu la peau...



Malala Yousafzai, sauvée...

C'est contre ces détournements constants de l'attention des citoyens qu'il faut se dresser. Ce que dit Malala, c'est que les femmes ont, sur Terre, un rôle politique majeur qui peut, avec l'éducation, conduire vers l'émancipation de tous. Ce qu'on veut lui faire dire, c'est qu'elle a rejoint l'occident définitivement. Elle a été sauvée en Europe et débarrassée de la balle qu'on lui avait tiré dans la tête. On lui a donné la parole en Europe alors qu'au Pakistan, on voulait la faire taire. On l'a aidée à écrire sa bibliographie alors qu'elle est encore une enfant, brillante certes, mais faible dans cet univers rapace. Bref, veut-on nous faire croire, qu'elle est, à présent éduquée, protégée, une fois mise en vedette par les bons, face aux méchants antioccidentaux, fanatiques et... musulmans.

Cet exemple est frappant : pour masquer les turpitudes de la pseudo civilisation occidentale qui sombre dans l'exploitation brutale de la planète et de ses habitants, on loue une courageuse et très intelligente jeune fille qui a fui ses assassins. L'Europe ou les USA accueilleront-ils pour autant tous les jeunes humains qui fuient la guerre, l'extrême misère ou la torture ? Non ! Les Syriens arrivés à Calais sont, aux yeux des autorités françaises et anglaises, d'abord des illégaux. À Lampedusa, (dont on parle aussi pour le prix Nobel de la paix, et ce n'est pas un hasard, tant est grand le malaise !) on mourait par centaines au large de l'île, bien avant le drame récent, et nombre de survivants, à la belle étoile, n'avaient pas une couverture pour s'abriter du froid et de la pluie dans certains centres d'accueil-rétention.

En quel monde vivons-nous où se camoufle, sous les mots choisis, habiles et perfides, une volonté de rejet de tous ceux qui ne se soumettent pas aux lois du marché et à notre mode de vie ethnocentrique (dont le modèle US n'est qu'un sous-produit, résultant de l'histoire coloniale, esclavagiste et ultra-violente) ?

Sauver l'occident de lui-même, (car nous en faisons partie et nous sommes directement concernés !) c'est résister à cette glissade vers le « tout-fric », la justification du pire par le gain et le profit. Sauver l'occident de lui-même, c'est refuser de laisser associer le meilleur de notre civilisation à un système dominant auquel le monde entier devrait se soumettre sous peine de sanctions économiques ou militaires. Sauver l'occident de lui-même, c'est se révolter contre une gestion des affaires des hommes qui voit, en chaque citoyen, ( en dépit de l'apport des philosophes, depuis Montaigne et La Boétie jusqu'aux Encyclopédistes et Rousseau ), soit un consommateur soit un employé, avant de voir en lui un semblable et un frère. Sauver l'occident de lui-même, c'est se rebeller afin d'empêcher que s'effectue, élection après élection, le détournement pervers de la démocratie qui transforme chaque électeur en auteur de son propre malheur. Sauver l'occident de lui-même, c'est rompre avec la fatalité d'une organisation sociale qui ne tient plus que par la force des armes, incapable de donner espoir à ses enfants, aveugle face à la finitude d'une planète à laquelle on ne donne pas le temps de se reconstituer.

La rupture n'est qu'un sauvetage désespéré mais urgent. Il est grand temps de vivre autrement, loin des apparences que les médias aux ordres nous font confondre avec la réalité. Il est indispensable de vivre hors de l'univers des partis et de tous les organismes conservateurs qui ne regardent pas plus loin que le temps d'un mandat électoral. Ce sera une épreuve pour tous ceux qui ont confondu le confort et la civilisation. Mais il n'y a plus d'autre choix que celui-ci : vivre de peu pour vivre mieux. Rien de neuf, en cette exigence. On le savait depuis plusieurs décennies mais, cette fois, on est placé devant la dernière échéance : pour l'espèce humaine, le délai est expiré. Le mode de vie occidental actuel nous détruit. Ou bien des événements très cruels nous contraindront d'y renoncer, ou bien nous accepteront la radicalité que nombre de scientifiques dont ceux du GIEC, mais aussi bien d'autres sages, nous exhortent d'accepter. Les puissants sont devenus impuissants. Place aux modestes et aux simples. Passons de l'indignation à la rupture. Ne nous laissons plus manipuler, prenons enfin nos vies en main !


Oser et réussir


lundi 23 septembre 2013

Le retour d'Ivan illich




Le 21 septembre, dans la mairie du 2e arrondissement de Paris, l'association Rêvolutives organisait une rencontre autour de Thierry Paquot, auteur d'un livre, Introduction à Ivan Illich, paru en 2012.

Qu'il faille proposer une introduction à la pensée d'Ivan Illich peut surprendre mais le long silence fait sur son œuvre le justifie.

On en est resté au souvenir vague de ses livres "scandaleux", parus dans les années 1970 et notamment Pour une société sans école (alors qu'Illich proposait tout autre chose : "déscolariser la société", c'est-à-dire cesser de s'en remettre à la seule école pour apprendre) ! Pas de suppression de l'école donc mais la fin de l'école obligatoire, ce qui est tout différent ; l'informatique, à ses débuts  lui avait d'ailleurs semblé une occasion de formation à ne pas négliger. (Il n'eut sans doute pas apprécié le "décérébrage" que permet, aussi, aujourd'hui internet). Toujours est-il qu'avec ses 500 000 exemplaires vendus en France, Pour une société sans école fit connaître et discuter Illich et ses écrits successifs.

Illich se rendit célèbre aussi par son autre livre sur La convivialité, (un mot qui lui aurait été suggéré par Lévinas). Le convive, pour Illich, n'était pas le commensal mais "le partageux", celui avec qui il fait bon vivre, celui qui aide à vivre sans heurt, dans le respect d'autrui, dans la création.

Illich (1926-2002) est de la même génération que les nonanagénaires qui ont, comme lui, annoncé la société qui s'assume, qui se responsabilise, qui s'éduque, qui s'autonomise, qui s'apaise, qui se planétarise, qui se "désoutille".

Car Illich fut l'un des tout premiers à penser et à écrire que les institutions peuvent enfermer les hommes dans un conformisme fatal à la pensée et à l'évolution sociale. Sa critique de l'église catholique, à cet égard, lui qui fut séminariste et prêtre, est à la racine de sa mise en cause des outils qui finissent par produire le contraire de ce que pourquoi elles ont été créées : l'école et l'université, l'hôpital, l'automobile... Quand la skole ne permet plus la connaissance de soi et d'autrui, quand La Némésis médicale (autre livre scandaleux) fait du corps la matière d'une entreprise gigantesque et du médicament une marchandise, alors la société se délite.

Et pourtant Illich, ni marxiste, ni écologiste, ne donne de leçons à personne. Il n'y a pas de doxa illichienne. En véritable intellectuel, éloigné de ceux des universitaires qui ne produisent pas de la pensée mais la répète, il n'a cessé de réévaluer d'un point de vue critique son œuvre. Quand les éditeurs ont cessé de publier ses travaux (il "ne faisait plus 3000" ventes !), il n'a pas renoncé à écrire et à multiplier les conférences.

Illich est de retour si l'on comprend que sa quête permanente, une fois passée ce qu'il a appelé "ma période des pamphlets", redevient d'actualité. Mieux vaut ne pas rater sa vie que de changer la vie. Cet itinérant, sans logis fixe, parlant et travaillant dans une quinzaine de langues, qu'on a pu rencontrer dans les Amériques comme au Japon ou dans différents pays d'Europe n'avait pas besoin de prêcher la révolte pour bouleverser les comportements. On ne sortait pas indemne d'une rencontre avec lui et nombre de penseurs contemporains lui doivent d'être ce qu'ils sont, imprégnés d'une pensée insoumise et d'une rigueur sans rigidité.

Illich est de retour parce qu'il incite encore à sortir des systèmes qui paralysent et il n'est pas besoin de prononcer le mot capitalisme pour comprendre que le système économico-libéral est tout simplement obsolète. Gorz le pensait avec lui.

Illich est de retour parce que le relire à la lumière de données contemporaines, qu'Illich n'a pas connues, tout s'éclaire et ses intuitions sont revivifiées. Ses "pamphlets" eux-mêmes (ses écrits de la première période, les plus lus) trouvent un nouveau sens. Ses œuvres suivantes, moins accessibles, sont à leur tour approchées, découvertes et méditées.

Illich est de retour pour ceux qui voient en lui l'un des tout premiers à avoir agi sans parti, sans pétitions, inclassable, irrécupérable, mais capable de donner un sens politique à l'amitié telle qu'il la voit et qu'on peut sans doute rapprocher des Politiques de l'amitié de Jacques Derrida.

En ces temps d'incertitude Illich nous apprend la fécondité du silence. Se taire un temps n'st pas renoncer mais approfondir. À ceux qui désespèrent dans un monde de la futilité de l'exploitation et donc de la violence, Illich répète que ce n'est jamais temps perdu que de conquérir une autonomie qui n'est pas égotiste et il continue d'en fournir les voies.




mardi 17 septembre 2013

La révolte des nonagénaires



Ils ont 90 ans ou plus ou un peu moins. Ils ont beaucoup écrit au cours de leur  vie de sociologue, ethnologue ou philosophe. Ils s'éteignent l'un après l'autre. Tous disent (ou ont dit la même chose, il a peu) : notre civilisation est indigne d'elle-même et s'autodétruit, faute de vouloir regarder la réalité en face : c'est l'action des hommes qui nuit à la Terre entière ! Le constat est terrifiant mais il n'est pas désespéré car, même si l'espoir est ténu, il existe.

Cornelius Castoriadis (1922-1997)1, Viviane Forrester (1925-2013)2, André Gorz (1923-2007)3, (Stéphane Hessel (1917-2013)4, Albert Jacquard (1925-2013)5, Claude Lévy-Strauss (1908-2009)6, Jean Malaurie (1922-....)7, Edgar Morin (1921-....)8, Michel Serre (1930-....)9, Alain Touraine (1925-....)10, pour ne parler que des auteurs français, expriment tous, chacun à sa manière et avec sa sensibilité, le même diagnostic : le système économico-libéral est à bout de course ; la non prise en compte des analyses écologistes ne nous conduit pas vers le mur car nous sommes déjà entrés dedans ; une mutation est amorcée dont, actuellement, nous ne savons pas encore où elle nous conduit ; il y a folie chez les hommes et feu sur la terre ; et pourtant, nous ne voulons pas le savoir car nos habitudes l'emportent sur notre lucidité.

Presque tous de la même génération, ces auteurs expriment une angoisse : eux qui sont nés entre les deux guerres mondiales (sauf le centenaire, Claude Lévy-Strauss, né avant la première) interrogent leur temps : l'humanité est-elle donc condamnée à ruiner les meilleures de ses espérances et à vivre dans les guerres permanentes, vives ou pernicieuses, qui la font s'abîmer dans des gouffres sans fond ?

À les lire ou relire, on n'éprouve pas le sentiment que tout est joué, que la catastrophe va tout emporter, mais que le risque d'un échec total existe. Ce qui est sûr, c'est qu'il est vain de continuer à penser en faisant usage de mots fourre-tout auxquels on fait dire ce qu'on veut et qui ne permettent plus de se comprendre. « Gauche » et « droite » ont sombré dans cette catégorie et, depuis peu : « démocratie ». Ces vocables qui ont eu un sens des plus clairs, n'en ont plus ou se sont usés jusqu'à la trame. Il faut en inventer d'autres qui décriraient mieux les aspirations politiques.

Nul ne peut plus ignorer que la croissance est une fuite économique en avant qui ne peut que se fracasser sur les limites terrestres, mais le mot croissance fait partie du vocabulaire obligé ; c'est un vocable « sacré » dans la religion économiciste.

Nul ne peut plus ignorer qu'on peut produire toujours davantage avec toujours moins d'emplois, mais le mot emploi fait aussi partie du vocabulaire obligé ; c'est un vocable attaché, enchaîné, collé à celui de revenu. Dès lors, s'en détacher c'est perdre ses ressources car le non-emploi, appelé chômage, aboutit, dit-on, à... la rue !

C'est contre ces fausses évidences-là que se sont dressés les nonagénaires, que se sont exprimés les sages auxquels on veut bien donner une place dans la littérature mais surtout pas dans notre culture, car tenir compte de ce qu'ils disent contraindrait à chercher une autre voie (comme dit Edgar Morin).

Parce qu'on ne sait où aller, on reste au cœur de l'incendie ! Tant que les brûlures ne seront pas trop douloureuses, on restera planté là, paralysés, convaincus qu'i y a trop de risque à bouger, bloqués dans la fournaise du système économico-libéral pourtant pire que le capitalisme des deux siècles passés.

 Avec sept milliards d'humains sur Terre et alors que le ratio entre le revenu moyen par habitant dans les 20 % pays les plus riches et les 20 % les plus pauvres est passé de 30, en 1960, à 74 en 1997, tout est réuni pour que la marmite planétaire explose. 

« La sortie du capitalisme aura lieu d’une façon ou d’une autre, civilisée ou barbare. La question porte seulement sur la forme que cette sortie prendra et sur la cadence à laquelle elle va s’opérer », écrivait André Gorz, en 2007, juste avant sa mort. Pour ce qui est de la barbarie, elle s'étale déjà sous nos yeux, mais, dans le même temps, on ne saurait arracher toutes les pousses des plantes régénératrices qui, partout, sortent de notre Terre. C'est ce qu'annonce l'appel à la révolte des nonagénaires, une révolte-indignation qui est devenue révolutionnaire, non par violence mais par retournement des contre-valeurs qui ont été instillées par la société des nantis.

Puissent « les vieux » nous inspirer tous.

1   Castoriadis Cornelius, Une Société à la dérive, entretiens et débats 1974-1997, Seuil, Paris, 2005.
2   Forrester Viviane, L'horreur économique, Fayard, Paris, 1996 et La promesse du pire, Seuil, Paris, 2013.
3   Gorz André, Ecologica, Galilée, Paris, 2008. Édition posthume.
4   Hessel Stéphane, Indignez-vous, Montpellier, Indigènes éditions, 2010.
5   Jacquard Albert, Réinventons l'humanité, avec Hélène Amblard, postface de Serge Latouche, Sang de la Terre, 2013.
6   Lévy-Strauss Claude, Nous sommes tous des cannibales, Paris, Seuil, 2013. Édition posthume.
7   Malaurie Jean, Terre Mère, Paris, CNRS Éditions, 2008.
8   Morin Edgar, La voie, Fayard, Paris 2011.
9   Serre Michel, Biogée, Éditions-dialogues.fr/Le Pommier, Brest/Paris, 2010.
10 Touraine Alain, La Fin des sociétés, Seuil, Paris, 2013

dimanche 15 septembre 2013

Le visionnaire d'une utopie réaliste.


On rend partout hommage à Albert Jacquard. Est-ce seulement l'homme qu'on admire, l'ampleur de son intelligence, la force de ses engagements, l'immensité de ses savoirs, reconnues et saluées y compris par François Hollande, au nom de tous les Français ?

Ne perdons-nous pas, avec Albert Jacquard, plus que cela : la voix de celui qui savait exprimer et fonder les grands choix de ceux qui veulent rompre avec un modèle de société qui, tout à la fois, est devenue infidèle à ses propres valeurs et s'attache à des contre-valeurs ? Cesser d'être des prédateurs, des dominateurs, des avides est possible n'a-t-il cessé d'exposer et de tenter de prouver.

Avec le silence d'Albert Jacquard nous allons, pour quelque temps, perdre du poids et de l'énergie car nous ne saurons pas, d'ici longtemps, comme lui, peser sur les événements et les idées qui font bouger le monde. Il nous fait, cependant, obligation sinon de le remplacer du moins de prendre sa suite.

Pour ne retenir que quelques idées-force qui n'ont pas encore atteint la conscience d'une majorité de nos contemporains, et sur lesquelles insistait « le Professeur », citons celles-ci :

• Nous sommes tout prêts d'avoir atteint nos limites1. Une croissance infinie est incompatible avec une planète finie. « La mutation dans laquelle nous nous trouvons implique l'urgence pour nous tous d'élargir notre concept de l'humanité. /.../ Deux solutions : ou nous disparaissons, ou nous sommes les primitifs des humains qui nous regarderont dans deux mille ans ». Heureux les primitifs, ceux qui seront les premiers à promouvoir une humanité nouvelle, moins violente à l'égard d'elle-même et de notre planète sans qui nous ne sommes rien!

• Le culte de la compétition, tout comme le culte de la croissance, fonde un système économique et culturel ravageur. « Réussir est devenu l'obsession générale de notre société, et cette réussite est mesurée par notre capacité à l'emporter dans des compétitions permanentes. Il est pourtant clair que la principale performance de chacun est sa capacité à participer à l'intelligence collective, à mettre en sourdine son « je » et à s'insérer dans le « nous », celui-ci étant plus riche que la somme des « je » dans laquelle l'attitude compétitive enferme chacun. Le drame de l'école est d'être contaminée par une attitude de lutte permanente, qui est à l'opposé de sa finalité ».2 Éduquer n'est pas juger mais être le complice et le soutien de celui qui s'élève et sort de l'enfance.

• S'approprier une connaissance c'est la faire entrer en soi mais si s'approprier devient garder pour soi, alors c'est nuire. L'appropriation des richesses, des sols, du savoir est un accaparement, une privation d'autrui, une privatisation d'un bien commun exclu du partage. La propriété d'objets utiles est ce dont on a l'usage en propre pour vivre dignement et sans excès ; on ne possède pas la Terre. « Au mépris des cultures dites primitives ignorant l'appropriation et la compétition, nous avons mis en place un système culturel, économique, financier conduisant à la négation d'une grande part des potentialités humaines » affirme Albert Jacquard dans le dernier de ses livres.3

Après les philosophes, sociologues, ethnologues, connus et reconnus mais oubliés ou méprisés par les puissants et les riches, Albert Jacquard, dans la lignée des penseurs français du XXe siècle, tels notamment Marcel Mauss, Jean Malaurie, André Gorz, nous laisse un message : ou bien le don, le partage, l'égalité des hommes, la connaissance et le respect de la nature cesseront d'être des bonnes paroles doublées de bonnes intentions jamais réalisées, ou bien c'en est fait de notre espèce devenue capable de s'autodétruire. 

Il n'est d'autre inspiration des politiques qui vaille car il y a, désormais, incompatibilité entre, d'une part, la vision du monde qui, actuellement, domine et motive les actes de gouvernement et de gestion des rapports humains et, d'autre part, la vision du monde qui porte loin les regards et prépare, tout de suite, une vie collective et planétaire débarrassée de son moteur principal : le profit individuel lequel fait de chacun de nous un petit ou un grand prédateur.

1  Albert Jacquard, L'équation du Nénuphar, Calmann-Lévy, 1998.
2  Albert Jacquard, Mon utopie, Stock, 2006.
3  Albert Jacquard et Hélène Amblard, Réinventons l'humanité, éditions Sang de la Terre, 2013.



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