dimanche 8 juillet 2007

Défaites et victoire.

C'est ainsi. Et c'est fort désagréable. Avant toute victoire, il faut avoir subi maintes défaites.

Et encore! Il ne s'agit jamais de LA victoire, finale, définitive... Moins encore de la Victoire, avec une majuscule, celle qui marque à jamais l'histoire.

Les victoires, les grandes, les militaires, sont toutes le signe de l'échec de l'homme.

Non, je veux parler d'une petite victoire, celle qui, simplement, -mais c'est immense-, redonne du goût à la vie, celle dont on peut se réjouir sans honte, celle qui laisse satisfait et n'humilie personne.

Exemple.

Des enfants rroms sont interdit d'école dans la plaine de Pierrelaye (Val d'Oise). Leur savoir, acquis en famille, ne suffit plus. Pour entrer dans le pays où ils vont vivre, il leur faut parler, lire, comprendre le français. Leurs parents l'ont compris. Ils cherchent donc à les inscrire dans une école, proche, où ils rencontreront des enfants de leur âge. Seulement, voilà: le maire de la ville concernée, Méry-sur-Oise, se refuse à laisser inscrire des enfants qui vont, croit-il, perturber l'école communale, et, surtout, vont fixer les familles alors que la plupart des habitants voudraient les voir partir. Défaite.

Il est, cependant, des Français pour ne pas accepter ça. Notamment des enseignants qui ont pour fonction de se porter vers ceux qui ne peuvent se rendre à l'école. Les camions-écoles de l'Association pour la scolarisation des enfants tsiganes (ASET) ont donc été conduits vers les campements de familles roumaines en attente de scolarité. C'était pénétrer dans une zone désormais interdite, en tout cas d'accès limité, protégée, et dont a peine à dire qu'elle est "naturelle" tant elle est polluée. Dans un premier temps, les gendarmes verbalisent. Défaite.

L'ASET se rebelle, et avec elle des citoyens révoltés par cette absence de considération pour de jeunes humains qui ont droit à vivre et à connaître. Elle saisit les autorités académiques départementales, exige de pouvoir aller remplir sa mission, sans avoir à payer l'amende accompagnant les procès-verbaux. Victoire, très provisoire.

La même ASET, avec courage, toujours soutenue par des organismes et habitants de la proche région, saisit le Tribunal administratif de Cergy, puisque la loi n'est pas respectée et que le droit à l'instruction est bafoué. Les magistrats estiment que pareille requête ne peut être effectuée que par les familles elles-mêmes et par le truchement d'un avocat. Défaite.

Les maires des communes constituées en Syndicat, sur la Plaine de Pierrelaye, se retrouvent autour du Préfet après lui avoir écrit: ils déplorent l'inaction de l'État qui laisse perdurer la présence nuisante et intempestive des familles roms roumaines. Ils constatent que depuis le 1er janvier 2007, ces importuns sont devenus citoyens européens et ne peuvent être expulsés de France si facilement. Qu'à cela ne tienne : les délinquants, eux, peuvent être chassés. On les réputera tels. Tous. Et si ça ne suffit pas, on les harcellera par tous les moyens. On ne leur facilitera aucun accès (à l'eau, à l'électricité, aux bennes à ordures, aux soins, à l'école donc, -et pas même au terrain où sont regroupées en bidonvilles les ex-caravanes, sous peine de P-V). Défaite.

Et pourtant, ces manœuvres rétrogrades ne serviront à rien. Tôt ou tard, elles deviendront inopérantes. Qui aurait dit, dans les années 1960, que les bidonvilles surpeuplés de Portugais, à proximité, -par exemple dans l'île fluviale du Bras Favé, à Conflans-Sainte-Honorine-, disparaitraient et que ses habitants feraient souche, dans la région? Les Roumains resteront en France en dépit des expulsions qu'on effectuera "pour briser les mafias" (car tous les Rroms sont des mafieux, c'est bien connu : nos édiles l'affirment...!). Les enfants seront, progressivement, scolarisés. Les quelques milliers de Tsiganes étrangers (roumains, bulgares, cossovars, macédoniens...) ne seront plus distingués des centaines de milliers de Tsiganes français. Les maires qui se seront acharnés à empêcher les installations de familles rroms ne réussiront qu'à les faire déplacer, et pas toujours à distance de leurs communes! Victoire? Triste victoire!

Triste victoire parce que, pendant des années, les enfants concernés, et leur parents, vont continuer de mener une vie misérable, dont il eut été, de toute façon difficile de les aider à sortir, et qui s'enfonceront peu à peu dans une nouvelle marginalisation, aggravée par des transformations sociales auxquelles ils ne sauront comment s'adapter. Quelques familles deviendront, plus vite, francophones et s'installeront dans des logements sans confort dont ils se contenteront. Courte victoire.

Oui, tous ces combats d'arrière-garde (de la part de beaux esprits que n'intéresse nullement le sort lamentable d'Européens devenus les parias de nos sociétés confortables) sont voués à la défaite.

Mais à quel prix la victoire des tenants de l'hospitalité? Au prix, en négatif, de la solitude, de l'incompréhension, parfois du mépris... Au prix aussi, en positif, de l'amitié entre tous ceux qui ont fait le choix de la solidarité active. Au prix de la rencontre d'une population qui, pas plus qu'une autre, ne saurait être jugée d'après ses insuffisances et ses fautes, et auprès de laquelle on peut aussi apprendre à vivre mieux. J'en témoigne.

Et cette toute petite victoire là, cette goutte d'espoir, je la tiens, en réalité, pour l'une des plus grandes.

Archives du blog

Résistances et romanitude

Résistances et Changements

Recherche Google : rrom OR tsigane