dimanche 22 juillet 2012

Quand les indignés s'adressent aux insensés

Quand, le 20 mai 1850, Victor Hugo, monte à la tribune de l'Assemblée législative, Alexandre Dumas vient de lui envoyer un message : "Dites leur qu'ils sont insensés" (1). À cette époque, alors que le suffrage universel masculin venait d'élargir, en 1848, d'un coup, le corps électoral de 200 000 à 9 millions de citoyens, les élus "modérés" et conservateurs avaient réussi à le restreindre d'un gros tiers. Se trouvaient ainsi exclus les chômeurs et les petits délinquants, condamnés pour des infractions même minimes et spécialement politiques.

Avec Hugo, la poésie donne corps à la politique !

Le suffrage universel (théorique, nous y reviendrons) ne fut accordé, en France, qu'avec le droit de vote accordé aux femmes, aux lendemains de la seconde guerre mondiale. Insensés étaient bien ceux qui pensaient pouvoir interdire aux "mineurs" (comprendre ceux qui sont dominés) d'accéder à la liberté de voter. Mais Hugo allait plus loin. Il y a, dit-il, dans l'histoire de la révolution "plus de terre promise que de terrain gagné". Il ne faut pas voir, là, une marque de résignation. Hugo eut fait partie des indignés et non des résignés. N'écrivait-il pas, en 1876 : "Impossible, à moins d'y ajouter le rêve, de compléter, dès aujourd'hui, ce qui ne se complétera que demain et d'achever l'histoire d'un fait inachevé, surtout quand ce fait contient une telle végétation d'événements futurs". Les indignés sont ceux qui réussissent à faire entrer le rêve dans la réalité.

Et le rêve, c'est la fraternité. "Liberté, Égalité, Fraternité" est la devise nationale de la France depuis 1848. Cette expression reprend les idées de liberté et d'égalité qui sont contenues dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, votée en août 1789 par l'Assemblée Constituante l', mais l'idée de fraternité, est apparue officiellement plus tard, dans le préambule de la Constitution de 1848, rédigée pour la mise en place de la Deuxième République. Elle fut adoptée comme devise officielle le 27 février 1848, grâce à Louis Blanc.

 
La fraternité en économie, c'est la création d'une République des égaux.

Faut-il considérer que la fraternité, en politique, est liée au romantisme du XIXème siècle dont Hugo fut le génial porte-parole jusqu'à la tribune du parlement ? Non pas, mais redonner sens à la devise de la République n'a jamais été aussi actuel, urgent et nécessaire. La liberté est devenue celle des riches ; l'égalité a fondue devant les soit disant contraintes économiques ; la fraternité se réduit aux bons sentiments quan la charité précède la justice.

Aussi faut-il s'indigner, non pour lever les bras au ciel et se livrer à je ne sais trop quelle déploration mais pour refuser catégoriquement des reculs historiques qui risquent de nous conduire vers une barbarie nouvelle. Les insensés, qu'ils soient ceux qui profitent de ce qui est la cause même de nos régressions, ou qu'ils soient les ignorants qui ne voient rien venir (voire les deux à la fois quand la cécité devient complicité), ne peuvent espérer bénéficier longtemps de cet "après moi le déluge" aux conséquences tôt ou tard meurtrières.


L'indignation active est d'abord lucidité, une lucidité à laquelle il n'est pas interdit d'inviter les insensés.
 Le pouvoir réel appartient aux sans pouvoir : 99% de  l'humanité.

L'urgence, car urgence il y a, n'est pas d'abord dans la critique de l'action gouvernementale mais dans le rappel des défis à surmonter dont dépend le sort de l'humanité sous 20 ans.

Ce qui importe c'est l'affirmation d'une politique qui a déjà souffert de trop nombreux compromis. les principaux sont les suivants :

 • la politique nucléaire est irresponsable.
        - au plan militaire, la dissuasion n'est plus un outil de défense adapté aux périls de notre temps et aucun pays doté ne menace la France
        - au plan économique, l'énergie nucléaire recule partout ; elle n'a plus d'avenir.
 • la politique de croissance, à tout moment prônée, ne peut qu'être, en occident, démentie par les faits. Nous avons commencé à le constater. On ne fera pas marche arrière.
 • la défense de l'emploi, tel que la préconisent les syndicats et la plupart des partis politiques, est intenable. On ne sauvera l'emploi qu'en en changeant la nature. Des activités entièrement nouvelles sont à promouvoir, notamment pour substituer aux gaspillages des productions beaucoup, plus sobres en énergie.
 • l'écologie n'est plus l'une des dimensions de la politique ; c'en est le cœur ; cette évidence qui n'est pas encore comprise va s'imposer.
 • il n'y a pas de démocratie moderne concevable, puis durable,
en France, sans une modification constitutionnelle fondamentale, "déprésidentialisante et "abolissant le privilège insensé du cumul des mandats.
 • l'égalité des hommes n'autorise plus, nulle part, la domination masculine.
 • la lutte locale et mondiale contre les effets de l'action humaine sur le climat n'est plus susceptible d'atermoiements. L'espèce humaine s'est mise en péril. L'instinct de survie doit l'emporter sur le goût du lucre.
 • La mise au pas des banques qui tiennent les politiques sous leur joug, dissipent les moyens budgétaires et mondialisent la fraude est devenue vitale. Les informations récentes faisant état d'immenses prévarications risquent de rester sans suite si les peuples ne s'indignent pas toujours davantage. Oui "nous sommes les 99%" qui dépendent du 1% maître de l'économie mondiale...
 • L'Europe qui agit sous nos yeux n'est pas une Europe sociale ; elle est ce que nous voulions éviter qu'elle devienne en 2005 en votant non : l'Europe des marchés. Elle étrangle les peuples qui ne sont pas coupables des erreurs de gestion de leurs gouvernements anciens et actuels. Une autre Europe est non seulement possible ; elle est indispensable sous peine de mettre fin à la construction européenne elle-même.
 • Les enjeux ne sont plus des enjeux électoraux à 5 ans. Les décisions à prendre (dès demain si possible !) engagent les décennies prochaines ! Les luttes politiciennes sont obsolètes.
 • La "sobriété", indispensable, qui n'est ni la rigueur ni l' austérité, ne se décrète pas. Elle résulte d'un changement culturel, philosophique, économique que rien n'annonce. Il n
'est pourtant point d'autre voie à emprunter que cette éducation populaires complète que les outils de communication modernes peuvent faciliter et accélérer.
 • Aucun parti, lequel n'est bien qu'une partie (fort mince) du peuple souverain, n
'est en mesure d'engager cette politique-là. La révolution politique et culturelle qui est à privilégier ne peut se faire ni dans la violence ni l'autoritarisme.

 Né voici 300 ans ! Rousseau, reviens on a besoin de toi...

Car, il reste à faire surgir le temps de la mise en œuvre pour réaliser l'utopie poétique des philosophes. Qui dit que c'est impossible est un insensé ou un résigné, pas un indigné.

(1) Jean-Noël Jeanneney, Hugo et la république, Paris, Gallimard, 2002, p.15.

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