lundi 11 novembre 2013

Du religieux et des religions


 J'ai, assez souvent, distingué entre le religieux et les religions. J'ai même estimé que les religions éloignent du religieux. Il est temps de préciser ces affirmations.

Le religieux relie. C'est le domaine, propre à l'humanité, où chacun s'interroge sur ce à quoi il se trouve relié : le cosmos (dont on ne cesse de constater l'étendue vertigineuse), les autres humains (du moins les plus proches, d'où le vocable de prochain), la nature tout entière (où s'épanouit la vie dans toute son impressionnante complexité), le monde animal (dont nous faisons partie, comme mammifères), l'histoire (qui nous rattache au passé événementiel et à nos propres ancêtres).

Les religions séparent mais peuvent conduire au religieux. Les approches culturelles, linguistiques, politiques du domaine religieux ont donné naissance à des regroupements communautaires ayant leurs traditions, cultes et dogmes dont les contenus, différents, parfois d'une grande richesse intellectuelle et sensible, se sont trouvés affrontés au nom de vérités, transmises ou dites révélées, ne souffrant guère discussion. Le thème de la révélation peut contenir une perversion radicale dès lors qu'il est affirmé qu'il n'y a plus qu'à se conformer aux exigences de la parole même de Dieu communiquée par ses prophètes.

La volonté d'appropriation de la vérité religieuse par les églises, mosquées, temples, pagodes, synagogues, avec, parfois, intransigeance et subtilité mêlées, a pu conduire, et conduit encore, à d'extrêmes violences. Alors, les liens de l'unité du genre humain se rompent, la sphère du religieux se brise ou, tout au contraire, ces mêmes liens qui nous attachaient, positivement, les uns aux autres, dans une même histoire terrienne, nous lient au lieu de nous relier et, négativement, s'entrelacent jusqu'à étouffer la connaissance !

Cette contradiction majeure qui entraine de l'amour à la haine, de la recherche de la fraternité à l'obstination sectaire, est une donnée historique constante. Les guerres de religion auront été et demeurent, j'y insiste, fondées sur la certitude que le Coran ou l'Évangile ou la Thorah ou tous autres livres "sacrés" constituent des trésors intouchables.

Il y a là les causes de désordres et d'horreurs qui ont laissé des blessures historiques dont nous continuons de souffrir (les Croisades ont été monstrueuses, mais aussi les conflits entre chiites et sunnites, les pogroms qu'ont subi les Juifs et, en Asie, des massacres tout aussi affreux). L'exaltation de la foi peut mener au fanatisme et le fanatisme au meurtre. Ce sont, de nos jours, des dérives bien connues et, dans ces logiques obscurantistes, le phénomène religieux est dissous, détruit, rendu inabordable...

Il n'en reste pas moins que l'inversion des apports des fondateurs constitue une rupture entre le religieux et les religions. Pour n'évoquer que la seule religion que je connais un peu, puisque c'est celle dans laquelle mon enfance a baigné, la religion catholique (qui n'est pas stricto sensu le catholicisme), il est ahurissant que le Pape François ait dû rappeler, après François d'Assise, que la pauvreté est une valeur fondatrice de l'Église se réclamant de Jésus-Christ ! 

Il y aurait dix raisons à évoquer pour justifier l'affirmation d'une rupture radicale entre religion et religieux en milieu chrétien. Il s'agit de bien autre chose que d'infidélités ! L'argent (avec le scandale des affaires bancaires, au sein de la Curie romaine, dont on est loin encore d'être sortis), le sexe (avec, imprévisible pour moi, la révélation, au cours des décennies récentes, du gigantesque crime de la pédophilie), la guerre (avec, et entre autres, c'est le moment de le rappeler, la bénédiction des armes par les aumôniers français et allemand, pendant la grande boucherie des années 1914-1918), le pouvoir (avec les compromissions ouvertes ou secrètes avec des fascismes - espagnols, chiliens, argentins...-). bref, la trahison du Christ, "par pensée, par actions et par omissions", est une évidence douloureuse mais flagrante.

Les chrétiens ne sont pas les seuls à devoir effectuer ce constat de rupture. 

Des Juifs, qui furent pourtant, eux-mêmes ou par leurs ascendants, parmi ceux des hommes qui ont eu le plus à souffrir de l'inhumanité de leurs contemporains, avant, pendant et après la seconde guerre mondiale, prétendent aujourd'hui justifier, au nom du judaïsme, une politique d'État qui est, de fait, un néo-colonialisme à prétention théocratique qui ne peut conduire qu'à un drame sans nom, d'ici moins d'un demi-siècle. L'instrumentalisation politique de la religion et même, - à mon avis, j'en conviens - le caractère caricatural de mœurs et coutumes coupées du réel, au sein d'un peuple que je sais néanmoins de haute culture, rend difficile, en Israël, un questionnement religieux véritable lequel ouvre sur sur le monde entier et ne replie pas sur quelque nationalisme que ce soit.

Les trois religions du Livre ne sont pas à la fête, en notre temps, car les islamismes semblent bien, eux aussi, s'éloigner de l'Islam ! Ni le Coran, ni la Bible, ni la Thora ne justifient, pour qui sait les lire, le recours à la violence. Dans le Coran on a puisé, pourtant, de quoi conduire vers un djihad qui n'est plus un effort sur soi pour se grandir en humanité, mais qui est le don total de soi pour faire triompher, s'il le faut par la force, la cause musulmane. On conçoit que pareil glissement de sens entraine ailleurs que vers la quête du bien. L'Islam a été, au cours de l'histoire, générateur de science, d'art, de tolérance et d'approche religieuse finement pensée, et pas seulement de conquêtes ! Il y a rupture, à cet égard, et cette fois non seulement entre religieux et religion mais entre des conceptions de la religion musulmane actuellement incompatibles !

Dans d'autres parties du monde, les mêmes causes produisant les mêmes effets, des affrontements sanglants ont lieu, au nom de religions. En Inde, ce fut, cette fois, les Musulmans qui en firent les frais, pourchassés qu'ils furent par des Indous fort peu non-violents. 

Inutile de tenter ici un inventaire. La cause semble entendue : partout ou l'affirmation d'une religion masque une volonté de pouvoir, l'homme devient un meurtrier. Et la question fondamentale que cela pose est celle-ci : toutes ces forfaitures, des "fidèles" autant que des "directeurs de conscience", quelle que soit la religion considérée, ne conduisent-elles pas des humains de... bonne foi à renoncer à affronter les interrogations fondamentales que tout homme qui pense rencontre ! C'est là un drame.

Le religieux emplit la conscience des humains depuis la plus haute antiquité. Que les religions, peu ou prou, nous en détournent met l'humanité tout entière en danger.



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