dimanche 27 juin 2010

Il y a précaution et précaution


Dans l'essai Politique de Cassandre, Jean-Christophe Mathias met ainsi en évidence que « la responsabilité politique ne consiste à intervenir ni en aval de la catastrophe comme nous y oblige le développement techno-scientifique, ni en amont de la catastrophe et en aval des causes de cette catastrophe comme nous y incite le principe de précaution, mais en amont des causes de la catastrophe. » (1)

Pour Dominique Lecourt, le principe de précaution s’inscrit dans le contexte plus général des discours apocalyptiques de gauche et de droite qui philosophent à bon compte sur les menaces qui pèseraient sur l’existence même de l’espèce humaine et en tirent des conclusions immobilistes. De là, le soupçon qu’on fait « de principe » peser sur les chercheurs, et, accessoirement, sur les industriels. De là, surtout la tentation de traduire cette philosophie en règles juridiques ou para-juridiques (2). Il a raison, sauf que son discours peut conduire aussi à des "conclusions immobilistes"...

La réalité me semble plus cynique : d'un côté, l'on a peur de faire, de changer (avant même de savoir quelle est l'ampleur des risques), de l'autre, on a peur de se voir interdit (au nom de risques réels, ou pas) de faire ce qui fournit profit. Le discernement est alors absent. Là où Hans Jonas vise à rétablir l'usage du bon esprit critique, c'est quand il nous conjure de mieux cerner la réalité et l'étendue des risques qu'encourt l'humanité tout entière. Si précaution il faut prendre, c'est pour limiter (on ne l'interdira pas) le risque de mise à mort de notre espèce.

Qu'il y ait désaccord sur la gravité voire l'existence du risque total relève du travail de l'esprit, et dépend donc des connaissances scientifiques réunies ainsi que de notre volonté de vivre, nous et nos successeurs.

Le Catastrophisme éclairé (3) de Jean-Pierre Dupuy se comprend ainsi : il y a pire que le risque de la catastrophe, c'est la "croyance" en l'impossibilité d'une catastrophe. Le risque est moins grave que la négation du risque. La précaution ne porte pas sur la suppression du risque mais sur le choix des mesures opposables à la réalité du risque. Il y a précaution et précaution.

L'inscription du principe de précaution dans la Constitution est la meilleure et la pire des choses. La meilleure ? L'activité humaine libre ne peut pas tout se permettre. La pire ? La banalisation de la précaution la rend inutile ou ridicule. Un texte qui ne s'impose pas dans les faits et les esprits se meurt. La Charte de l'Environnement depuis 2005 dans le préambule de la Constitution n'a pas encore la force d'une ardente obligation. Elle ne sert à rien. À moins que... la prise de conscience de ce qui attend les hommes ne revivifie la volonté de prendre, comme précaution, l'abandon de ce qui est cause majeure de risques supérieurs à tous ceux que l'histoire nous a révélés, jusqu'ici..

Le mythe de Cassandre a été mal compris ! Pas étonnant : il gêne ceux qui croient que l'avenir ne peut qu'être bon. Cassandre, hélas, avait raison... La faire mentir ne consiste pas à nier ce qu'elle dit mais à rendre impossible ce qu'elle annonce !

(1) - Jean-Christophe Mathias, Politique de Cassandre - Manifeste républicain pour une écologie radicale, Sang de la Terre (La pensée écologique), 2009
(2) - D. Lecourt, « Le nucléaire et le principe de précaution », Fondation Res Publica, le 24 janvier 2006, Maison de la Chimie (Paris). http://www.fondation-res-publica.org/Le-nucleaire-est-il-une-question-de-societe-Heuristique-de-la-peur_a117.html
(3) - Jean-Pierre Dupuy, Pour un catastrophisme éclairé - Quand l'impossible est certain, Seuil (La couleur des idées), 2002

http://point-fort.com/images/livres/cassandre%20et%20guerre%20de%20troie.jpg
"Quand Cassandre affirmera avoir eu une vision de l'avenir, personne ne la croira."
Elle assiste aux préparatifs de la guerre de Troie et ne cesse pendant la guerre d'annoncer la ruine de Troie et de conseiller la paix.
On se moque d'elle. Elle s'oppose sans succès à l'entrée du cheval dans la ville.

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