jeudi 30 septembre 2010

Rigueur et modestie

La rigueur a deux faces. la modestie n'en a qu'une.

La rigueur est dure, âpre et rigide. Elle est aussi l'exigence, la conscience de la difficulté et l'honnêteté de la pensée face à l'épreuve.

La modestie est humble et simple. Elle permet d'aborder la rigueur sans effroi.

La rigueur est donc franchement haïssable quand elle est imposée, tandis que la modestie est aimable si elle est voulue.

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La situation économique actuelle exige une rigueur, mais laquelle ? Pour avoir dilapidé nos richesses et exploité sans vergogne celles des autres, nous voici, en occident, contraints de limiter notre expansion, voire de rogner sur le gâteau que nous nous étions servi. L'écologie autant que le bon sens nous ont ouvert les yeux : les pays dits riches vivent au-dessus de leurs moyens. Il faut faire des économies, donc des sacrifices. La rigueur s'impose, soit, mais à qui ?

Ce qui saute aux yeux, actuellement, c'est que la seule rigueur qui soit imposée (sans pourtant oser employer ce mot, en France) est celle qui atteint le plus grand nombre, mais pas les profiteurs, ni ceux qui ont conduit l'économie occidentale dans l'impasse où elle se trouve ! La même loi comptable est, chaque fois, appliquée : beaucoup de petites sommes prélevées permettent d'engranger davantage que peu de grosses sommes retenues. Autrement dit, faire payer les pauvres est plus rentable que de faire payer les riches. La démonstration est peut-être imparable mais les conséquences d'un tel choix sont ravageuses dans l'esprit des citoyens. Cela signifie, en effet, que le partage est interdit, que l'écart entre les revenus n'est pas près de se réduire et qu'une minorité nantie s'efforce de faire durer son plaisir, sans considération pour l'avenir. Le piège est mortel.

Je suis pour une autre rigueur. Regarder la réalité en face ne rend pas malheureux même si le constat est sévère ! La rigueur choisie (en fonction de la satisfaction des besoins essentiels), la rigueur partagée (en proportionnant les efforts aux possibilités de chacun), la rigueur morale (qui interdit de se goinfrer quand les plus démunis souffrent), ces rigueurs là sont acceptables à condition que tout marché de dupe soit écarté, autrement dit à condition qu'une ultime rigueur s'avance : celle du contrôle strict et vraiment transparent, par l'ensemble des citoyens, de la politique économique, devenue nécessaire, en cessant de donner aux médias la mission d'enfumer les esprits. "Vaste programme" eut dit De Gaulle...

La rigueur qu'impose, jour après jour, l'actuel gouvernement est condamnable parce qu'elle interdit la modestie, c'est à dire la vie simple. Elle appauvrit au lieu, j'ose l'écrire, d'enrichir (car il est d'autres richesses que monétaires) ! Elle choisit ses victimes. Elle est l'outil de la conservation des privilèges. En outre, elle donne le désir du retour au passé, ce qui ne se peut pas et, surtout, qui aggraverait le mal.

La rigueur dont je ne sais dire si elle serait "de gauche" (la gauche, c'était au temps de la recherche de la justice, de la solidarité, de légalité et du partage dans un monde dont on croyait les richesses croissantes, voire infinies) ne peut qu'être une rigueur de sobriété, de modération et de mesure, qui s'étende progressivement, avec une révolution culturelle et comportementale à laquelle rien ne nous a préparés. Le mieux reste attaché au plus et l'on ne sort pas d'une société de consommation en quelques années !

Les prochains débats électoraux vont porter sur ces analyses de la rigueur économique sous ses deux aspects : l'austérité contrainte et la simplicité volontaire.

À droite, on se gaussera de la gauche qui ne sait choisir entre la décroissance et le productivisme et l'on se fera les chantres de l'obligation de serrer les boulons pour préserver la croissance des richesses sans laquelle, répétera-t-on, il n'y a pas d'emploi durable. (Aucun discours politique au goût du jour ne peut être tenu sans faire usage du qualificatif "durable" !).

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À gauche, ou plutôt au PS, on va, jusqu'à l'approche du scrutin présidentiel, balancer entre les deux choix indispensables "pour gagner" : satisfaire la demande populaire au risque de ruiner la France ou pratiquer une rigueur budgétaire acceptable par les marchés. Dilemme ! Au moment où, l'un après l'autre, les États de l'Europe se rembrunissent, la tentation de ne pas gâcher la chance de prendre le pouvoir, en faisant jouer la simple alternance, risque d'édulcorer la candidature d'un ou d'une socialiste. Avec subtilité et cynisme, Nicolas Sarkozy joue cette carte du "brunissement" des sociétés pour tenter de sauver son catastrophique quinquennat.

L'enjeu est pourtant ailleurs, et rien ne bougera sauf à voir ressurgir des manifestations nouvelles de ce qui n'est pas une crise, (puisqu'elle dure) mais qui est une mutation historique! L'effondrement de l'occident et la fin de son hégémonie, face à la Chine, l'Inde et le Brésil, se paieront, tôt ou tard. La rigueur capitaliste ne règlera rien puisqu'elle ne vise qu'à retarder l'échéance en contractant les services que l'État providence avait, au milieu du XXème siècle, installés, pensions-nous, de façon stable et définitive. La seule rigueur efficace envisageable devrait être liée, d'une part, à une décrue des consommations et des productions non utiles et gaspilleuses et, d'autre part, à une chasse aux injustices criantes qui découragent l'effort de tous en faisant de la richesse un spectacle dont seule une petite minorité peut être l'actrice !

La modestie sera notre sort ou bien il nous faudra constater la plongée de beaucoup de nos concitoyens dans la misère. Tel est le choix. Il ne fera pas l'objet du débat présidentiel de la part de ceux qui se donnent une chance d'être élus. La politique, la vraie, passera pourtant par là, par-delà les élections car les scrutins nationaux souffrent, à présent de deux insuffisances insurmontables : celle du temps (la durée des mandats ne permet pas des engagements à long terme) et celle de l'espace ( les problèmes majeurs -écologiques, sociaux et financiers- n'ont pas de solutions au niveau de notre seul hexagone).

Porter le regard aussi loin qu'on en est capable et penser au minimum en européen me semblent, en 2010, le moins qu'un citoyen puisse faire s'il veut que la rigueur ne s'abatte pas sur lui mais qu'il la domine en orientant sa vie vers la simplicité volontaire.




mercredi 22 septembre 2010

La désobéissance comme condition de la démocratie



La démocratie se porte mal. Elle est malade. Très malade. Les discours sont trahis par les actes. Les mots forment un filet dans lequel les citoyens se prennent et se retrouvent enfermés. Les responsables des organisations politiques font assaut de sincérité, mais elle est feinte. l'objectif réel est la conquête du pouvoir donc des moyens de dominer, quand ce n'est pas des moyens de s'enrichir.

L'époque sarkoziste aura eu l'immense avantage de rendre transparent le système dans lequel les professionnels de la politique se vautrent. C'est dans ce contexte que se trouve posée la question de la désobéissance politique.

"Désobéir pour le service public" est le titre d'un tout petit livre publié cet été 2010 ! Il pose la question de la responsabilité citoyenne. Obéir à un ordre injuste est une faute. Désobéir par simple volonté de se démarquer d'un pouvoir qu'on exècre, aussi ! Désobéir n'est un acte citoyen que s'il est fondé.

La désobéissance fondée exige non seulement un lourd travail permettant de justifier ce qu'il faut bien appeler une rebellion ! Il faut encore que ce soit sous le regard et avec l'accord, voire la participation de personnes de confiance, que s'engage ce qui va conduire à un conflit avec les autorités ! La désobéissance a un coût : la sanction, et ce n'est pas en cherchant à l'éviter qu'on peut saisir l'opinion de la justesse de sa cause.

Nombreux ont été, et depuis longtemps, les grands esprits qui ont refusé de s'associer à des lois, règlements ou décisions administratives qui leur semblaient inacceptables, que ce soit pour des raisons éthiques ou politiques. De Thoreau à Gandhi, de Martin Luther King aux insoumis de la guerre d'Algérie, les exemples ne manquent pas de personnes qui ont eu raison de s'interdire de suivre les ordres qui leur ont été donnés. A posteriori, cela est apparu évident, mais au moment des faits, les réactions du pouvoir ont été vives.



Quand un général français s'est opposé à la torture, il a été déposé et l'officier de la Bollardière est devenu, aux yeux de beaucoup... un traître ! L'engagement non-violent a été exemplaire mais il est resté exceptionnel.

Nous vivons un autre temps. Il s'agit de passer de l'exception à la banalité ! Oui, il est banal de désobéir dans une république où se prennent des décisions contraires à sa conscience. Voter puis laisser faire l'élu est une lâcheté. L'élu doit pouvoir compter sur le soutien ou la critique de ceux qui l'ont délégué non pour penser à leur place mais pour exécuter des décisions. l'exécutif est aux ordres du pays. S'il l'engage dans une voie fausse, périlleuse ou conduisant au pire, il doit pouvoir compter sur ce qui va pouvoir redresser l'erreur. cela ne se peut, entre deux élections que par une opposition décidée et pas seulement verbale. Liste à puces

La désobéissance, encore une fois responsable, réfléchie et fondée, fait partie du comportement du démocrate et constitue donc une condition impérative du maintien de la République sur ses fondements.


samedi 11 septembre 2010

Des crimes trop fréquents pour n'être que des fautes individuelles.

L'Église catholique de Belgique, secouée par des scandales de pédophilie, a publié (en néerlandais, la traduction française est en cours) une centaine de témoignages de victimes de prêtres ! Le texte est disponible sur le site www.commissionabus.be

« C'est le dossier Dutroux de l'Église » : c'est ainsi que le professeur Peter Adriaenssens, pédopsychiatre indépendant, qui préside la « Commission pour le traitement des plaintes pour abus sexuels dans une relation pastorale », mise sur pied par l'Église, qualifie son rapport final. La commission a reçu, entre janvier et juin 2010, 475 plaiFresque murale aux cascades.JPGntes.

Des pressions ont abouti à la démission de la Commission Adriaenssens ! A-t-on voulu, ainsi, empêcher la vérité de se faire jour ? En réalité, on en sait assez pour juger non les personnes mais la situation : en trop de lieux, de par le monde, on a violé des enfants et fait taire leurs familles pour qu'on puisse se contenter d'en appeler à la morale et à la loi ! Il faut comprendre et pas seulement réprimer, sinon les mêmes causes produiront, ailleurs et autrement, les mêmes effets, c'est-à-dire l'agression sexuelle de mineurs par des adultes investis d'une autorité, religieuse ou pas !

Pourquoi dit-on : "Le dossier noir de l'Église", si ce n'est parce que c'est la principale des Églises chrétiennes qui est d'abord concernée : l'Église catholique. Non que tous les violeurs d'enfants soient des prêtres catholiques, ni même des chrétiens, mais parce que c'est au sein de cette Église que les exigences, dans le domaine de la morale sexuelle, sont les plus hautes et, hormis une église catholique orientale, les prêtres y sont astreints au célibat et donc à la continence.

L'exemple de "la pureté" et de "l'abstinence" ne peut plus être donné. Non seulement des prêtres célibataires ne sont pas continents, mais certains ont abandonné le sacerdoce pour vivre en couple. La culpabilisation du sexe a été l'une des causes de perversités sexuelles. Attirer l'attention sur la faute, c'est la provoquer. Mais plus, voir une faute là où se situe la condition humaine, c'est rompre avec la nature, en lui opposant une fausse culture, au risque de tomber dans des comportements violents. La pédophilie, quoi qu'aient pu écrire y compris des philosophes, est un crime parce que cela conduit à aller à l'encontre de la volonté d'enfants, qu'on les séduise ou qu'on les force.

On comprendra donc que ce n'est plus de prêtres pédophiles dont il est seulement question mais des conceptions de l'homme qui le placent sous la hantise du mal, de la faute, de l'erreur ou du pêché. Les théologiens ont beau dire et écrire, l'enseignement religieux qui domine en l'Église catholique aboutit à ce que les "fidèles" (qui sont "conformes à la vérité", dit le dictionnaire !) associent le péché et la chair. Il s'ensuit que corps n'est pas aimable, même s'il est respectable. Seul l'esprit qui habite ce corps, est digne d'amour. Horrible confusion que, je m'empresse de le dire, tous les penseurs chrétiens n'effectuent pas, mais qui, je le répète, l'emporte dans l'opinion catholique.

"Le péché originel" -  Bas-relief ornant le portail de la Vierge de Notre-Dame. On y voit  représentée la tentation d’Adam au jardin d’Éden par la diablesse  Lilith, séductrice à queue de serpent qui figure dans les écrits  rabbiniques du Talmud de Babylone.

Bas-relief ornant le portail de la Vierge de Notre-Dame de Paris. On y voit représentée la tentation d’Adam au jardin d’Éden par la diablesse Lilith, séductrice à queue de serpent qui figure dans les écrits rabbiniques du Talmud de Babylone.

Il n'est pas d'éducation sexuelle, quoi qu'on raconte ou qu'on écrive, parce qu'apprendre à "faire l'amour" (mais l'amour se fait-il ?) dépasse les capacités de tout éducateur, parent, enseignant ou animateur. Tout l'être humain est engagé dans l'acte sexuel et ce n'est pas le caractère pornographique ou platonique des gestes de l'amour qui en peut masquer et déshumaniser l'essentiel : la rencontre de deux humains qui se découvrent entièrement ! La multiplication des informations relatives aux agressions sexuelles n'a pas pour cause, (en plus de la médiatisation contemporaine de comportements nombreux, et cachés depuis toujours dans le silence des familles), la violence des pulsions ! C'est bien l'incapacité de donner sens à une sexualité réduite à l'apaisement d'un désir qui est responsable et qui aboutit à une affreuse aberration culturelle dont "le physique" n'est que l'instrument.

Se dévoiler, dans tous les sens du mot, c'est aller à la recherche du mystère de la personne dont on va partager un moment de vie dans la plus grande des intimités possibles. Un prêtre est éloigné de cette réalité là et, au sens strict, il est incapable de morale sexuelle, s'il s'agit du respect non obtenu par l'interdit, mais mis en pratique dans les gestes amoureux. "L'homme n'est ni ange ni bête, et le malheur veut que qui veut faire l'ange fait la bête"affirmait déjà Pascal.

Voilà qui est bien injuste pour les bêtes ! La culture, si elle est bien le propre de l'homme, doit non seulement nous faire accepter notre animalité mais nous la faire aimer. Aimer son corps pour savoir aimer d'autres corps. Se voir soi-même, en ce corps de l'autre qu'on voit, fait partie de la connaissance de la condition humaine.

Je pensais les chrétiens un peu mieux armés que d'autres pour respecter autrui avec le principe évangélique que Jésus dit égal à l'amour de Dieu : "aimer son prochain comme soi-même" (Mc 12,31).

La théorie du péché, de surcroît originel, enseignée dès le catéchisme, et qui atteindrait tout homme avant que ne se soit éveillée en lui la conscience, de façon quasiment génétique, met à mal cet Évangile d'amour ! Comment s'aimer soi-même entaché de péché avant même d'avoir péché ? S'agissant des enfants, Jésus avait pourtant prévenu : "tout ce que vous avez fait au plus petit d’entre les miens, c’est à moi que vous l’avez fait..." (Mt 25:40), ou encore : "mais si quelqu'un scandalisait un de ces petits , il vaudrait mieux pour lui qu'on suspendit à son cou une meule de moulin et qu'on le jetât au fond de la mer" (Mat. 18-6).

On le voit, le mal et le péché sont deux. Le péché (encore une fois tel que l'idée s'en véhicule dans la majeure partie de l'Église catholique) contient l'explication du mal et impute nos fautes aux faiblesses de la chair dont bien sûr, fait partie le sexe ! Que cette fausse évidence fasse des ravages dans les rangs des catholiques les plus convaincus ne saurait étonner !

Lutter contre toutes les violences sexuelles ne passera pas par l'exhortation et le confessionnal. Il s'agit d'un défi culturel et politique fondamental où se joue notre humanité même. Là où il y a viol, il y a guerre, comme là où il y a guerre, il y a viol : une guerre faite à la réalité du monde !

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mercredi 8 septembre 2010

Gadjo n'oublie pas ! Zakhor


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L'archevêque de Toulouse, Robert Le Gall, s'est vu reprocher d'avoir osé dire, à Lourdes, s'appuyant sur une lettre de son prédécesseur illustre, le Cardinal Saliège, que l'accueil des Roms, aujourd'hui, comme l'accueil des Juifs, hier, faisait partie de la fraternité universelle. Robert Le Gall n'a ni dit, ni pensé, que le sort des Roms, aujourd'hui, ressemblait au sort des Juifs hier. Mais peut-on oublier que le sort des Roms, hier, s'est trouvé confondu avec le sort des Juifs, hier ? C'est le mot Rom qui aurait été le plus prononcé, cet été. Ce ne fut pas toujours par sollicitude, mais aussi par "romaphobie". Il est temps de se souvenir... et de réagir !


Zakhor : « souviens-toi ». Depuis Janvier 2005, à Paris, au cœur du quartier du Marais, est ouvert le mémorial de la Shoah1. Gadjo n’oublie pas n’est que l’exhortation qui figure sur une modeste plaque, apposée à l’entrée de la Saline Royale d’Arc-et-Senans, où furent internés deux cents Tsiganes, sur ordre du gouvernement de Vichy.

Ce Gadjo n’oublie pas nous rappelle ce qui est avéré : la volonté de l’État français de fixer les Tsiganes, de les avoir sous la main, dans la crasse, le froid, la faim, l’humiliation, le dur travail forcé et jusqu’à la mort par épuisement…

Existe-t-il, ailleurs, un autre appel public permanent, écrit, où les gadjé que nous sommes puissent lire une telle interpellation, afin que ne s’efface pas complètement ce que l’histoire officielle s’évertue à taire2 ? Car ce Gadjo n’oublie pas ne peut dire toute la vérité, à savoir que les Tsiganes ont fait partie de la Shoah !

Dans l’enceinte du camp de Dachau, est exposé le tableau des triangles caractérisant tous les internés, compagnons des porteurs de l’étoile juive. Y figure le Tzigane -avec un Z comme Zigeuner-, porteur de son triangle brun. Oui, le sort des Tsiganes était scellé pour le régime nazi : ces faux Aryens, au sang mêlé, corrompaient le sang allemand. Ils étaient donc condamnés.

Zakhor, « Souviens toi », ou « Gadjo n’oublie pas », ici, se rejoignent.

Les Tsiganes sont restés internés en France, parfois jusqu’en 1946, dans l’indifférence totale. « Marginaux de la société, ils le sont de l’histoire et de la mémoire3 », comme le sont restés les homosexuels, parias du système concentrationnaire nazi4, comme le furent les noirs déportés5, tous ces abandonnés dont on n’a pu ou voulu parler.

Gadjo, n’oublie pas ! N’oublie pas que toutes les origines de la seconde et impitoyable guerre mondiale n’ont pas été, quoi qu’on prétende, découvertes et extirpées. Elles mettraient sans doute à mal une partie de nos évidences contemporaines.

Au sens strict, s'il y eut un judéocide, il n'y eut pas de génocide juif. Le génocide est inqualifiable. Cette mise en épithète est trop imprécise ! Il y a eu le génocide des Juifs, le plus connu et le mieux reconnu, qui atteignit le plus grand nombre des victimes parmi toutes les victimes. Il y eut le génocide des Tsiganes. Il y eut aussi le génocide des Slaves éliminés du sol européen par la volonté politique du Troisième Reich, au fur et à mesure de l’avancée de ses troupes. Que ne soient pas rassemblées, quelque part, dans une même commémoration historique et permanente, toutes ces humanités sacrifiées fait question !

Les Rroms, qu’on n’est pas parvenu à faire choir dans l’oubli définitif, sont là, sans textes majeurs, sans grands discours, pour rappeler que c’est tout l’homme que chaque génocide a atteint et a continué d’atteindre après 1945. S’il n’y a pas « de haine en moi pour le peuple allemand », ce n’est pas parce que je l’excuse, c’est parce que j’aborde une conviction nouvelle : il n’est aucun peuple qui soit à l’abri de la mise en marche de la machine à tuer nos condisciples. Aucun.

Comment oser penser qu’un Juif, un Russe, un Allemand peut, une fois passés l’histoire et Auschwitz, se conduire aussi atrocement qu’un nazi ? On le doit pourtant : l’atroce n’est ni juif, ni slave, ni allemand, ni d’un autre peuple, il est le fait des hommes, pas de l’homme, pas à cause de la nature de l’homme, ni à cause d’un péché en germe chez le petit d’homme, non ! Ce qui est vérifié, enseigné, constaté : c'est que l’atroce est possible chez l’homme.

Le mal existe. Il ne préexiste pas. Il n’est pas en l’homme avant que l’homme ne soit homme. Hannah Arendt a définitivement démontré « la banalité du mal »6. Craignons les dénonciateurs de l’ « idéologie du mal » : ces hommes d’État, qui se laissent aller à localiser le crime en usant d'un vocabulaire convenu, traquant les « terroristes » ou autres « délinquants », sans s'interroger sur les sources du mal.

Zakhor ! C’est la même histoire humaine, aux mille aspects, aux multiples facettes qui a plongé Juifs, Tsiganes, Rwandais, Cambodgiens, Amérindiens dans l’enfer génocidaire que les Roms appellent le samudaripen7.

Gadjo, n’oublie pas. Si tu vis encore demain, si moi, toi, le Rom, nous avons encore une parole à dire, une chanson à entonner, un poème à murmurer, un amour aux lèvres, c’est que la nuit n’est jamais complète et que l’homme n’arrive pas non plus à épuiser complètement sa capacité de bonheur…

Zakhor ! Souviens toi que tu es parfois capable d’aimer. Il reste, au bout de la nuit, un voyage à faire. Demain existe puisqu’au bout de chacune de nos nuits se représentera, probablement, l’aube.

Gadjo : le Rom, c'est l'homme qui marche parmi nous, et cherche, depuis des siècles, ce lieu sans lieu où il reste possible de créer du neuf. Fol est peut-être celui qui y croit. Mais à jamais perdu celui qui en doute !

1 - Mémorial de la Shoah, 17 rue Geoffroy l’Asnier, 75004 Paris. www.memorialdelashoah.org/

3 - Marcot François, de l’Université de Franche-Comté, historien de la seconde guerre mondiale. Dictionnaire historique de la Résistance et de la France libre, Robert Laffont, 2006.

4 - « Si ce vice continue à se répandre, ce sera la fin de l’Allemagne, du monde germanique ». Discours d’Himmler, le 18 février 1937.

5 - Bilé Serge, Noirs dans les camps nazis, Édition du Rocher/ Le Serpent à plumes, Monaco, 2005.

6 - Hannah Arendt, Eichmann à Jérusalem. Rapport sur la banalité du mal, Gallimard, 1966.

7 - Auzias Claire, Samudaripen, L'Esprit frappeur, 1999.

samudaripen

jeudi 2 septembre 2010

Roms : le retournement de sens

À vouloir confondre Roms et "gens du voyage", pour tenter de dresser la population contre des boucs émissaires tout trouvés (nommés, depuis des siècles, par les gadjé, au hasard des lieux et des humeurs : les nomades, les vagabonds, les mendiants, les Romanichels, les Bohémiens, les Égyptiens, les Gypsies, les Tsiganes, les Manouches, les Gitans, les Rabouins, et j'en passe...), le gouvernement français s'est fait tomber lui-même dans la confusion qu'il avait suscitée !

Ainsi, le ministre de l'Intérieur a-t-il voulu, sciemment, que la délinquance soit associée à la romanité, mais deux obstacles se sont dressés contre cette affirmation : l'obstacle européen (l'Union européenne, autant que le Conseil de l'Europe, ne pouvaient accepter cette généralisation !) et l'obstacle républicain (on ne peut à la fois nier l'existence de minorités puis les discriminer!). Résultat : le représentant du Gouvernement s'est pris au piège de ses propres mots et a osé parler de "délinquance roumaine" en voulant parler de la délinquance de Roms (comme si tous les Roumains étaient des Roms, comme si tous les Roms étaient roumains et comme si tous les Roms étaient délinquants...!)

Une famille rom à Vénissieux, en 2007.
Délinquants par nature ?

De cette confusion, qui commence à se dissiper, on pourra bientôt tirer des enseignements que, sans doute, l'actuel pouvoir politique n'avait pas prévus !

• Les Roms, tels que, de façon globale, ce mot les désigne, dans les instances européennes, ne sont pas indifféremment des Roms ! Ils sont les ressortissants de pays divers : Français de France, étrangers en France, étrangers de l'Union européenne (mais hors de France), étrangers européens (mais hors de l'Union). Ainsi, un Gitan vivant à Perpignan, un Rom venu de Timisoara en France, un Rom resté à Sofia, en Bulgarie, un Rom de Prizren, au Kosovo, font tous partie de la grande famille des Roms, mais pas du tout des mêmes fratries. Ils n'ont pas le même vécu et ne parlent pas tous la même langue, bien qu'ils portent en eux, en commun, un même fond historique et culturel. Les Roms sont un et multiples.

• Le mot Roms ne se disait pas en France pour parler de toutes les populations tsiganes. Il est devenu, en un été, une appellation, certes encore confuse, mais qui inclut déjà, à présent, dans l'opinion, les "gens du voyage" eux-mêmes. Les Manouches s'en offusquent, et on peut comprendre leur farouche volonté de résister à cette uniformisation qui nie des spécificités essentielles au sein des Tsiganes, mais l'appellation européenne l'emporte, désormais, sur l'appellation strictement française ("gens du voyage") et, pour ma part, je ne puis le regretter. À une condition, cependant : que, précisément, l'unité des Roms ne soit pas pensée comme une uniformisation. Les Roms de France sont Manouches ou Gitans et il doivent pouvoir se nommer comme bon leur semble.

• Le refus de la France de reconnaître les minorités aura été mis à mal. Il y a des siècles qu'il n' y a pas que des Français en France. Y compris, chez les habitants de France de nationalité française, se juxtaposent, se mêlent et s'expriment des minorités. Ce que les Corses, les Basques, les Bretons et les Occitans n'ont pas réussi à obtenir : la reconnaissance de leur spécificité dans la République, les Roms seraient-ils en train de l'obtenir ? En les discriminant négativement, on a déclenché le retour du boomerang ! Comme les Basques qui ne sont pas que français mais qui sont tous européens, les Roms, qui sont le plus souvent européens, peuvent être aussi des Français à part entière. La boucle est bouclée : l'européanité veut la diversité et les Roms, la plus vaste minorité culturelle en Europe, la vivent, en France comme ailleurs...


Députée européenne romni.

Ces trois nuances sont essentielles à la connaissance du peuple rom et à celle de l'Europe :
• les Roms sont européens d'abord, et français, et roumains, et tchèques, dans l'Union, mais aussi européens et macédoniens, et turcs, et serbes, et croates, et... suisses, dans l'Europe extérieure aux 27 États-membres ! Là où il y a des Roms, il y a de l'Europe.
• les Roms ont la culture du voyage mais ne sont pas des "gens du voyage" (on ne dira jamais assez combien cette expression, sans singulier et sans féminin, est, en soi, discriminatoire, fausse, et obsolète à présent). Le voyage est une aptitude à se déplacer, à vivre de façon mobile, à ne pas se fixer définitivement, c'est un rapport à l'espace, une dimension de la citoyenneté mondiale, une qualité qui permet de "vivre autrement y compris la sédentarité", une condition de la préservation de l'unité dans la diversité. Les Roms sont voyageurs mais ils ne sont pas des Voyageurs.
• les Roms sont une ethnie, c'est-à-dire une communauté culturelle, un peuple sans État, c'est-à-dire sans volonté de pouvoir sur les autres peuples, une nation sans territoire c'est-à-dire sans revendication d'un sol, d'un romanoland. Ethnie, peuple, nation, trois désignations qui ne font question que pour ceux qui confondent ethnie et race, peuple et population, nation et État-nation. Les Roms qui interpellent, sans théorie ni discours, notre vocabulaire politique (c'est aussi l'une des causes de la réprobation qu'ils engendrent) manifestent la possibilité de vivre, en Europe, une européanité toute particulière : une culture particulière (l'ethnie), une unité particulière (le peuple), une communauté particulière (la nation). Ils dérangent nos concepts mais les fertilisent.

Les tensions de l'été 2010, en France, vis à vis des Roms, auront donc eu cet effet inattendu de poser des questions essentielles qui vont interdire, probablement, tout retour en arrière. Certes, les Roms auront encore souffert et plus encore les Roms en France que les Roms de France, mais ils auront été, comme souvent, les révélateurs des contradictions où les politologues restent empêtrés.

Nous aurons assisté à un retournement de sens : de péjoratif qu'il était, le mot rom est apparu comme le symbole du refus de la discrimination, de l'exigence d'Europe et de la reconnaissance de la diversité culturelle. Rom est devenu, en même temps, un vocable plus acceptable pour les Roms-qui-ne-veulent-pas-se-dire-Roms, ces Français qui craignent qu'on leur conteste leur citoyenneté française, -on les comprend, ils mis tant de temps à s'affirmer, et encore reste-t-il beaucoup à faire !-.

Un long, fructueux débat, évidemment inachevé, s'est engagé. Il importe surtout de ne pas l'interrompre, et d'y associer davantage les Roms eux-mêmes qui sont concernés directement et qui interrogent toute la société européenne.

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Sollicitude.

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