vendredi 23 mars 2012

La fabrication d'un meurtrier.


Il portait un nom : Mohamed Merah. C'est une personne humaine qui a tué et qui a été tuée. Pas « un monstre », mais un meurtrier dont la pensée a été pervertie, et par les influences qu'il a reçues et par sa propre histoire qui fut une suite d'échecs.

L'épouvante qui nous a touchés, au plus profond de nous-mêmes, en particulier quand des enfants ont été exécutés, nous oblige à chercher les causes réelles de cette horreur si nous voulons les éradiquer.


 Relisons Hannah Arendt : le moment en est venu.

Ce n'est pas l'Islam qui est en cause, même il faut toujours s'interroger sur les fanatismes qu'engendrent toutes les religions. Les prétextes fournis par Mohamed Merah lui-même, au cours des « négociations », quand il fut encerclé, sont  mal fondés mais reposent pourtant sur une réalité : les meurtres de civils, y compris d'enfants, en Afghanistan et en Palestine. Toutefois, l'assassinat d'innocents ne souffre aucune justification.

 Ce n'est pas l'immigration qui est en cause. L'origine algérienne de l'assassin n'a rien à voir avec son comportement ! Il serait trop facile de tout faire reposer sur les les épaules de cet « individu », (c'est le mot qu'on emploie quand on veut dépersonnaliser quelqu'un), cet homme, ce jeune Français, né en France, qui a sombré, progressivement, dans une violence exacerbée conduisant à la mort, la mort donnée puis la mort reçue. Tous ceux qui l'ont approché, éduqué, contrôlé, emprisonné, surveillé, oublié, ont leur part de responsabilité dans cette « banalisation du mal », cette fabrication du meurtrier, cette construction d'une machine à détruire, si bien décrite par Hannah Arendt.

La violence ultra médiatisée, dont on a fait un spectacle permanent et vide, durant des heures et des heures, au moment de la découverte du lieu où s'abritait Mohamed Merah, renvoie aux images sanglantes, choquantes, déshumanisées, que déversent, sans relâche, la télévision, le cinéma et les jeux vidéo, lesquelles constituent des modèles fascinants notamment pour les esprits les plus faibles.

Il est beaucoup trop facile de se procurer des armes ! Leur trafic est trop peu réprimé, leur vente trop peu encadrée et le permis de port d’arme est trop souple... Les "outils qui tuent" donnent l'illusion de la puissance et les marchés de l'armement, officiels ou parallèles, font le reste : nous vivons dans un monde où l'on veut faire reposer d'abord la loi et la justice sur la force. La conséquence en est que les insensés, qui veulent faire justice eux-mêmes et qui se donnent à eux-mêmes des lois, parfois faussement appuyées sur des considérations religieuses, s'arment et risquent de se perdre dans la vengeance et la haine.

Il n'y a, hélas, rien d'exceptionnel dans cette guerre que l'homme se fait sans cesse à lui-même et le caractère brutal, insupportable des événements survenus en France, ne doit pas masquer que le monde entier subit chaque jour des crimes semblables. Les commentaires à jet continu des médias, durant la période sensible, prendront vite fin et les questions resteront sans solution si les citoyens ne s'en soucient que par compassion ou colère.

Allons-nous accueillir, enfin, nos compatriotes, nés ailleurs où enfants d'immigrés, qui sont reclus dans des quartiers où règnent la désespérance et l'inutilité ? Allons-nous cesser de prétendre défendre les droits de l'homme au bout de nos bazookas, en Afghanistan ou ailleurs ? Allons-nous supprimer les appels au meurtre des inconscients qui s'en prennent à Israël au lieu de s'en prendre à la politique de l'État d'Israël, dangereuse pour tous les Juifs du monde ? Allons-nous, enfin, quitter cette doctrine selon laquelle les fautes ne sont jamais dues qu'à la responsabilité individuelle de ceux qui commettent le pire ?

Refusons cette moralisation sans éthique qui nous mettrait à l'abri de nos responsabilités.

mardi 20 mars 2012

Les quatre erreurs de Charles de Gaulle

Cinquante ans après les accords d'Évian, je m'étonne de de l'impossibilité de contester encore la politique mise en œuvre par Charles de Gaulle, à partir de 1958 !

La guerre d'Algérie, de 1954 à 1958, appelée "pacification", (il faudra attendre 1999 pour qu'elle soit appelée par son nom !), dont tout a dépendu par la suite, a enfermé la France, durant quatre ans, dans un enfer politique auquel l'intelligence et l'autorité du héros des années 1940 n'ont pas suffi à nous faire échapper.

"Le recours au Général" a pesé, alors, sur les destinées de la France.

Il a fait quatre erreurs funestes dont la majorité des Français n'ont pas encore tous conscience.



La première fut de flatter l'armée avant de la décevoir ou de la trahir. La fin de la tentative de conciliation avec l'armée, aux comportements coloniaux, afin de sortir la France de la guérilla dont on ne venait pas à bout, a conduit à une contradiction majeure. Entre le "je vous ai compris" lancé de la place du Forum à Alger, le 4 juin 1958,  et le discours télévisé du le 16 septembre 1959, où est lâché le mot tabou d’autodétermination (conduisant au référendum du 8 janvier 1961), il y eut un retournement, sans doute inévitable, mais qui a abouti à dresser les Français d'Algérie contre leur pays. On a flatté le nationalisme et l'on a encouragé les colons avant de s'incliner devant les faits. L'Algérie n'était pas française et  le "Vive l'Algérie française" du 6 juin 1958, à Mostaganem, avait été bien plus qu'une faute politique : une justification a priori de la violence perpétrée contre quiconque n'accepterait pas l'assimilation des Musulmans devenus officiellement des "Français à part entière". L'Algérie n'était pas la France mais de Gaulle, venu au pouvoir, à cause de la guerre d'Algérie, s'est trompé et nous a trompés avant de tomber dans un réalisme brutal dont nombre de harkis et de Français d'Algérie feront les frais...




La seconde fut de profiter du désordre général pour changer de République. De Gaulle, incontesté, rappelé par ceux-là mêmes qui n'avaient su résister aux factieux d'Algérie, a commis alors l'erreur institutionnelle dont la Vème République est porteuse : en reprenant et en mettant en œuvre le contenu de son discours de Bayeux, en 1946, il a fait de la République parlementaire (qui avait fonctionné de 1871 à 1958) une république monocratique, mainte fois modifiée, mais toujours plus centralisée et autoritaire (y compris quand le Chef de l'État était diminué par la maladie ou par son incapacité !). L'abandon du lien direct entre le Président de la République et le peuple qui faisait, de chaque référendum un possible plébiscite et qui conduisit au départ, historique et choisi, de De Gaulle en 1969, a transformé la République monocratique en République oligarchique, ce qui n'est pas mieux... L'invention de la cohabitation a achevé de décrédibiliser les institutions gaulliennes.




La troisième fut  le choix d'une défense nationale fondée sur l'arme atomique. Le 13 janvier 1960, à Reggane, dans le désert saharien d'Algérie (alors encore "française") eut lieu la première explosion nucléaire, en plein air. La décision avait été prise, un mois avant le 13 mai 1958, par Félix Gaillard, président du Conseil, qui avait écarté les Pyrénées, les Alpes et la Corse, au profit du Sahara...! De  Gaulle la confirma et fut présent sur les lieux, à distance de l'explosion. Tout s'ensuivit : le lien entre le nucléaire civil et le nucléaire militaire était, pour De Gaulle, une nécessité de garantie de l'indépendance énergétique et diplomatique de la France. Aujourd'hui notre dépendance au nucléaire, cette fois, constitue un boulet que nous n'avons pas fini de trainer au pied de la république !



Le quatrième fut de n'avoir rien "compris" aux événements de mai 1968 qui n'ont rien changé au gouvernement de la France mais qui, en profondeur, ont changé la France elle-même grâce à l'apparition d'exigences écologiques jusqu'alors inconnues. De Gaulle n'y résista que de justesse. Parti à Baden-Baden, le 29 mai 1968, allé vérifier le soutien de l'armée auprès du général Massu, "vainqueur" de la bataille d'Alger en 1957, ce fidèle, en dépit de ses critiques de la politique algérienne de De Gaulle, et de son rappel en métropole en 1960. On avait changé d'ère, peut-être de civilisation et De Gaulle, épuisé, submergé, n'a tenu ensuite la barre qu'une seule année. Ne pouvant et ne sachant incarner des valeurs n'appartenant pas à sa culture, il n'a pu tirer parti des apports du printemps 1968 qui ont été, ensuite, méconnus et rejetés sans qu'on puisse pourtant les rejeter totalement.

Aujourd'hui, il faut tirer le bilan de ce quadruple échec
 devenu l'échec de la France tout entière. 

Dans les années qui viennent, nous verrons un rapprochement avec les pays du printemps arabe, francophones, dont l'Algérie finira par faire partie, à la suite du renouvellement de ses dirigeants trop âgés pour se réclamer longtemps encore de la libération et de l'indépendance du pays.

Dans les années qui viennent, nous verrons le passage à la VIème république qui s'effectuera, espérons-le, sans heurts, par modernisation de nos institutions rendues compatibles avec celles des autres États d'Europe. La république actuelle qui n'est plus ni gaullienne ni gaulliste a vécu.

Dans les années qui viennent, nous verrons le recul, puis le renoncement progressif à l'énergie nucléaire. L'indépendance énergétique passera par l'autonomie liée à une transition énergétique provenant de la diversification des sources d'énergies renouvelables. Quant à la dissuasion nucléaire, elle ne résistera pas à la réalisation d'une Europe politique nouvelle qui aura bien d'autres moyens d'assurer sa défense à commencer par sa solidarité économique !

Dans les années qui viennent, nous verrons, enfin, l'apparition d'une démocratie où les citoyens seront davantage gouvernants que gouvernés, grâce aux nouveaux moyens techniques d'information et de communication. Nous verrons, surtout une prise en compte des nécessités écologiques dont les années 1968 n'auront été que l'annonce.




dimanche 4 mars 2012

Vivre et penser avec Albert Camus





"Vivre et penser avec Albert Camus" est le titre de l'émission de France Culture, Répliques, en date du 2 mars 2012, à laquelle Michel Onfray et Maurice Weyembergh, philosophes, furent invités, par Alain Finkielkraut. Je reçois d'un ami proche, Jean-Claude Borrel, auditeur de cette émission, une réaction qui donne à penser :

Dans les dernières secondes de l'émission, Michel Onfray, à deux reprises, va affirmer à propos de la guerre d'Algérie, que tous les historiens s'accordent à penser que cette guerre était « militairement
gagnée ».

Comment, à la veille du 19 mars 2012, a-t-on laissé proférer une telle stupidité ?

J'étais en Kabylie en 1960. Pour « gagner » la guerre, il eût fallu maintenir en place le dispositif militaire (400.000 hommes ) durant quelques décennies. Un poste abandonné et les résistants le reprenaient immédiatement.

Quelques instants avant, le même M. Onfray, après avoir déploré que Louis XVI eût été guillotiné, avait affirmé que le F.L.N. « Robespierriste » était exclusivement mu par le projet de « décapiter ». On ne peut que rester interdit devant autant d'ignorance et d'outrance.

Il semble qu'il parvienne à tenir pour négligeables les conditions de la colonisation, les évènements de Sétif en 1945 (« je vous donne « la paix » pour 10 ans »), les pratiques militaires utilisées pour obtenir cette « victoire », la guillotine fonctionnant sans désemparer, la torture généralisée, les exécutions sommaires, le viol comme arme de guerre... Bref tout ce que Aussaresse et ses disciples ont été enseigner dans les écoles de guerre, tant aux U.S.A. qu'en Amérique latine.

Il apparaît bien ici que M. Onfray utilise Camus ( et Monsieur Maurice Weyembergh l'a suggéré
discrètement à plusieurs reprises ) comme une arme lourde dans le combat qu'il a engagé contre ses
ennemis intimes dont la liste ne cesse de grossir. Il ne fait ni dans la nuance ni dans le détail. Il cogne
avec autant d'arrogance que les idéologues qu'il prétend dénoncer.

La gauche libertaire a du souci à se faire avec son avocat autoproclamé.

Qu'il s'autorise à utiliser la tragédie algérienne avec autant de cynisme et de légèreté (« ...Si De Gaulle avait été camusien … »!) laisse pantois .

Certes, il semble avoir lu les articles de Camus sur la misère en Kabylie. Peut-on lui recommander s'il veut échapper à sa problématique grossière et indigne de lire le « Journal » de Mouloud Ferraoun.
 
À entendre M. Onfray, tant à la radio qu'à la télévision, je ne suis pas sûr qu'il soit en capacité de s'extraire de ses préjugés pour suivre le discours subtil de ce Journal, élaboré au cours d'une guerre où Ferraoun fut partie prenante avec Germaine Tillion et ses amis, avant enfin d'être victime de ceux-là mêmes qui avaient, depuis toujours, exclu le « vivre ensemble » dont avaient rêvé Camus et quelques autres.
 
Ferraoun, fils de pauvre, instituteur, était lui au cœur de la question. Il en a mesuré et décrit tous les
dangers, tous les risques, loin de l'idéologie « carrée » de M. Onfray. À l'écoute de la parole de
Feraoun, nous échappons aux simplismes affligeants et réducteurs. Mais M. Onfray n'a jamais lu non
plus les attendus du Congrès de la Soumam de 1956...

En ce qui concerne l'histoire algérienne, M. Onfray est un ignorant et il se sert d'une manière tout à fait indécente tant de cette histoire, qu'il méconnaît, que de Camus qu'il utilise comme un faire valoir.
 
BORREL Jean-Claude
 
 

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