dimanche 15 septembre 2013

Le visionnaire d'une utopie réaliste.


On rend partout hommage à Albert Jacquard. Est-ce seulement l'homme qu'on admire, l'ampleur de son intelligence, la force de ses engagements, l'immensité de ses savoirs, reconnues et saluées y compris par François Hollande, au nom de tous les Français ?

Ne perdons-nous pas, avec Albert Jacquard, plus que cela : la voix de celui qui savait exprimer et fonder les grands choix de ceux qui veulent rompre avec un modèle de société qui, tout à la fois, est devenue infidèle à ses propres valeurs et s'attache à des contre-valeurs ? Cesser d'être des prédateurs, des dominateurs, des avides est possible n'a-t-il cessé d'exposer et de tenter de prouver.

Avec le silence d'Albert Jacquard nous allons, pour quelque temps, perdre du poids et de l'énergie car nous ne saurons pas, d'ici longtemps, comme lui, peser sur les événements et les idées qui font bouger le monde. Il nous fait, cependant, obligation sinon de le remplacer du moins de prendre sa suite.

Pour ne retenir que quelques idées-force qui n'ont pas encore atteint la conscience d'une majorité de nos contemporains, et sur lesquelles insistait « le Professeur », citons celles-ci :

• Nous sommes tout prêts d'avoir atteint nos limites1. Une croissance infinie est incompatible avec une planète finie. « La mutation dans laquelle nous nous trouvons implique l'urgence pour nous tous d'élargir notre concept de l'humanité. /.../ Deux solutions : ou nous disparaissons, ou nous sommes les primitifs des humains qui nous regarderont dans deux mille ans ». Heureux les primitifs, ceux qui seront les premiers à promouvoir une humanité nouvelle, moins violente à l'égard d'elle-même et de notre planète sans qui nous ne sommes rien!

• Le culte de la compétition, tout comme le culte de la croissance, fonde un système économique et culturel ravageur. « Réussir est devenu l'obsession générale de notre société, et cette réussite est mesurée par notre capacité à l'emporter dans des compétitions permanentes. Il est pourtant clair que la principale performance de chacun est sa capacité à participer à l'intelligence collective, à mettre en sourdine son « je » et à s'insérer dans le « nous », celui-ci étant plus riche que la somme des « je » dans laquelle l'attitude compétitive enferme chacun. Le drame de l'école est d'être contaminée par une attitude de lutte permanente, qui est à l'opposé de sa finalité ».2 Éduquer n'est pas juger mais être le complice et le soutien de celui qui s'élève et sort de l'enfance.

• S'approprier une connaissance c'est la faire entrer en soi mais si s'approprier devient garder pour soi, alors c'est nuire. L'appropriation des richesses, des sols, du savoir est un accaparement, une privation d'autrui, une privatisation d'un bien commun exclu du partage. La propriété d'objets utiles est ce dont on a l'usage en propre pour vivre dignement et sans excès ; on ne possède pas la Terre. « Au mépris des cultures dites primitives ignorant l'appropriation et la compétition, nous avons mis en place un système culturel, économique, financier conduisant à la négation d'une grande part des potentialités humaines » affirme Albert Jacquard dans le dernier de ses livres.3

Après les philosophes, sociologues, ethnologues, connus et reconnus mais oubliés ou méprisés par les puissants et les riches, Albert Jacquard, dans la lignée des penseurs français du XXe siècle, tels notamment Marcel Mauss, Jean Malaurie, André Gorz, nous laisse un message : ou bien le don, le partage, l'égalité des hommes, la connaissance et le respect de la nature cesseront d'être des bonnes paroles doublées de bonnes intentions jamais réalisées, ou bien c'en est fait de notre espèce devenue capable de s'autodétruire. 

Il n'est d'autre inspiration des politiques qui vaille car il y a, désormais, incompatibilité entre, d'une part, la vision du monde qui, actuellement, domine et motive les actes de gouvernement et de gestion des rapports humains et, d'autre part, la vision du monde qui porte loin les regards et prépare, tout de suite, une vie collective et planétaire débarrassée de son moteur principal : le profit individuel lequel fait de chacun de nous un petit ou un grand prédateur.

1  Albert Jacquard, L'équation du Nénuphar, Calmann-Lévy, 1998.
2  Albert Jacquard, Mon utopie, Stock, 2006.
3  Albert Jacquard et Hélène Amblard, Réinventons l'humanité, éditions Sang de la Terre, 2013.



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