lundi 7 janvier 2008

Polluer, c'est s'approprier.

Michel Serres l'affirme et le répète plusieurs fois au cours de sa chronique du dimanche soir, sur France-Info :"Polluer, c'est s'approprier". S'approprier l'espace public. S'approprier l'espace public, indûment. Celui qui fume, pue, élève la voix ou même crie, sans tenir compte d'autrui, transforme en espace privé tout l'espace qu'il occupe. Il s'approprie ce qu'il pollue; il rend sale ce qui lui devient propre! Propreté et propriété sont deux.

Chacun est, dès lors, renvoyé à une question simple mais une question de fond : quel espace occupez-vous? Quel espace faites-vous occuper par votre corps? Le tabagisme passif nous aura fourni la triste occasion de vérifier que fumer tue et que fumer en public non seulement pollue mais confisque l'espace à son seul et illusoire profit.

Michel Serres nous conduit plus loin : à Bruxelles, dans le métro, des messages avertissent les porteurs de sac à dos qu'ils doivent porter leur sac à la main pour ne pas risquer de bousculer involontairement, de gifler les autres voyageurs. L'espace qu'on occupe a ses limites dans un cadre de civilisation. Interdire prend alors un sens nouveau : il est bon d'interdire à quelqu'un de prendre la liberté d'interdire aux autres de vivre! Rien à voir avec le "interdit d'interdire" de 1968! Il s'agissait alors d'interdire les interdictions de jouir de son corps, par exemple la culpabilisation de la masturbation. Il ne s'agissait pas d'imposer à autrui son corps et l'espace occupé par son corps!

Un autre exemple,
trivial mais révélateur, est fourni par le chroniqueur : il en est qui pissent dans les piscines, persuadés qu'ils sont de rester impunis! Ils s'approprient un espace en eau et le polluent sans vergogne. Ils n'ont même pas l'excuse de l'animal qui marque son territoire par son urine et ses déjections. Ils se croient seuls au monde et ce monde, donc, peut leur appartenir; ils le possèdent; ils en sont propriétaires. Polluer, c'est s'approprier.

Le tabac aura aussi pollué gravement les relations humaines. En plus de l'agression des corps, il a banalisé le mépris d'autrui, justifié l'égocentrisme, affaibli le sentiment citoyen et donné l'habitude de se comporter en propriétaire d'un domaine, élargi à l'environnement qu'on modifie en l'enfumant sans se poser de questions. L'interdiction de polluer par le tabac, c'est le refus de laisser
impunément "voler l'air", qui est vital! L'argument resservira.

Si la pollution est une appropriation indue -et je le crois-, il faudra bien, en effet, s'interroger sur une nouvelle approche du droit de propriété. L'écologie comprise comme une prise de conscience de nos limites planétaires nous l'impose.
Face à une société devenue individualiste, financiarisée et cynique, actuellement triomphante, et dont surgit le caractère obsolète, le choc avec un monde libertaire et antilibéral mais où la liberté d'être soi-même ne subirait pas les effets des libertés que s'accordent les propriétaires, s'annonce explosive.



http://www.france-info.com/spip.php?article59586&theme=81&sous_theme=173

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