dimanche 20 octobre 2013

Leonarda et la religion du droit


François Hollande a tranché : Leonarda Dibrani, mineure, peut quitter le Kosovo et rentrer, seule, en France ; ses parents n'en ont pas le droit. Indépendamment du ridicule de la proposition (comment vivre sans famille ?), il y a, dans la décision du chef de l'État, et donc dans l'esprit de ceux qui l'ont conseillé, une conception du droit qui fait froid dans le dos !

Qu'est-ce que le Droit sinon l'ensemble des lois et textes d'application qui, dans une société donnée, la nôtre en l'occurrence, constitue les règles de vie communes à tous les habitants, citoyens ou non, Français ou étrangers. Le droit protège ; il ne crée pas l'injustice, sinon il cesse d'être le droit.

Car il y a abus de mot quand la référence au droit devient un mode de refus de droits humains qui n'ont pas besoin de code pour s'imposer. Celui qui aime accomplit la loi et plus que la loi, disent les textes que citent les chrétiens. (Romains 13.10 : "…l’amour est donc l’accomplissement de la loi" ou
Galates 5.14 : "Car toute la loi est accomplie dans une seule parole, celle-ci : Tu aimeras ton prochain comme toi-même".) Dans notre civilisation, chrétiens ou pas, nous avons tous comme tradition non pas la religion de la loi mais un respect des personnes qui passe avant le droit.

Adolescent, puni pour je ne sais plus quelle peccadille, dans mon internat, j'avais dû commenter, par écrit, la formule : "mieux vaut une petite injustice qu'un grand désordre" ! Je m'étais libéré de la rage d'être en retenue en pourfendant ce faux principe. J'estimais déjà que toute injustice, fut-elle petite, peut conduire vers un grand désordre. 

Nous en sommes là, avec Leonarda. Déjà, Manuel Valls, de plus en plus bravache, et qui se constate soutenu, annonce, dans Le Journal du dimanche, que les précautions sont prises : la famille ne rentrera pas en France. Autrement dit, la police est, par avance, chargée de traquer ces clandestins qui tenteraient de revenir en France pour rejoindre leur fille à Pontarlier. Inhumanité manifeste ! Pas plus qu'à Lampedusa où, sous nos yeux, on laisse la mer punir de mort les réfugiés africains qui tentent de violer la loi et de pénétrer en Europe, on n'acceptera la moindre exception ! Une famille sans droit "n'a pas vocation à vivre en France" (surtout, ce n'est pas dit, mais c'est évidemment pensé, s'il s'agit de Rroms...). Qu'ils aillent s'échouer ailleurs...


Alexandre Romanès, dans le numéro de Libération du 18 octobre 2013, rappelle la phrase de Gandhi : "Quand la loi n'est pas respectable, je ne la respecte pas". Oui, la loi n'est pas sacrée et quand elle ne respecte pas les hommes, il faut lui désobéir. Un bon citoyen n'est pas celui qui s'incline à tout coup devant la loi, il est celui qui sait et peut discerner ce qui est juste ou non et qui agit en conséquence.

Il y a ambiguïté dans le constant rappel à la société de droit. Admettre quasi automatiquement que notre pays est une société de droit fait bon marché des violations multiples que subit le droit existant et que constatent les avocats défenseurs du droit ou le Défenseur des Droits (actuellement Dominique Baudis). Mais il y a bien pire : en nombre d'occasions, le droit français se révèle injuste, ce que souligne, par exemple, un jugement récent de la Cour européenne des droits de l'homme (1).

La Ligue des Droits de l'Homme, elle-même, n'échappe pas à ce culte du droit par ses rappels au droit de façon trop générale, comme si une société était harmonieuse et libre parce qu'elle dispose d'un Droit national abondant, précis et enseigné ! 

Le droit est rectiligne et manque de souplesse. Il faut donc le corriger, sinon le droit devient rigide et vire à droite. Au lieu d'être un ensemble de repères permettant de trouver son chemin soi-même, il prétend fixer en détail notre mode de vie ! Bien entendu, c'est impossible et aucune répression ne permet de faire marcher tout le monde d'un même pas, sauf à détruire cette démocratie fragile constamment menacée voire mise à mal. 

La jeune Leonarda est, bien sûr, soutenue par les lycéens de son âge qui se reconnaissent en elle. Sans l'avoir voulu, elle nous aura permis d'ouvrir les yeux sur une contradiction majeure. Au moment où l'on fustige les Rroms en stigmatisant leur prétendu refus d'intégration voila une adolescente, parfaitement francophone, qui réussit ses études et concourt à l'insertion de sa famille dans une ville où elle se fait accepter. C'est tout le discours sur la "vocation" des Rroms à rentrer dans leur pays qui vole en éclats. Après Anina, l'étudiante voulant devenir magistrate, en France, ces jeunes filles rroms démontrent (mais pourquoi est-ce nécessaire ?) qu'on peut vivre en France, même si l'on est d'origine étrangère, en restant soi-même (2).




Le débat est lourd de différends profonds. L'identité française n'est pas close (elle ne l'a jamais été) et elle est plurielle (n'en déplaise à l'UMP, au Front national et à une partie des socialistes qui n'ont retenu de la République que son caractère ethnocentré de non reconnaissance des minorités). Les Rroms de l'Union européenne (Roumains ou Bulgares depuis 2007, Croates depuis 2013), mais aussi ceux qui sont ressortissants de pays européens ayant "vocation" à entrer, tôt ou tard, dans l'Union, en dépit  d'innombrables résistances, (dont l'Albanie, le Kosovo, la Serbie, la Serbie, la Macédoine, le Monte-Negro et, bien entendu, la Turquie...), ne sont pas des étrangers comme les autres. Ils sont chez eux en Europe, dans toute l'Europe et s'ils n'en ont pas partout le droit formel, ils en on le droit de fait - ils y sont ! -, le droit moral - à moins qu'on songe, comme les nazis, à les faire disparaître ! -, le droit des hommes à vivre sur un continent qui est autant le leur que le nôtre - depuis sept siècles -.

Les Rroms ont, en Europe, le droit d'avoir des droits ! Merci Leonarda.
 
(1) - La Cour européenne des droits de l'homme(CEDH) a condamné, jeudi 17 octobre, la France pour avoir prononcé en 2004, sans nécessité apparente, l'expulsion d'un campement de gens du voyage et sans leur proposer de solutions satisfaisantes de relogement. /.../ Les juges concluent qu'il y a eu violation du droit au respect de "la vie privée et familiale, du domicile et de la correspondance".
http://www.lemonde.fr/societe/article/2013/10/17/la-cedh-condamne-la-france-pour-une-expulsion-de-gens-du-voyage-en-2004_3497339_3224.html
(2) -  Anina Ciociu, Je suis tzigane et je le reste, éditions City, 2013.

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