vendredi 9 septembre 2016

Changeons de regard sur l'éducation.


Ce n'est pas rejeter les pionniers que de rouvrir un débat qu'on avait voulu clore en particulier au sein de l'Éducation nationale française. Au contraire, reconsidérer l'œuvre et la pensée des créateurs, est plus actuel que jamais.

On a méprisé l'apport décisif de Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) qui a bouleversé à jamais notre vision de l’enfance, dans L'Émile1, en 1762, mais aussi dans Julie ou la nouvelle Héloïse2, roman paru un an plus tôt, en 1761. Les deux livres furent édités à Amsterdam compte tenu de leurs contenus jugés alors subversifs dans les milieux traditionalistes. 

Avant lui déjà, le Hollandais Erasme, (1469-1536), (qui recommandait l'apprentissage des langues dès la prime enfance) Rabelais (1483-1553), (où, dans son abbaye de Thélème, Gargantua bénéficie d'une éducation ouverte et diversifiée, permettant l'affirmation de soi), ou encore Montaigne (1533-1592), (qui  préconisait "plutôt une tête bien faite qu'une tête bien pleine"). De même, au début du XIXe siècle : le Français Joseph Jacotot (1770-1840) ou le Suisse Johann Heinrich Pestalozzi3 (1746-1827), à leur tour, mirent en œuvre des idées voisines de celles de Rousseau. Tous ont prôné l'éducation dans la liberté.

Dans la première moitié du XXe siècle, se sont juxtaposés ou succédés les travaux (écrits et pratiques) de nombre de pédagogues : l'italienne Maria Montessori (1870-1952), le Suisse Adolphe Ferrière (1879-1960), le Français Ovide Decroly (1871-1932), le Russe Anton Makarenko (1888-1939), le Polonais Janusz Korczak (1878-1942), le Tchèque Frantisek Bakule (1877-1957), L'Anglais Alexander Neill (1883-1973), le Français Célestin Freinet (1896-1966), le Brésilien Paulo Freire (1921-1997)...

Ces tenants de l'éducation nouvelle entendaient « défendre le principe d'une participation active des individus à leur propre formation, l''apprentissage, avant d'être une accumulation de connaissances, devant être un facteur de progrès global de la personne ».

Qu'en est-il au début de ce siècle ?
Les écoles Montessori existent. La pédagogie Freinet n'est plus vouée aux gémonies mais elle n'est ni soutenue ni encouragée. La mise en cause de l'école elle-même, telle qu'elle fonctionne, s'est effectuée dès la fin des années 1960,- cf. le célèbre livre Une société sans école d'Ivan Illich4 (1926-2002) - non sans tentations d'un retour en arrière autoritariste, mais aussi, à l'inverse, en mettant en avant qu'apprendre et se consruire ne peut plus, à l'âge de la communication et de l'informaation demeurer figé par des pré-supposés obsolètes.

C'est ce qu'expose brillamment, Céline Alvarez dans son livre très récent Les lois naturelles de l'enfant5. Elle y démontre que chaque enfant aime apprendre et veut apprendre si l'on ne freine pas ses apprentissages. Elle se fonde et sur sa propre expérience, à Aubervilliers, en classe maternelle, et sur son exploration scientifique des conditions dont les enfants peuvent s'emparer du monde où ils baignent. On retrouve, sous sa plume, bien des constats que les pionniers de l'éducation nouvelle avaient notés et utilisés entre 1920 et 19396.

La réapparition du mot : « naturel » (qu'on retrouvait déjà dans « la méthode naturelle de lecture » popularisée par Freinet) n'est pas le fait du hasard. Il s'agit d'admettre, ou pas, que l'éducation se soucie de développer les ressources de chacun plutôt que d'inculquer le mode de vie dominant. Rien de neuf dans cette problématique, mais il était grand temps qu'elle rejaillisse en pleine actualité philosophique et politique !

On ne sortira ni de l'impasse historique dans laquelle nos pseudos démocraties occidentales se sont engagées, ni de la soumission aux oligarchies financières dominantes sans préparer les jeunes citoyens à penser par eux-mêmes, à élever leur niveau de critique et leur capacité d'innover. Au XXIe siècle, changeons de regard sur l'éducation.

1 - Jean-Jacques Rousseau, Émile ou de l'éducation, 1762, dernière édition :Paris, Garnier, 1961, 664 pages.
Consultable suur Gallica, la bibliothèque numérique de la BNF. http://gallica.bnf.fr/
2 - .Jean-Jacques Rousseau, Julie ou la nouvelle Héloïse, Amsterdam, éditeur Marc-Michel Rey, 1761.
3 - Johann Heinrich Pestalozzi, Léonard et Gertrude (1781-1787), roman, Bibliothèque numérique romande, 2014.
Puis Comment Gertrude instruit ses enfants (1801), essai, Paris, Librairie Ch. Delagrave,‎ 1887.
4 - Ivan Illich, Une société sans école,P aris, le Seuil, 1971 (titre original : Deschooling Society)
5 - Céline Alvarez, Les lois naturelles de l'enfant, Paris, Les Arènes, 2016.

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