lundi 14 janvier 2008

De la doxocratie

La crise de la démocratie dite "représentative" révèle une crise de la démocratie dont on ne sortira pas par des discours sur les "démocraties" dites "participatives", "délibératives", "interactives", "directes" ou autres...

Jacques Julliard parle de doxocratie à propos du règne des sondages, de la "loi de la rue", des modes médiatiques, des doxa (ces pensées dominantes d’un moment), des snobismes quotidiens engendrés par le "système politico médiatico publicitéro marketing".

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Cornélius Castoriadis ne parlait-il pas des "zappanthropes". À présent, la télévision et l'ordinateur servent de défouloirs au public qui n'est plus citoyen mais voyeur et joueur. La doxocratie conduit-elle au triomphe des populismes (de droite et de gauche), de la médiocratie, bref de la barbarie?

La démocratie d’opinion va-t-elle court-circuiter la démocratie représentative ? On ne peut, tout à la fois affirmer que "la doxocratie c'est l'agora grecque plus internet" et, en même temps, s’inquiéter de voir les politiques professionnels remplacés par des bateleurs et des amuseurs ? C'est pourtant ce que semble faire Jacques Julliard. Il n'y a pas le choix entre la démagogie doxocratique et la démocratie élitiste! La "pensée complexe", comme dit Edgar Morin, ne conduit pas à s'en remettre aux seuls intellectuels pour décider du sort du monde! "La politique de civilisation" qu'on nous a ressortie (d'abord de l'oubli et surtout de son contexte) ne passe pas par la République des élites.

"Célébrer le règne de l’opinion, écrit Alain Duhamel dans Le Point, c’est encourager la religion de l’inconstance, de l’émotion et – trop souvent – de l’ignorance." Le savant et ex député européen, journaliste et constitutionnaliste n'a toujours pas digéré la victoire du non au référendum de 2005.

On sait le rôle qu’ont joué les blogs dans cette victoire. Les politiciens, élites et représentants qui s'estiment qualifiés n'ont jamais accepté la gifle que les Français leur ont appliqué, alors que tous les moyens avaient été rassemblés pour que le vote populaire corresponde à ce que, croyait-on, la sagesse, la raison, le bon sens (que sais-je?) exigeaient sans aucun doute. On y revient donc en 2008, avec le vote parlementaire qui effacera le vote référendaire, le mois prochain : la doxocratie ne passera pas!

On l’avait vue aussi se manifester face au CPE. Voté tout ce qu’il y a plus de régulièrement par le Parlement, le projet de loi du gouvernement a été retoqué par l’opinion, guidée par la rue. La doxocratie serait donc la chienlit, comme disait De Gaulle, le règne de la populace, le triomphe de la rue! Même conduite par des intellectuels, une telle analyse est un peu courte.

La doxocratie est la pire et la meilleure des choses! La pire, si c'est la manipulation de l'opinion publique, via les media par les institutions (dites "républicaines" mais en fait "césaro monarchistes") telles que le régime présidentiel les structure. La foule n'est plus le peuple! La meilleure, quand les électeurs ne supportent plus la démocratie qui leur donne la parole les jours d’élection, pour mieux la reprendre dés le lendemain, et quand la représentation nationale constate qu'elle n'est finalement que la représentation et que c'est le peuple qui décide.

La doxa est une opinion toute faite. La dictature de l'opinion est désastreuse. Soit! Mais qui façonne cette opinion, qui fragilise la culture, qui tente de conditionner les citoyens afin de les mettre au pas ou simplement de diriger leurs pas vers des objectifs prédéterminés? L'explosion d'opinionS multiples sur la toile est la conséquence directe de la promotion de la pensée unique.

Prenons donc la doxocratie pour ce qu'elle est : une manifestation, appuyée par des technologies nouvelles, d'une recherche de démocratie qui n'est pas la démocratie. Mais comme la démocratie instituée n'est plus à même de satisfaire l'élan démocratique, puisqu'il n'y a plus de projet d'avenir auquel les citoyens puissent se fier, nous traversons une dangereuse période de doute. Quiconque penserait qu'il suffit de maintenir ce qui a fonctionné au cours des deux siècles écoulés pour franchir cette passe risque de lourdes déceptions.

La démocratie n'est pas limitée à la "civilisation" occidentale libérale, capitaliste et élitiste. Si elle l'était, elle serait condamnée.

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