vendredi 7 janvier 2011

Mal nommer est meurtrier

On prête à Albert Camus, et on le cite sans cesse, d'avoir dit " Mal nommer les choses, c'est ajouter aux malheurs du monde ". Cela sonne bien, mais Albert Camus n'a pas dit exactement ça !


Dans un essai de 1944, paru dans Poésie 44, (Sur une philosophie de l'expression), Albert Camus écrivait : " Mal nommer un objet, c'est ajouter au malheur de ce monde ". Je vois entre les deux phrases plus qu'une nuance...

Bien sûr, "un objet" n'est pas "les choses" ; c'est un objet philosophique, le réel-là, ce qui tombe sous notre observation, tout ce qui est appréhendable par le sujet, par chacun de nous.

"Le malheur du monde" est bien plus que "les malheurs du monde". "La logique du révolté, écrit encore Camus, est /.../ de s'efforcer au langage clair pour ne pas épaissir le mensonge universel". (1).

Le révolté de Camus est l'indigné, le résistant qui s' élève devant le menteur qui trompe les citoyens en "mal nommant", en déformant le réel, en masquant la vérité, alors que, comme le démontre la contemporaine de Camus, Simone Veil, toute politique qui n'est pas quête de vérité est criminelle. (2)

http://ecx.images-amazon.com/images/I/41DVZ7VCJYL._SL500_AA300_.jpg

Oui, mal nommer est meurtrier. Déjà l'injure engendre la colère, voire les coups, mais, plus lents, plus subtils, mieux déguisés, les paroles de propagande, de communication, de médiatisation faites pour obtenir le consentement dont parle Chomski (3), "ajoute au malheur de ce monde".




(1) Voir, Albert Camus, Œuvres complètes, tome 1, Paris, La Pléiade, p.908.
(2) "Simone Weil, par la seule attention à ce qui est, arrive à des vues qui, après coup, nous frappent par leur caractère prophétique : l’hitlérisme, le stalinisme, le totalitarisme, le colonialisme, l’oppression sociale, la machinerie de la force et les illusions du pouvoir, la marche des États, le dépérissement et le salut des nations, l’importance de la recherche technique, le rôle des groupes dans la prise en main des masses, l’intensification et la mondialisation des guerres font de sa part l’objet d’analyses qui, à plus d’un demi-siècle de distance, n’ont pris aucune ride".
Voir Bertrand Saint-Sernin : L'action politique selon simone Veil, Paris, Le Cerf, 1988,
deuxième édition; 16-novembre 2008.
(3) Voir Le lavage de cerveau en liberté. le monde diplomatique, août 2007.

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