dimanche 2 décembre 2012

La nationalisation n'est plus une étatisation

Sous les mots se cachent des pensées. Parfois, elles émergent. Nationalisation est un mot qui fait réagir Mme Parisot. Dans presque tous les médias, on le décrie mais on ne le décrit pas, car on y voit le socialisme voire le communisme dans ce qu'ils avaient de totalitaire, c'est-à-dire l'éradication de toute initiative privée dans la production ! On a beau en être très, très loin, tout se passe comme si Hollande, c'était Staline... C'est comique ou ridicule ! Ou plutôt révélateur : les conservateurs (de la richesse) se croyaient, à jamais, débarrassés de la puissance publique, et les nationalisations réalisées par De Gaulle ou Mitterrand devaient passer aux oubliettes, et voici que le mot, honni, exécré, ressurgit. "Shoking !" se fut exclamée Margaret Thatcher.  

Il est fâcheux de devoir revenir aux années 1930 pour comprendre l'actualité, encore que la crise de 1929 ne soit pas sans similitudes avec la mutation de société qu'on observe en ce notre début du XXIème siècle (la surproduction de l'entre deux guerres a laissé des traces dans le productivisme contemporain). On a tant et tant abusé des mots et détourné leur sens qu'il vaut mieux ce passage par le passé plutôt que d'errer dans les approximations.  

 

Pierre Sémard, dans une Confé­rence d’Information de la CGT, tenue le 31 mai 1939 à la mai­son de la Chi­mie, à Paris, affirmait: « La natio­na­li­sa­tion n’est pas, comme cer­tains le pensent ou le disent, l’étatisation, c’est-à-dire la ges­tion par l’État, mais une ges­tion réa­li­sée par les repré­sen­tants des grandes col­lec­ti­vi­tés, des usa­gers, du per­son­nel, et de l’État. » Et de pré­ciser : « une grande entre­prise est natio­na­li­sée lorsqu’elle n’est plus exploi­tée qu’en vue des besoins de la com­mu­nauté et qu’elle n’a d’autre but que de pro­cu­rer aux consom­ma­teurs le maxi­mum d’utilité et d’économie. Et enfin : « Nous décla­rons encore que l’État ne doit pas être à la fois pro­prié­taire et gestionnaire.      (Cité par Gilles Pichavant,  dans Le Fil rouge,  : http://www.ihscgt76.fr/?p=729).

 


La confusion entre l'État et la nation dans un pays qui a inventé l'État-nation n'a rien de surprenant. Ainsi, les fonctionnaires ne sont-ils pas des employés de "l'État français" (comme on disait sous Pétain) mais des serviteurs de la nation. Un enseignant n'est pas le transmetteur de la pensée dominante au pouvoir ; il est celui qui éveille à la pensée les jeunes, appelés bientôt à devenir des citoyens libres, exerçant leur esprit critique et leur libre arbitre dans un monde complexe et aride.

Il fallut Emmanuel Mounier, philosophe, fondateur de la revue Esprit, (une déjà vieille référence encore !) pour qu'on cesse de confondre personne et individu. La personne se sait (et se veut !) liée à tous ses semblables ; l'individu ne compte que sur lui-même pour se construire un destin. Le triomphe de l'idéologie libérale (car on a trop peu souligné que Nicolas Sarkozy remporta, en 2007, une victoire idéologique autant que politique) s'est accompagné de l'exaltation de l'individu, y compris quand, vedette, ou "people" ou magnat, il écrase de son image, de son opulence et de son pouvoir, l'immense majorité des autres humains. Réussir revient alors à dominer.


Les contradictions économiques qui conduisent aux échecs et aux tensions actuels conduisent à repenser le rapport du privé au public. Le capitalisme et le collectivisme ne sont pas Gog et Magog, symboles de la fin des temps. Ce sont des essais gigantesques, des œuvres humaines, qui ont tendu à tout ramener à l'économique, au détriment de la société, laquelle n'est pas constituée d'individus juxtaposés mais de personnes en relation. L'écrasement des faibles par les forts n'a rien d'inéluctable et a pour cause le seul savoir faire qui a (un peu) résisté au temps : la domination de l'homme par l'homme (devenue, disait Marx, l'exploitation de l'homme par l'homme). Ce concept n'est pas marxiste ; il a été mis en œuvre aussi bien aux USA qu'en URSS, et il est toujours bien visible dans l'ensemble des activités humaines.




Le temps est donc venu de clarifier des vocables dont on ne cesse de faire mauvais usage. Le mot nation est au premier rang parmi les confusions. La nation n'est pas l'État et l'Organisation des Nations Unies n'est guère que l'Organisation de 202 États, plus ou moins unis. La planète compte bien plus de nations, c'est-à-dire de populations ayant un vouloir vivre en commun, non les unes contre les autres nations (cela devient alors des nationalismes, souvent meurtriers) mais dans un contexte linguistique, culturel et donc politique, non généralisable. Les "nations sans territoire" telles les Roms, les Inuits, les Aborigènes, ont beaucoup à apprendre aux nations voulant étendre leur modèle de vie à la planète entière.

Mais revenons aux mots : public et privé ne sont contestables que si on les pense comme des domaines rivaux ! Le service public est un service rendu à tous auquel peut concourir l'initiative privée. Le grand débat porte sur le profit et la marchandisation quand l'intérêt général c'est-à-dire celui de chacun, s'efface derrière l'intérêt particulier, (personnel : non, mais individuel : oui !).



Et nous voici revenus à la nation : la nationalisation devrait être une constante de pensée, aussi éloignée de l'étatisation que de la privatisation. Coopératives, mutuelles, associations, ces organisations dont les gains ne peuvent qu'être partagés, non lucratives donc, demeurent dans les limbes et, selon qu'elles auront ou pas un avenir, les sociétés futures vivront ou non, dans un monde de moindre violence. 

Nationaliser, c'est remettre à ceux qui sont concernés le pouvoir de décision et d'action avec un élargissement permanent des compétences. Étant entendu qu'alors la nation ne vaut pas pour l'ensemble de la population d'un État, ce qui ne manquera pas de heurter les convictions de nombre de Français, formatés par l'État-nation depuis la révolution française et la bataille de Valmy mais, plus encore, depuis que la République s'est monarchisée avec De Gaulle et, davantage même, depuis ses successeurs ! En France comme ailleurs, cette nationalisation-responsabilisation qui n'est pas confiscatoire et unificatrice, mais un partage des biens communs entre les acteurs économiques, producteurs, distributeurs et consommateurs est à re-penser. Il ne s'agira pas de re-venir à ce qu'avaient exprimé, parfois très bien, nos prédécesseurs mais de dépasser des apports oubliés et de rendre enfin possible ce à quoi s'opposent les dirigeants économiques et politiques de ce siècle : la fin du capitalisme spoliateur).


On vient de perdre une belle occasion de démystifier le mot nationalisation ! Ce n'est ni une réponse à tout, ni une monstruosité ! C'est un outil qui peut permettre à la puissance publique d'empêcher une spoliation. Le gouvernement a donné l'espoir de son soutien aux employés d'Arcelor-Mittal angoissés pour leur avenir mais... la suite reste à écrire. La déception ne peut qu'être vive ! Une nationalisation (d'autant moins à confondre avec une étatisation qu'elle serait temporaire !) ne peut plus être considérée comme une manifestation de l'anticapitalisme... C'était, pour tous les citoyens, la démonstration qu'ils peuvent, en cas grave, être soutenus par l'État. C'est raté !



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