mercredi 8 septembre 2010

Gadjo n'oublie pas ! Zakhor


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L'archevêque de Toulouse, Robert Le Gall, s'est vu reprocher d'avoir osé dire, à Lourdes, s'appuyant sur une lettre de son prédécesseur illustre, le Cardinal Saliège, que l'accueil des Roms, aujourd'hui, comme l'accueil des Juifs, hier, faisait partie de la fraternité universelle. Robert Le Gall n'a ni dit, ni pensé, que le sort des Roms, aujourd'hui, ressemblait au sort des Juifs hier. Mais peut-on oublier que le sort des Roms, hier, s'est trouvé confondu avec le sort des Juifs, hier ? C'est le mot Rom qui aurait été le plus prononcé, cet été. Ce ne fut pas toujours par sollicitude, mais aussi par "romaphobie". Il est temps de se souvenir... et de réagir !


Zakhor : « souviens-toi ». Depuis Janvier 2005, à Paris, au cœur du quartier du Marais, est ouvert le mémorial de la Shoah1. Gadjo n’oublie pas n’est que l’exhortation qui figure sur une modeste plaque, apposée à l’entrée de la Saline Royale d’Arc-et-Senans, où furent internés deux cents Tsiganes, sur ordre du gouvernement de Vichy.

Ce Gadjo n’oublie pas nous rappelle ce qui est avéré : la volonté de l’État français de fixer les Tsiganes, de les avoir sous la main, dans la crasse, le froid, la faim, l’humiliation, le dur travail forcé et jusqu’à la mort par épuisement…

Existe-t-il, ailleurs, un autre appel public permanent, écrit, où les gadjé que nous sommes puissent lire une telle interpellation, afin que ne s’efface pas complètement ce que l’histoire officielle s’évertue à taire2 ? Car ce Gadjo n’oublie pas ne peut dire toute la vérité, à savoir que les Tsiganes ont fait partie de la Shoah !

Dans l’enceinte du camp de Dachau, est exposé le tableau des triangles caractérisant tous les internés, compagnons des porteurs de l’étoile juive. Y figure le Tzigane -avec un Z comme Zigeuner-, porteur de son triangle brun. Oui, le sort des Tsiganes était scellé pour le régime nazi : ces faux Aryens, au sang mêlé, corrompaient le sang allemand. Ils étaient donc condamnés.

Zakhor, « Souviens toi », ou « Gadjo n’oublie pas », ici, se rejoignent.

Les Tsiganes sont restés internés en France, parfois jusqu’en 1946, dans l’indifférence totale. « Marginaux de la société, ils le sont de l’histoire et de la mémoire3 », comme le sont restés les homosexuels, parias du système concentrationnaire nazi4, comme le furent les noirs déportés5, tous ces abandonnés dont on n’a pu ou voulu parler.

Gadjo, n’oublie pas ! N’oublie pas que toutes les origines de la seconde et impitoyable guerre mondiale n’ont pas été, quoi qu’on prétende, découvertes et extirpées. Elles mettraient sans doute à mal une partie de nos évidences contemporaines.

Au sens strict, s'il y eut un judéocide, il n'y eut pas de génocide juif. Le génocide est inqualifiable. Cette mise en épithète est trop imprécise ! Il y a eu le génocide des Juifs, le plus connu et le mieux reconnu, qui atteignit le plus grand nombre des victimes parmi toutes les victimes. Il y eut le génocide des Tsiganes. Il y eut aussi le génocide des Slaves éliminés du sol européen par la volonté politique du Troisième Reich, au fur et à mesure de l’avancée de ses troupes. Que ne soient pas rassemblées, quelque part, dans une même commémoration historique et permanente, toutes ces humanités sacrifiées fait question !

Les Rroms, qu’on n’est pas parvenu à faire choir dans l’oubli définitif, sont là, sans textes majeurs, sans grands discours, pour rappeler que c’est tout l’homme que chaque génocide a atteint et a continué d’atteindre après 1945. S’il n’y a pas « de haine en moi pour le peuple allemand », ce n’est pas parce que je l’excuse, c’est parce que j’aborde une conviction nouvelle : il n’est aucun peuple qui soit à l’abri de la mise en marche de la machine à tuer nos condisciples. Aucun.

Comment oser penser qu’un Juif, un Russe, un Allemand peut, une fois passés l’histoire et Auschwitz, se conduire aussi atrocement qu’un nazi ? On le doit pourtant : l’atroce n’est ni juif, ni slave, ni allemand, ni d’un autre peuple, il est le fait des hommes, pas de l’homme, pas à cause de la nature de l’homme, ni à cause d’un péché en germe chez le petit d’homme, non ! Ce qui est vérifié, enseigné, constaté : c'est que l’atroce est possible chez l’homme.

Le mal existe. Il ne préexiste pas. Il n’est pas en l’homme avant que l’homme ne soit homme. Hannah Arendt a définitivement démontré « la banalité du mal »6. Craignons les dénonciateurs de l’ « idéologie du mal » : ces hommes d’État, qui se laissent aller à localiser le crime en usant d'un vocabulaire convenu, traquant les « terroristes » ou autres « délinquants », sans s'interroger sur les sources du mal.

Zakhor ! C’est la même histoire humaine, aux mille aspects, aux multiples facettes qui a plongé Juifs, Tsiganes, Rwandais, Cambodgiens, Amérindiens dans l’enfer génocidaire que les Roms appellent le samudaripen7.

Gadjo, n’oublie pas. Si tu vis encore demain, si moi, toi, le Rom, nous avons encore une parole à dire, une chanson à entonner, un poème à murmurer, un amour aux lèvres, c’est que la nuit n’est jamais complète et que l’homme n’arrive pas non plus à épuiser complètement sa capacité de bonheur…

Zakhor ! Souviens toi que tu es parfois capable d’aimer. Il reste, au bout de la nuit, un voyage à faire. Demain existe puisqu’au bout de chacune de nos nuits se représentera, probablement, l’aube.

Gadjo : le Rom, c'est l'homme qui marche parmi nous, et cherche, depuis des siècles, ce lieu sans lieu où il reste possible de créer du neuf. Fol est peut-être celui qui y croit. Mais à jamais perdu celui qui en doute !

1 - Mémorial de la Shoah, 17 rue Geoffroy l’Asnier, 75004 Paris. www.memorialdelashoah.org/

3 - Marcot François, de l’Université de Franche-Comté, historien de la seconde guerre mondiale. Dictionnaire historique de la Résistance et de la France libre, Robert Laffont, 2006.

4 - « Si ce vice continue à se répandre, ce sera la fin de l’Allemagne, du monde germanique ». Discours d’Himmler, le 18 février 1937.

5 - Bilé Serge, Noirs dans les camps nazis, Édition du Rocher/ Le Serpent à plumes, Monaco, 2005.

6 - Hannah Arendt, Eichmann à Jérusalem. Rapport sur la banalité du mal, Gallimard, 1966.

7 - Auzias Claire, Samudaripen, L'Esprit frappeur, 1999.

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