jeudi 14 octobre 2010

Suis-je un biogéen ?


Michel Serres, après avoir popularisé le mot de biogée, se dit à présent biogéen. Je voudrais l'être avec lui... Le biogéen est un Terrien conscient de son rapport au monde complexe, souple, poétique, qui n'a jamais fini de renaître et qu'on n'a jamais fini de connaître.

"Re-naissances, co-naissances, nouvelles conduites" écrit Michel Serres. Les nouveaux mots servent à pénétrer un nouveau monde ou plutôt un monde qui ne cesse de se présenter nouveau. Le constat est merveilleux et déprimant. Le réel est insaisissable. Comment vivre dans l'instable ?

Les Roms ont inventé une mobilité qui suit les mouvements du monde. Cela leur donne des repères plus sûrs que ceux que se donnent les propriétaires qui s'évertuent à posséder ce qui ne leur appartient pas. Il est donc deux sédentarités : la fixe qui est illusoire et où l'on s'enkyste et la mobile qui bouge au rythme de la terre ou du moins s'y essaie.

Le nomade traditionnel s'y efforçait aussi mais il n'a plus de troupeaux à faire pâturer toujours ailleurs, ni de sel à aller vendre, à dos de chameaux, au-delà du désert. Est nomade, pour le commun des hommes, celui qui se déplace constamment. Erreur ! Entre celui que son emploi oblige à bouger sans arrêt et celui qui choisit de ne pas choisir de lieu où s'installer à vie, il y a une immense différence. Le nomade est devenu celui qui sait avoir reçu la Terre en héritage, qu'il en fasse la visite ou pas.

Le biogéen pourrait bien être un néo-nomade, c'est-à-dire celui qui n'a pas besoin de bouger pour être mobile. Mobile en sa tête et donc impossible à enfermer dans des doctrines ou religions à vérités définitives. Mobile en son comportement et donc imprévisible pour les faiseurs de politiques intangibles.

Le biogéen n'est ni instable, ni versatile, ni inconstant. Il est attentif, curieux, en recherche et donc dans le doute, et en quête de certitudes difficiles et utiles, même quand elles s'avèrent provisoires.

Je suis un enfant de la Terre. On ne prend pas possession de sa mère. Une mère qui me donne tout ce dont j'ai besoin pour vivre mais ne veille pas sur moi. Gaya n'est ni vigilante ni compréhensible à l'aide de nos anthropomorphismes. Elle est. Nous sommes un infime morceau d'elle-même. Tous nos efforts pour parler à sa place en la définissant comme nature sont insuffisants voire vains. Toute pensée écologique qui échappe à cette modestie se contredit.

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Suis-je le biogéen que j'aimerais être ? Ce n'est pas même sûr ! Je suis un enfant face au mystère, un enfant qui ne sait encore où va tout ce qu'il découvre, un mystère qui se dévoile et se recouvre d'heure en heure. Finalement, être un homme ce n'est pas savoir mais vouloir savoir, c'est engranger des savoirs en sachant qu'aucun savoir n'englobe tous les savoirs.

Voilà pourquoi s'agrandit, en mon esprit, la distance d'avec les religions, toutes les religions, y compris celles qui ne sont que de l'anti-religion et se définissent donc par rapport aux religions ! Les religions s'approprient le mystère et bien sûr n'y parviennent pas. Elles définissent le contenu de la connaissance et, inévitablement, échouent. Elles sont courtes parce qu'elles s'interdisent de dire qu'elles ne savent pas et du coup se contredisent. Les religions ne relient pas mais lient. Elles n'ouvrent pas l'esprit à l'incommensurable; elle le réduisent à des certitudes qui ne résistent pas un siècle. Elles osent parler de Qui.. ? De Qui vous ne savez pas...

Le biogéen, s'il devait venir à exister dans les paroles des hommes serait celui qui en sait trop pour oser dire qu'il sait, qui trouve en ce doute constant et modeste, de quoi respecter quiconque a d'autres approches que les siennes, c'est quelqu'un qui a dépassé la laïcité en l'intégrant dans sa pensée au point de n'avoir plus à en faire état.


Michel Serres. Biogée, aux éditions Dialogues

Extrait de la critique de la critique de Christiane Frémont :

Michel Serres, philosophe, mais écrivain d’abord et toujours, publie aujourd’hui un livre au titre étrange et beau : Biogée – Bio signifie la vie, Gée désigne la terre. Pourquoi ce titre s’est-il imposé à lui ? c’est que, répond-il, la Vie habite la Terre et la Terre se mêle à la Vie ; c’est aussi – les lignes de Valéry et de Bernanos inscrites en exergue le disent – les choses, comme les vivants, ont un langage, et que l’âme d’un poète sait devenir arbre. Et le philosophe, lui, devient récitant, mêlant légende, histoire, récit, choses vues ou rêvées, avec des paroles de philosophie. /.../
Si surprenant soit ce livre, il est dans le droit fil de l’œuvre, car Michel Serres est l’un un des rares philosophes contemporains à toujours avoir fait entrer le monde dans ses écrits /.../ La Biogée est la nation , nous y sommes tous nés depuis notre première aurore, disait le philosophe après Copenhague, invitant à la création d’une institution véritablement mondiale.
Biogée est une rhapsodie où alternent le conteur et le philosophe, tissant ensemble une puissance verbale encore jamais atteinte, poétique au sens étymologique du terme, et la précision de la pensée
/.../
« Joie » est le dernier mot du livre. Pourquoi ? L’auteur répond : ce livre célèbre une antique et fabuleuse nouveauté…Nous savons désormais que nous jouissons d’un codage commun, nous sommes et vivons comme le monde. Le monde communique entre soi aussi bien que nous communiquons entre nous et avec lui. Gardons-nous de voir là le mythe d’une unité fusionnelle retrouvée avec le grand Tout : c’est plutôt l’idée d’une connivence, d’une familiarité ; et, pour nos savoirs et nos techniques, la compréhension et l’échange. La communication, philosophie douce, seule alternative à la maîtrise ?"

Voir : www.editions-dialogues.fr/.../michel-serres-biogée/

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