lundi 19 août 2013

Il y a pouvoir et pouvoir



Il n'est pas de politique sans pouvoir. On constate, partout, que le pouvoir s'exerce en usant de la violence. Max Weber (1864-1920), dans Le Savant et le Politique, un an avant sa mort, l'avait justifié ainsi : "Le pouvoir politique, c'est le monopole de la violence légitime".

La formule plus précise est : " l'État est une entreprise politique à caractère institutionnel lorsque, et tant que, sa direction administrative revendique avec succès, dans l'application des règlements, le monopole de la contrainte physique légitime". Le célèbre propos du sociologue allemand a été compris comme le droit, dont seul dispose l'État, de recourir à la violence.

On notera un glissement de sens : dans cette autre phrase, il n'est de pouvoir politique que dans l'État.
 
Ce monopole
de l'État résulte de ce que les sujets (comprendre assujettis et non personnes pensantes) reconnaissent que chaque État est seul à pouvoir exercer une violence sur son territoire de façon légitime, en s'appuyant sur les forces policières, militaires ou juridiques.

L'expression admise, violence légitime, fait donc référence au monopole dont disposerait l'État pour le maintien ou le rétablissement de l'ordre public. Reste à savoir de quel ordre public il s'agit ! La violence légitime peut se traduire par une limitation des libertés individuelles. Elle peut aussi dégénérer en un terrorisme d'État et, dans certains cas, prendre la forme extrême de génocide. Elle cesse, dès lors, d'être légitime même quand elle reste légale. Les lois de l'État français, sous Vichy, n'étaient pas légitimes. D'aucuns ont même douté qu'elles aient jamais été légales, l'État dirigé par Pétain s'étant nettement éloigné de la République...

Cette approche traditionnelle du concept de pouvoir, indissociable de la contrainte et pouvant aller jusqu'à la violence, fait l'impasse sur deux questions radicales autant que mal acceptées. La première se formule ainsi : l'État est-il et restera-t-il toujours indispensable à l'exercice du pouvoir politique ? La seconde interpelle notre compréhension de ce même pouvoir politique : est-il la domination des hommes ou bien est-il la possibilité de peser sur les faits, l'environnement et les événements ? Entre ces deux pouvoirs, (qu'on peut, pour faire court, ramener à maîtriser les autres, d'une part, ou à maîtriser les conditions de notre vie collective, d'autre part), y-a-t-il un lien obligé ? Sommes-nous, ad vitam aeternam, contraints de contraindre pour faire société. Plus encore : peut-on même parler de société, là où n'existeraient pas de contraintes physiques pouvant aller jusqu'au meurtre légal ?

Que nous ne sachions (et même que, jamais, les humains, au cours de leur histoire, n'aient su...) faire autrement que de régler les conflits inévitables, éventuellement utiles, qu'en recourant à la force armée a conduit à toutes les formes de guerre : tribales, féodales, frontalières, de croisade, de religion, internationales, de conquête et d'invasions, impériales, impérialistes, "mondiales", économiques, coloniales, indépendantistes, secrètes... ! Serait-ce le propre de l'homme que de se contenter de survivre entre deux affrontements sanglants ? À en juger par la permanence, la multiplicité, la sophistication et la capacité de destruction croissante des armes dont les peuples n'ont cessé de se servir, le pouvoir d'agir semble bien fonction de la puissance de détruire. Peut-on briser cet engrenage mortel sans entretenir la violence qu'on voudrait supprimer ?

Il n'est sans doute aucune pré-occupation plus intense pour un esprit libre. La philosophie achoppe devant cette guerre totale que l'homme se fait à lui-même depuis qu'il est apparu sur Terre. La tentation est grande, alors, de renoncer à résoudre cette aporie, cette contradiction insoluble : guerre et paix n'ont jamais pu que coexister et rechercher comment exercer le pouvoir d'être actif, influent et constructif mais sans tuer apparaît tout à fait vain. Chaque enfant, en grandissant, découvre, entend et constate que la destruction de l'homme par l'homme est quotidienne, parfois vantée et, en tout cas, inévitable ! Douloureux apprentissage pour les générations qui se succèdent et sont, parfois, tôt livrées à la boucherie et, si ce n'est plus le cas, actuellement, en Europe, c'est ailleurs que la terre s'ensanglante. Les tueries multiples éliminent autant de vies que les "grandes" guerres !

Quel pouvoir conquérir qui non seulement ne s'installerait pas dans la domination lente ou brutale, celle qui assassine avec ou sans lois, mais qui saurait perdurer, sans se contredire, et sans s'abandonner aux coups mauvais de sociétés évidemment rivales, installées et surarmées ? Il n'est guère de choix ! Ou l'on s'incline devant une réalité où le pouvoir dominant est celui des États au service des économies de profit, ou bien on fait le pari, à première vue impossible, de tenter de vivre en anarchie, celle qui n'est pas violente et qui s'organise non contre l'État mais sans État. Ce dilemme est notre lot : ou bien le découragement définitif ou bien la prétention folle de conserver une espérance au cœur de la nuit...

À côté du pouvoir illusoire des puissants qui agissent fortement mais à côté du réel, il faut essayer le pouvoir sur soi, la maîtrise de sa vie, sans volonté de pouvoir sur ses semblables, ses égaux et ses frères. C'est, d'ailleurs, le seul pouvoir des sans pouvoirs que nous sommes. Gageure ou défi, peu importe ! Il faut oser choisir ce qui ne peut se vivre encore mais ce qu'une analyse écologique sérieuse révèle comme déjà engagé. C'est la seule chance, à terme, de l'humanité si elle veut demeurer longtemps pérenne, avant que, nous dit-on, n'explose le soleil, d'ici à quelques milliards d'années...



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