samedi 30 juillet 2011

La révolution qui vient...


Voir les Grandes Images

Yvan Craipeau (1911 - 2001) écrivit ce livre en... 1957
http://fr.wikipedia.org/wiki/Yvan_Craipeau

Inutile de mettre une majuscule à "la révolution qui vient"... Elle est banale. Elle est inéluctable. Elle sera dure. Elle bouleverse des certitudes installées depuis des siècles. Elle renoue, pourtant, avec "la" Révolution, la grande, celle de la rupture avec la monarchie.

Quand on lit, sur le site de la nébuleuse intellectuelle Terra Nostra que la gauche, pour ré-accéder au pouvoir, devrait s'adapter à un électorat plus diplômé, plus féminisé, moins ouvrier, plus jeune, on assiste à la mise à mort de la politique et, en particulier à la mise à mort de la gauche en tant qu'entité proposant aux citoyens une autre organisation économique et sociale, plus juste et plus accessible aux humbles.

Ces élucubrations ne pèseront plus rien quand surgiront les conséquences d'évolutions encore souterraines mais qui, tel le tremblement de terre ou le tsunami, se gonflent, dans l'ignorance et l'indifférence quasi générales, jusqu'au surgissement d'événements qui modifient, d'un coup, la donne économique et politique.

L'histoire est patiente. Le "grand soir", préparé par les révolutionnaires, n'a plus guère de sens depuis que le changement résulte davantage de transformations planétaires qui modifient les rapports entre les hommes, presque indépendamment de leur volonté ! "La révolution qui vient" n'a plus besoin de révolutionnaires ou, plutôt, ce ne sont plus les révolutionnaires qui engendrent la révolution, mais la révolution qui produit des révolutionnaires.

La révolution arabe n'a pas été voulue par les Arabes, mais les Arabes n'ont pu que l'accompagner quand l'insupportable a atteint un niveau où la mort elle-même ne pouvait être pire que ce que les dictateurs imposaient aux peuples. Cette révolution-là est en marche et bien sot serait celui qui penserait qu'elle est faite, et qu'il suffit d'en dégager les conséquences en Tunisie, en Égypte, en Syrie, en Lybie, ou ailleurs... La tentative occidentale de reprendre la main dans la région proche orientale est vaine. Des peuples ont découvert qu'ils pouvaient non seulement peser sur leur propre destin, mais servir d'exemple au monde entier. On ne reviendra pas en arrière, même si l'on cherchera à masquer les effets profonds d'événements qui perturbent, notamment, les pétroliers, les agences de tourisme et... la politique d''Israël.

La révolution écologique ne résulte pas de l'action politique des écologistes, mais les écologistes disposent des outils d'analyse et d'informations permettant d'éclairer l'opinion sur ce qui peut se passer au cours du XXIe siècle. Cette révolution-là qui conduit à constater que "l'abondance s'entretient" et qu'il n'est de "richesse durable que renouvelable" modifie toute la conception capitaliste de la production, dès lors qu'elle est prédatrice et épuise y compris les ressources nécessaires à l'humanité. La décroissance n'est pas un concept en ce sens qu'elle ne vise aucune cible ; ce n'est pas un objectif économique ou politique. Cependant, c'est une contre dynamique intellectuelle : dans un monde dont nous avons compris et vérifié les limites. Le "toujours plus" est, enfin, reconnu comme étant "plus" que stupide..., criminel ! L'humanité va devoir abandonner cette idéologie de domination de la nature et devra renoncer à ses comportements de pillarde, capable de se nuire à elle-même jusqu'à la destruction finale.



On a pu penser, en 2008, que la crise économique, monétaire, banquière, boursière..., planétaire, marquait le début de la fin du capitalisme ! De bons esprits, prompts à la reconversion, si c'est leur intérêt, ont même, alors, écrit que, tel le communisme soviétique en 1989, le système allait imploser. C'était compter sans l'adaptabilité prodigieuse du dit système et sur l'énergie intellectuelle considérable des Puissants et des Sages qui ont à sauver leurs profits matériels et intellectuels. Une guerre idéologique s'est déclenchée et, puisqu'il faut gérer, désormais, un monde dont on sait qu'il n'est pas inépuisable, il a été décidé de faire peser, sur ceux qui n'ont pas le pouvoir, c'est-à-dire l'énorme masse des exploités ré-exploitables, la charge de la décroissance des revenus, de manière à pouvoir enfler encore le volume de la croissance rentable et génératrice de richesses pour les riches... Ainsi sommes-nous entrés, pour quelque temps, dans l'âge de la rigueur et de l'austérité pour la majorité afin d'éviter la sobriété pour tous.

Que pèse, devant de telles évolutions de société, les discours dits de gauche ou de "socialisme". Qu'il soit bien clair que "la révolution qui vient" engloutit ces bavardages et détruit des mots devenus sans contenu. Une gauche adaptable au capitalisme structurellement en perdition ne peut que retarder un processus qu'elle devrait appeler de ses vœux ! Elle est "contre-révolutionnaire" et suicidaire. Elle n'est plus. Ne parlons pas davantage de "socialisme", mot blessé à mort par le capitalisme d'État soviétique et, aujourd'hui, qu'on aurait pu voir incarné, en 2012, par des vedettes médiatiques, dont le grand talent masquait si bien les immenses appétits ! "La révolution qui vient" ne peut même plus restaurer la charge positive, historique, des mots gauche et socialisme ! Y rester fidèle, c'est les abandonner.



Éclairage final, celui de Bertrand Rothé et Gérard Mordillat : Il n'y a pas d'alternative. Le slogan de Margaret Thatcher ("No alternative", qui signifiait : nous avons le choix entre le capitalisme et le capitalisme) se retourne ! Il n'y a pas d'alternative à l'abandon du capitalisme. Ou bien, comme l'annonçait André Gorz, nous passerons, de nous-mêmes, à l'après-capitalisme ou bien la fin du capitalisme s'accompagnera de la barbarie, une barbarie qui n'est pas encore inévitable mais qui a commencé à s'installer.

"La révolution qui vient" est d'autant plus subtile, puissante et imprévisible qu'elle repose sur une double force : celle de la jeunesse qui n'en peut plus de vivre sans espoir d'un mieux et celle des pauvres qui n'en peuvent plus de lutter, lutter toujours pour vivre chichement. La richesse globale produite peut bien, pour quelque temps encore, augmenter, mais elle ne profite qu'à une minorité des humains et, communication oblige, la planète entière le sait.



Les éducateurs, les philosophes, les républicains n'ont rien d'autre à faire que de préparer les citoyens à ce qui va se produire plutôt que de penser élections ! Il en est de la politique comme des hautes études, celui qui vise le résultat réussit moins bien que celui qui se passionne pour ce qu'il étudie. Étudions donc la situation permettant d'accéder à la démocratie économique, au partage entre tous et le reste nous sera donné par surcroît...

dimanche 24 juillet 2011

Tuer pour imposer SA vérité !

La vie est courte. La vie est dure. Mais cela ne semble pas suffire à certains d'entre nous qui l'abrègent ou la rendent accablante !

Ce qui vient de se passer à Oslo n'est pas seulement grave par le nombre de victimes (chaque jour, la route, les guerres et les crimes tuent davantage !) mais que, dans un pays paisible, l'un de ses citoyens, car c'en était un, apparemment sans connivences, se livre à un double massacre symbolique, (contre les institutions gouvernementales et contre la jeunesse politisée), laisse l'opinion mondiale sidérée.

On peut songer que la folie, ou un moment de folie, soit à l'origine de ce comportement inouï, mais l'explication est beaucoup plus triviale : depuis plusieurs années, cet homme, encore jeune, sans s'en cacher, exprimait une haine de l'autre, un refus d'autres cultures que la sienne, un prétendu christianisme qui, peu à peu, l'ont transformé en fanatique.



Le fanatisme, c'est ça...

La possession d'armes étant, dans nos pays civilisés, un droit, il devient possible, comme on l'a vu aux USA ou ailleurs, de mitrailler des innocents et de supprimer des vies. Qu'on s'en émeuve ensuite a quelque chose d'hypocrite. Les marchands d'armes ne se contentent pas de fournir des outils de mort aux usagers des stands de tir. Ils vendent. Tout au plus se soucient-ils que des ports d'armes soient délivrés. Le tueur norvégien était porteur d'un tel permis lui ouvrant la possession des moyens par lesquels il a mis à mort des dizaines de jeunes gens !

Mais ce n'est pas le couteau qui fait l'égorgeur. Ce qui tue le plus sûrement c'est ce qui se passe dans un cerveau appartenant à un homme qui tue pour imposer SA vérité.

La civilisation occidentale n'est pas à l'abri de ces monstruosités ! Il est un peu simple de nommer "terrorisme" le comportement fanatique d'islamistes sans pitié pour les incroyants (et pour leurs coreligionnaires aussi, d'ailleurs !). Le terrorisme est la pratique de ceux qui tuent parce qu'ils pensent qu'ils ont raison, envers et contre tout, et qui veulent dominer le monde avec leurs idées autant et plus qu'avec leurs armes. Et là, le terrorisme devient "la chose du monde la mieux partagée"... Les armées, qu'elles soient aux ordres et disciplinées,, ou constituées de soudards assassins finissent, les unes comme les autres, par justifier leurs charniers par la nécessité de faire triompher la vérité, leur vérité, celle qu'elles ont reçu l'ordre de faire triompher.

La banalisation du meurtre est un virus qu'attrapent les esprits faibles. Quand la violence légale est honorée, la violence de ceux qui se croient dans leur droit absolu se trouve justifiée. Les sociétés qui font pire que la loi de la jungle en affirmant que la défense autorise la force armée ne doivent pas s'étonner des dérives fatales qui surgissent, de loin en loin, au cœur des nations les plus modérées. La question est encore et toujours celle-ci : "est-ce ainsi que les hommes vivent ?" N'y a-t-il aucun espoir de voir les humains vivre ensemble sur une même planète dont ils ne peuvent encore s'extraire ? Tuer est-il, pour l'humanité, une nécessité... vitale ? Est-il si naïf de s'interroger ainsi ? Ne suffit-il pas que nous soyons mortels ? Faut-il encore que nous nous donnions la mort avec la conviction que nous faisons, alors, "notre devoir" ?

Le meurtre épouvantable qui a été perpétré en Norvège nous renvoie à cette erreur bien installée qui, sous mille formes, et que ce soit au nom de Dieu (sacrilège !) ou pas, conduit à cette certitude infernale selon laquelle tuer fait partie de notre histoire et demeure indispensable. Anders Behring Breivik le pensait si fort qu'il a voulu éliminer les signes et les germes d'une société qu'il voulait délivrer de ses erreurs. Lui n'est pas mort, et terminer sa vie en prison ne suffira pas sans doute pas à le convaincre qu'il était tombé dans le pire des crimes, celui où l'on massacre parce que l'on pense qu'on fait le bien.


Il est, à présent, une vedette ! Il peut devenir un affreux "exemple" !

C'est, révèle la presse, dans un long manifeste que le tueur détaille les préparatifs de son action, évoquant «l'usage du terrorisme comme un moyen d'éveiller les masses» et dit s'attendre à être perçu «comme le plus grand monstre depuis la Seconde guerre mondiale». Comment ces graines de mort ont-elles germé dans un esprit délirant ? N'avons-nous pas à nous interroger sur les causes de cette aberration tragique qui a conduit l'un de ceux qui professent des "vérités" de la plus haute intolérance à "aller jusqu'au bout" ? Qui ne s'oppose pas à la divulgation de ces folies ne porte-t-il pas une part de l'horreur ? Il ne s'agit pas d'un drame norvégien ! Il s'agit de notre tolérance de l'intolérance. Il s'agit de notre connivence permanente avec les logiques de violence dont ne savent se séparer ni nos politiques ni nos philosophies.

Si nous nous limitions à condamner sans savoir expliquer, nous n'aurions fait que nous donner bonne conscience mais, là ou ailleurs, plus tard, et pour mes mêmes raisons, le fanatisme refrappera. Et si l'on en vient à penser que, finalement, l'on n'y peut rien, alors cessons tout discours sur les droits de l'homme, continuons à fabriquer des bombes et des armes de poing et... vendons les, car, n'est-ce pas, cela n'est pas discutable : c'est la loi du profit, qui ne connaît aucun interdit et aucune contestation.


C'est l'humanité qui se tue...

http://www.leparisien.fr/international/attentats-en-norvege-le-tueur-preparait-son-geste-depuis-2009-24-07-2011-1543506.php.
http://www.de-la-vie.com/14-citations/fanatisme/fanatisme.htm

jeudi 21 juillet 2011

Actualité de la pensée d'Agamben

Il est bon de revenir vers des textes qui donnent à penser, même quand on ne les pénètre pas complétement. Je retiens celui-ci parce qu'il oblige à un dépassement : des partis, des "divisions" (majorité/ minorité, esclave/homme libre, dominant/ dominés, etc...), des évidences installées par la doxa en nos esprits peu cultivés). Il fut écrit voici plus de dix ans. Je le trouve fort actuel. Je suis frappé notamment par la pertinence du rapport entre le reste et le résistant, mots de même étymologie. Le résistant n'est pas issu d'une majorité ou d'une minorité. Il est un refusant. Il dit non à ce qui s'impose au nom de "vérités temporaires". Agamben aide à résister, au-delà de tout pessimisme. Nous vivons une époque de mauvais consensus où il faut "tenir", résister. Avec le temps la raison d'être de cette résistance se révélera.

Une biopolitique mineure

Entretien avec Giorgio Agamben

réalisé par Stany Grelet & Mathieu Potte-Bonneville au cours de l'hiver 2000

Giorgio Agamben est philosophe. Il a notamment théorisé, dans la lignée de Foucault, la « biopolitique ». Une structure de pouvoir très ancienne, dont il fait remonter la généalogie à l’Antiquité occidentale et qui n’a cessé de s’épandre depuis, jusqu’à devenir la forme dominante de la politique dans les États modernes : un « état d’exception devenu la règle ». L’objet propre de la biopolitique, c’est la « vie nue » (zôè), qui désignait chez les Grecs « le simple fait de vivre », commun à tous les êtres vivants (animaux, hommes ou dieux), distincte de la « vie qualifiée » (bios) qui indiquait « la forme ou la façon de vivre propre à un individu ou un groupe ». L’objet de la souveraineté, selon Giorgio Agamben, c’est non pas la vie qualifiée du citoyen, bavard et bardé de droits, mais la vie nue et réduite au silence des réfugiés, des déportés ou des bannis : celle d’un « homo sacer » exposé sans médiation à l’exercice, sur son corps biologique, d’une force de correction, d’enfermement ou de mort. Au modèle de la cité, censé régir la politique occidentale depuis toujours, il oppose celui du camp, « nomos de la modernité », paradigme de cette « politisation de la vie nue » qui est devenu l’ordinaire du pouvoir. La structure de la politique occidentale, nous dit-il, ça n’est pas la parole, c’est le ban [1].

Cette thèse a une actualité évidente. Les mesures de santé publique, de mise au travail, de contrôle de l’immigration ou la prohibition des drogues révèlent la nature éminemment biopolitique des politiques publiques contemporaines. Elles s’appliquent précisément à des vies nues prises dans les catégories et les dispositifs d’un pouvoir qui les traitent comme telles - vies exposées et administrées. On pense immédiatement aux sans-papiers, bien sûr, objets de camps très littéraux, très réels. Mais aussi aux usagers de drogues, enjoints au soin ou incarcérés ; aux chômeurs, enjoints au travail ou condamnés à la misère d’un welfare de plus en plus chiche ; ou bien d’autres. Ça n’est sans doute pas un hasard si les récents débats sur le PACS ont vu la prolifération de métaphores animalières. Au Parlement même, cœur théorique des cités parlementaires, le bios cède le pas à la zôè dès qu’on légifère sur des vies.

Mais Giorgio Agamben ne s’en tient pas à un diagnostic conceptuel. À plusieurs reprises, il appelle et annonce, d’une manière assez prophétique, une « autre politique » [2]. Celle-ci se déploiera nécessairement au lieu même où s’exerce la souveraineté moderne, parce qu’on n’y échappe pas. Celle-ci, pour être « autre », devra sinon s’en abstraire, du moins l’affronter, ou le subvertir. Or il se pourrait bien que les groupes les plus exposés au biopouvoir soient en train, depuis l’expérience qu’ils en font et les résistances qu’ils lui opposent, d’inventer l’alternative que Giorgio Agamben appelle de ses vœux. Pris dans les appareils du biopouvoir, sans véritable opportunité d’en sortir (comme échapper au pouvoir médical lorsqu’on est atteint par le VIH, à l’administration du welfare lorsqu’on n’a pas de revenus, aux guichets des préfectures, aux centres de rétention ou aux zones d’attente lorsqu’on n’a pas de papiers, etc. ?), ces groupes inventent une biopolitique mineure, en contrepoint de celle de l’adversaire. En revendiquant de quoi vivre : des traitements anti-rétroviraux, un revenu minimum garanti, des drogues légales et sûres, etc. En affrontant le pouvoir là où il s’exerce : au guichet des administrations, dans les bureaucraties sanitaires, dans les tribunaux ordinaires, etc. En cherchant, en quelque sorte, le bios de leur zôè.

Si nous avons souhaité vous rencontrer, c’est en particulier pour vous interroger sur « l’autre versant », si l’on peut dire, de la biopolitique dont vous parlez. Un certain nombre de mouvements - ceux, précisément, dont nous sommes issus ou dont nous sommes proches : celui des sans-papiers, celui des précaires, celui des malades du sida ou celui, émergent, des usagers de drogues - se déploient exactement dans le lieu politique que vous avez identifié : dans cette zone d’indictinction « entre public et privé, corps biologique et corps politique, zôè et bios », dans cet « état d’exception qui est devenu la règle ». Or de ces mouvements vous parlez peu, ou indirectement. Ils rôdent entre vos lignes, mais plutôt comme objets (des camps, du welfare ou du pouvoir médical) que comme sujets. Vous analysez avec précision la biopolitique majeure, celle de l’ennemi, dont vous tracez minutieusement la généalogie, dont le foyer, dites-vous, serait cet « homo sacer », vie nue exposée au pouvoir souverain, et dont vous examinez attentivement les dispositifs, comme le camp ; mais vous délaissez les biopolitiques de riposte ou de réappropriation, les biopolitiques mineures, « notre » biopolitique, pour ainsi dire : celle d’AC !, des collectifs de sans-papiers ou d’Act Up. Vous en pensez pourtant la possibilité, et la nécessité : « C’est », dites-vous, « à partir de ce terrain incertain, de zone opaque d’indifférenciation, que nous devons aujourd’hui retrouver le chemin d’une autre politique, d’un autre corps, d’une autre parole. Je ne saurais renoncer sous aucun prétexte à cette indistinction entre public et privé, corps biologique et corps politique, zôè et bios. C’est là que je dois retrouver mon espace - là, ou en nul autre lieu. Seule une politique partant de cette conscience peut m’intéresser. » Mais vous n’explorez pas les formes concrètes de lutte qui pratiquent, précisément, la politique depuis cette conscience - et cette expérience - de l’état d’exception. Or n’y a-t-il pas là, justement, lorsque des chômeurs réclament un revenu garanti, lorsque des malades du sida exigent des traitements, ou lorsque des usagers de drogue revendiquent des drogues sûres, l’embryon de cette autre biopolitique que vous appelez de vos vœux ?

Dans un sens, il faudrait plutôt renverser la question. C’est plutôt des acteurs en question qu’il faudrait attendre une réponse. Cela dit, si les mouvements et les sujets dont vous parlez « rôdent entre mes lignes plutôt comme objets que comme sujets », c’est que je vois là un problème majeur : la question du sujet, précisément, que je ne peux concevoir qu’en terme de processus de subjectivation et de désubjectivation - ou plutôt comme un écart ou un reste entre ces processus. Qui est le sujet de cette nouvelle biopolitique, ou plutôt de cette biopolitique mineure dont vous parlez ? C’est un problème toujours essentiel dans la politique classique, lorsqu’il s’agit de trouver qui est le sujet révolutionnaire, par exemple. Il y a des gens qui continuent de poser ce problème dans le sens ancien du terme : celui de la classe, du prolétariat. Ce ne sont pas des problèmes obsolètes, mais dès qu’on se pose sur le nouveau terrain dont on parle, celui du biopouvoir, de la biopolitique, le problème est autrement difficile. Parce que l’État moderne fonctionne, me semble-t-il, comme une espèce de machine à désubjectiver, c’est-à-dire comme une machine qui brouille toutes les identités classiques et, dans le même temps, Foucault le montre bien, comme une machine à recoder, juridiquement notamment, les identités dissoutes : il y a toujours une resubjectivation, une réidentification de ces sujets détruits, de ces sujets vidés de toute identité. Aujourd’hui, il me semble que le terrain politique est une espèce de champ de bataille où se déroulent ces deux processus : en même temps destruction de tout ce qui était identité traditionnelle - je le dis sans aucune nostalgie bien sûr - et resubjectivation immédiate par l’État ; et pas seulement par l’État, mais aussi par les sujets eux-mêmes. C’est ce que vous évoquiez dans votre question : le conflit décisif se joue désormais, pour chacun de ses protagonistes, y compris les nouveaux sujets dont vous parlez, sur le terrain de ce que j’appelle la zôè, la vie biologique. Et en effet il n’en est pas d’autre : il n’est pas question, je crois, de revenir à l’opposition politique classique qui sépare clairement privé et public, corps politique et corps privé, etc. Mais ce terrain est aussi celui qui nous expose aux processus d’assujettissement du biopouvoir. Il y a donc là une ambiguïté, un risque. C’est ce que montrait Foucault : le risque est qu’on se réidentifie, qu’on investisse cette situation d’une nouvelle identité, qu’on produise un sujet nouveau, soit, mais assujetti à l’État, et qu’on reconduise dès lors, malgré soi, ce processus infini de subjectivation et d’assujettissement qui définit justement le biopouvoir. Je crois qu’on ne peut pas échapper au problème.

S’agit-il là d’un risque ou d’une aporie ? Toute subjectivation est-elle fatalement un assujettissement, ou peut-on dégager quelque chose comme une maxime, une recette de subjectivation, qui permettrait d’échapper à l’assujettissement ?

Dans les derniers travaux de Foucault, il y a une aporie qui me semble très intéressante. Il y a d’une part tout le travail sur le « souci de soi » : il faut se soucier de soi, dans toutes les formes de pratique de soi. Et en même temps, à plusieurs reprises, il énonce le thème apparemment opposé : il faut se déprendre de soi. Il dit plusieurs fois : « On est fini dans la vie si l’on s’interroge sur son identité ; l’art de vivre, c’est détruire l’identité, détruire la psychologie. » Donc il y a bien ici une aporie : un souci de soi qui doit aboutir à une déprise de soi. Une manière dont on pourrait poser la question, c’est : qu’est-ce que c’est qu’une pratique de soi, non pas comme processus de subjectivation, mais qui n’aboutirait au contraire qu’à une déprise, qui trouverait son identité uniquement dans une déprise de soi ? Il faudrait pour ainsi dire se tenir en même temps dans ce double mouvement, désubjectivation et subjectivation. Évidemment, c’est un terrain difficile à tenir. Il s’agit vraiment d’identifier cette zone, ce no man’s land qui serait entre un processus de subjectivation et un processus contraire de désubjectivation, entre l’identité et une non-identité. Il faudrait identifier ce terrain, parce que c’est ce terrain qui serait celui d’une nouvelle biopolitique. C’est précisément ce qui fait, à mes yeux, l’intérêt d’un mouvement comme celui des malades du sida. Pourquoi ? Parce qu’il me semble que là, on ne s’identifie que sur le seuil d’une désubjectivation absolue, qui parfois peut être même le risque de la mort. Il me semble qu’on se tient là dans ce seuil. J’ai essayé un peu dans le livre sur Auschwitz, à propos du témoignage, de voir le témoin comme modèle d’une subjectivité qui ne serait que le sujet de sa propre désubjectivation. Le témoin ne témoigne de rien d’autre que de sa propre désubjectivation. Le rescapé témoigne uniquement pour les Musulmans [3]. Ce qui m’intéressait dans la dernière partie de ce livre, c’était vraiment d’identifier un modèle du sujet comme ce qui reste entre une subjectivation et une désubjectivation, une parole et un mutisme. Ce n’est pas un espace substantiel, c’est plutôt un écart entre deux processus. Mais là ce n’est qu’un début. On touche à peine ici à une nouvelle structure de la subjectivité, mais c’est très compliqué, c’est tout un travail à faire. Il faudrait vraiment... C’est une pratique, pas un principe. Je crois qu’on ne peut pas avoir de principes généraux, sauf être attentif à ne pas retomber dans un processus de re-subjectivation qui serait en même temps un assujettissement, c’est-à-dire n’être un sujet que dans la mesure d’une stratégie ou d’une tactique. C’est pour cela qu’il est très important de voir dans la pratique que chacun ou que les mouvements ont d’eux-mêmes comment se dessinent ces zones possibles. Et ça peut être partout, en travaillant à partir de cette notion de souci de soi chez Foucault, mais en la déplaçant dans d’autres domaines : toute pratique de soi qu’on peut avoir, même cette mystique quotidienne qu’est l’intimité, toutes ces zones où l’on côtoie une zone de non-connaissance ou une zone de désubjectivation, que ce soit la vie sexuelle ou n’importe quel aspect de la vie corporelle. Là on a toujours des figures où un sujet assiste à sa débâcle, côtoie sa désubjectivation, tout cela, ce sont des zones quotidiennes, une mystique quotidienne très banale. Il faut être attentif à tout ce qui nous donnerait une zone de ce genre. C’est encore très vague, mais c’est cela qui donnerait le paradigme d’une biopolitique mineure.

Vous présentez l’identité comme un risque, une erreur du sujet. N’y a-t-il pas, néanmoins, une épaisseur matérielle des identités, ne serait-ce que dans la mesure où l’adversaire nous assigne à elles, que ce soit par la loi (pensez aux lois sur l’immigration) ou par l’insulte (pensez aux injures homophobes), qui les rend pour ainsi dire objectives ? En d’autres termes, quelle marge de désubjectivation nos conditions sociales nous laissent-elles ?

Je travaille en ce moment sur les lettres de Paul. Paul pose le problème : « Qu’est-ce que la vie messianique ? Qu’allons-nous faire maintenant que nous sommes dans le temps messianique ? Qu’allons-nous faire par rapport à l’État ? » Et là il y a ce double mouvement qui a toujours fait problème, qui me semble très intéressant. Paul dit en même temps : « Reste dans la condition sociale, juridique ou identitaire, dans laquelle tu te trouves. Tu es esclave ? Reste esclave. Tu es médecin ? Reste médecin. Tu es femme, tu es marié ? Reste dans la vocation dans laquelle tu as été appelé. » Mais en même temps, il dit : « Tu es esclave ? Ne t’en soucie pas, mais fais-en usage, profites-en. » C’est-à-dire qu’il n’est pas question que tu changes de statut juridique, ou que tu changes ta vie, mais fais-en usage. Il précise ensuite ce qu’il veut dire par cette image très belle : « comme si non », ou « comme non ». C’est-à-dire : « Tu pleures ? Comme si tu ne pleurais pas. Tu te réjouis ? Comme si tu ne te réjouissais pas. Es-tu marié ? Comme non-marié. As-tu acheté une chose ? Comme non-achetée, etc. » Il y a ce thème du « comme non ». Ce n’est même pas « comme si », c’est « comme non ». Littéralement, c’est : « Pleurant, comme non pleurant ; marié, comme non marié ; esclave, comme non esclave. » C’est très intéressant, parce qu’on dirait qu’il appelle usages des conduites de vie qui, en même temps, ne se heurtent pas frontalement au pouvoir - reste dans ta condition juridique, dans ta vocation sociale - mais les transforment complètement dans cette forme du « comme non ». Il me semble que la notion d’usage, en ce sens, est très intéressante : c’est une pratique dont on ne peut pas assigner le sujet. Tu restes esclave, mais, puisque tu en fais usage, sur le mode du comme non, tu n’es plus esclave.

Comment un tel usage pourrait-il être proprement politique, ou sous conditions politiques ? Parce qu’il serait possible d’y voir une conversion de pensée strictement individuelle ou éthique, ou même religieuse, en tout cas singulière et « privée », disons, avec les guillemets. Quelle relation cette conversion vis-à-vis de son propre statut, qui permet de ne plus être un sujet, entretient-elle avec la politique ? En quoi est-ce que ça nécessite de la communauté, de la lutte, du conflit, etc. ?

Bien sûr, on considère parfois ce thème chez Paul comme relevant de l’intériorisation. Mais je ne crois pas du tout qu’il s’agisse de cela. Son problème, c’est au contraire celui de la vie de la communauté messianique à laquelle il s’adresse. Par exemple, ce thème de l’usage, on le voit ressortir sous une forme très forte - une critique du droit - dans le mouvement franciscain, où le problème est celui de la propriété : ces ordres qui pratiquent la pauvreté extrême refusent toute propriété, et en même temps ils doivent faire usage de certains biens. Il y a à cette occasion un conflit très fort avec l’Église, dans le sens où l’Église veut bien admettre qu’ils refusent un droit de propriété qu’il soit un droit de propriété de l’individu, ou un droit de propriété de l’ordre - parce qu’ils le refusent même en temps qu’ordre -, mais elle voudrait qu’ils classifient leur conduite de vie comme droit d’usage. C’est quelque chose qui existe encore : l’usufructus, le droit d’user, en tant que séparé du droit de propriété. Eux insistent au contraire, et c’est là le conflit : ils disent : « Non, ce n’est pas un droit d’usage, c’est de l’usage sans droit. » Ils appellent cela usus pauper, l’usage pauvre. C’est vraiment l’idée d’ouvrir une zone de vie communautaire qui fait usage, mais qui n’a pas de droit, et n’en revendique pas. D’ailleurs, les Franciscains ne critiquent pas la propriété, ils en laissent tous les droits à l’Église : « La propriété ? Nous n’en voulons pas. Nous nous en servons. » On peut donc dire que ce problème est purement politique, ou du moins communautaire.

Néanmoins, est-ce être absolument un hasard si les références que vous convoquez pour penser cette alternative appartiennent à la sphère religieuse ? Par moment, à vous lire, il y a dans la désignation de cette autre politique, ou de cette autre statut du politique, quelque chose comme un ton prophétique. Vous écrivez par exemple : « C’est pourquoi, si l’on nous permet d’avancer une prophétie sur la politique qui s’annonce, celle-ci ne sera plus un combat pour le contrôle ou la conquête de l’État par de nouveaux ou d’anciens sujets sociaux, mais une lutte entre l’État et le non-État (l’humanité), disjonction irrémédiable des singularités quelconques et de l’organisation étatique. » Quelle place accordez-vous à ces références et à ce ton-là dans votre travail ?

Ce qui m’intéresse dans les textes de Paul, ce n’est pas tellement le domaine de la religion, mais ce domaine ponctuel qui a affaire avec le religieux mais qui ne coïncide pas avec lui, qui est le messianique, c’est-à-dire un domaine très proche du politique. Là, c’est plutôt un autre auteur qui a été décisif pour moi, qui n’est pas du tout religieux : c’est Walter Benjamin, qui pense le messianique comme paradigme du politique, ou disons du temps historique. C’est plutôt cela dont il est question pour moi. Et je pense en effet que la manière dont, dans la première Thèse sur le concept d’histoire, Benjamin introduit la théologie en tant qu’entité qui, même cachée, doit aider le matérialisme historique à remporter la partie contre ses ennemis, reste un geste très légitime et très actuel, qui nous donne, justement, les moyens de penser autrement le temps et le sujet. Alors vous parliez du prophète... Ces jours-ci, j’étais en train d’écouter les cours enregistrés de Foucault, notamment celui où il distingue quatre figures de la véridiction dans notre culture : le prophète, le sage, le technicien, et puis celui qu’il appelle le parrèsiastès, celui qui a le courage de dire la vérité. Le prophète parle au futur, et non pas en son nom, mais au nom de quelque chose d’autre. Le parrèsiastès, au contraire, avec lequel Foucault s’identifie sans doute, parle en son nom, et doit dire ce qui est vrai maintenant, aujourd’hui. Bien sûr, il dit que ce ne sont pas des figures séparées. Mais moi je revendiquerais plutôt la figure du parrèsiastès que celle du prophète. Bon, le prophète, c’est évidemment très important, et c’est même une catastrophe qu’il ait quitté notre culture : la figure du prophète, c’était celle du leader politique jusqu’à il y a cinquante ans ; il a complètement disparu. Mais en même temps, il me semble qu’on ne peut plus penser un discours qui s’adresse au futur. Il faut penser l’actualité messianique, le kairos, le temps de maintenant. Cela dit, c’est un modèle de temps très compliqué, parce que ce n’est ni le temps à venir - l’eschatologie future, l’éternel -, ni exactement le temps historique, le temps profane, c’est un morceau de temps prélevé sur le temps profane qui, du coup, se transforme. Benjamin écrit quelque part que Marx a sécularisé le temps messianique dans la société sans classes. C’est tout à fait vrai. Mais en même temps avec toutes les apories que cela engendre - les transitions, etc. - c’est une espèce d’écueil sur lequel la Révolution a échoué. On ne dispose pas d’un modèle de temps qui permette de penser cela. En tout cas, je crois que le messianique est toujours profane, jamais religieux. C’est même la crise ultime du religieux, le rabattement du religieux dans le profane. À ce propos, je pense à une revue qui vient d’être publiée en France, par des jeunes gens que je connais, qui s’appelle Tiqqun [4]. Là, c’est vraiment une revue messianique, parce que Tiqqun, dans la cabale de Luria, c’est justement le terme de la rédemption messianique, de la restauration messianique. Ça m’intéresse, parce que c’est une revue extrêmement critique, très politique, qui prend un ton très messianique, mais toujours de manière complètement profane. Ainsi ils appellent Bloom les nouveaux sujets anonymes, les singularités quelconques, évidées, prêtes à tout, qui peuvent se diffuser partout, mais restent insaisissables, sans identité mais réidentifiables à chaque moment. Le problème qu’ils se posent, c’est : « Comment transformer ce Bloom, comment ce Bloom va-t-il opérer le saut au-delà de lui-même ? »

C’est là, peut-être, que nous avons du mal à vous suivre. Non pas sur la posture messianique, mais sur les « singularités quelconques ». Comment dire ? À vous entendre, la biopolitique nouvelle, cette politique qui s’annonce, relève davantage de la fuite ou de la sortie que de la résistance ou du conflit. D’un côté vous identifiez très clairement un ennemi, un adversaire, très massif, très consistant, très cohérent, dont on peut tracer des généalogies longues, dont on peut repérer des dispositifs récurrents, etc. De l’autre, face à la consistance de cet adversaire, tout se passe comme si vous plaidiez pour une sorte de politique de l’inconsistance, de la dissolution, de l’esquive : plutôt que fabriquer des sujets collectifs, il faudrait apprendre à se « déprendre » de soi ; plutôt que revendiquer des droits, il faudrait imaginer des « usages sans droit » ; plutôt qu’affronter l’État, il faudrait s’assumer comme un « non-État », etc. Or a-t-on toujours la latitude de fuir ? Il nous semble que la puissance des appareils biopolitiques (pensez aux politiques de santé publique, à l’administration du welfare, au contrôle de l’immigration, etc) tient précisément à leur force, terrible, de capture. Pour dire ça brutalement, pardonnez-nous, il se pourrait bien que la désubjectivation soit un luxe, dont la possibilité ne s’offre précisément qu’à ceux qui échappent aux appareils du biopouvoir. Comment se déprendre de soi, esquiver la resubjectivation, être un non-État, etc. lorsqu’on est « séropositif », « RMIste » ou « toxicomane », c’est-à-dire pris, littéralement, dans les catégories et les dispositifs du biopouvoir ? N’est-on pas, bien souvent, contraint d’agir comme tels plutôt que comme non, pour reprendre vos termes ? Bref, on peut avoir le sentiment que vous plaidez pour la mobilité et l’esquive, là où la puissance de capture et l’épaisseur matérielle de l’ennemi ne nous laissent pas d’autre choix que de l’affronter.

Je vois bien le problème. Je crois que tout dépend de ce qu’on entend par fuite. C’est un motif que l’on trouve chez Deleuze : la « ligne de fuite », l’éloge de la fuite. Mais vous avez raison de protester. La notion de fuite, ce n’est pas qu’il y ait un ailleurs où on puisse aller. Non, c’est une fuite très particulière. C’est une fuite qui n’a pas d’ailleurs. Où serait l’ailleurs où l’on pourrait s’enfuir ? Dans certains cas, quand le mur de Berlin était debout, par exemple, il y avait des fuites évidentes parce qu’il y avait un mur (mais est-ce qu’il y avait un ailleurs ?). Pour moi, il s’agirait de penser une fuite qui n’implique pas une évasion : un mouvement dans la situation où il a lieu. C’est uniquement en tant que telle que la fuite pourrait avoir une signification politique. Et puis il y a un autre problème qui me semble toucher à la question que vous avez posée. C’est le problème qu’on trouve chez Marx quand il fait la critique de Stirner. Dans l’Idéologie allemande, il consacre plus de cent pages au théoricien de l’anarchie, dont il récuse la distinction entre révolte et révolution. Stirner théorise la révolte en tant qu’acte personnel de soustraction, égoïste. Pour Stirner, la révolution, c’est un acte politique qui vise le conflit contre une institution, alors que la révolte, c’est un acte individuel qui ne vise pas à détruire les institutions. Il suffit tout simplement de laisser l’État être, et ne plus l’affronter : il va se détruire lui-même. Il suffit donc de se soustraire - une fuite. Marx critique très fortement ce motif, mais le fait qu’il lui consacre cent pages montre bien que c’est un problème sérieux. À cette opposition révolte/révolution, il oppose une sorte d’unité entre la révolte et la révolution. Il n’oppose pas un concept politique à un concept anarchico-individuel, il cherche l’unité des deux : ce sera toujours pour des raisons égoïstes, pour ainsi dire de révolte, qu’un prolétaire fera un acte directement politique. Là, même si cela pose d’autres problèmes, j’aurais tendance à penser comme Marx : une espèce d’unité des deux gestes, ou bien d’entre-deux, disons. J’aurais tendance à penser non pas une coupe qui isole la fuite de la révolution, comme on a tendance à le faire, mais que tout acte émanant du besoin singulier d’un individu, le prolétaire, qui n’a aucune identité, aucune substance, sera aussi, quand même, un acte politique. Je crois qu’il ne faut pas opposer action politique et fuite, révolte et révolution, mais essayer de penser l’entre-deux. Mais cela fait problème pour Marx aussi. C’est tout le problème de la classe. La classe n’a pas de conscience, le prolétariat existe en tant que sujet, mais il n’a pas de conscience. D’où le problème léniniste du parti : il faudra quelque chose qui ne soit pas différent de la classe, qui ne soit pas autre chose que la classe, mais qui sera pour ainsi dire l’organe de sa conscience. C’est une aporie, là aussi. Je ne dis pas qu’il y a une solution à ce problème, entre les lignes de fuite qui seraient un geste de révolte, et une ligne purement politique. Ni le modèle parti, ni le modèle d’action sans parti : il y a besoin d’inventer. Parce qu’après on tombe dans le problème de l’organisation politique, du parti-classe, qui va produire un « nous » : le parti est celui qui veille à ce que toute action soit politique et pas personnelle, pas individuelle ; la classe, au contraire, est l’organe d’une infinie production d’actes non politiques, mais de révoltes individuelles. Mais le problème est réel.

C’est d’ailleurs un problème qui se pose, en pratique, à tous ceux qui cherchent à produire du collectif - et à l’occasion du « nous » - en dehors de ces machines à agréger que sont les partis politiques, et sans le secours d’un principe général supérieur, que ce soit la République, la Classe ou l’Homme. Si Vacarme se sent proche des associations de malades, de chômeurs ou de précaires, c’est précisément parce qu’elles inventent quelque chose comme une politique à la première personne, dans des formes d’organisation nouvelles, où les distinctions entre le social et le politique, la classe et sa conscience, le singulier et l’universel, etc. s’effacent, et où la signification politique des actes est immanente aux actes eux-mêmes.

Oui. Il faut inventer une pratique qui briserait la coque de ces représentations. Sûrement pas un sujet substantiel à identifier, mais autre chose, qu’il me semble avoir trouvé chez Paul, pour revenir au travail en cours. Paul a affaire avec la loi juive qui partage les hommes en Juifs et non-Juifs, Juifs et Goyim. Qu’est-ce qu’il va faire avec cette division ? On présente souvent Paul comme si c’était le mentor de l’universalisme, quelqu’un qui aurait opposé à ces divisions-là juif/non-juif un nouveau principe universel, père de l’Église catholique, c’est-à-dire universelle. Or quand on regarde son travail de près, c’est exactement le contraire. Face à cette division imposée par la loi (il considère au fond la loi comme ce qui divise, ce qui partage, juif/non-juif, mais aussi citoyen/non-citoyen, etc.), au lieu d’opposer comme on aurait tendance, nous, au temps des droits de l’homme, un principe universel contre le partage ethnique, il fait une chose très subtile : il divise la division même. La loi divise en Juifs et non-Juifs ? Eh bien moi je vais couper cette division par une autre coupe. Il y en a plusieurs, par exemple juif selon la chair et juif selon l’esprit, le souffle. Cette coupe chair/souffle va diviser la division exhaustive qui partageait l’humanité entre Juifs et non-Juifs. Ce nouveau partage va produire des Juifs qui ne sont pas juifs, parce que ce sont des Juifs qui sont juifs selon la chair, et non selon l’esprit, et des Goïm qui sont goïm selon la chair, mais pas goïm selon l’esprit. C’est-à-dire qu’il va produire un reste. Paul introduit un reste dans cette division Juif/non-Juif. C’est une espèce de coupe qui coupe la ligne même. Donc, au fond, c’est beaucoup plus intéressant : il n’oppose pas un universel, il met en échec la division de la loi, il introduit un reste. Parce que le Juif selon l’esprit, il n’est pas non-juif, il est aussi juif, mais on pourrait dire que c’est une espèce de non-non-Juif. Partout, Paul travaille comme cela : il divise la division au lieu de proposer un principe universel. Et ce qui reste, c’est le sujet nouveau, mais indéfinissable, toujours en reste parce qu’il peut être de tous les côtés, du côté des non-Juifs, du côté des Juifs. Il y a là quelque chose de précieux pour se représenter aujourd’hui une notion de peuple, et peut-être aussi pour penser ce que Deleuze disait quand il parlait de peuple mineur, du peuple en tant que minoritaire. C’est moins un problème de minorités, qu’une présentation du peuple comme étant toujours en reste par rapport à une division, quelque chose qui reste ou résiste à une division - pas comme une substance, mais comme un écart. Il s’agirait de procéder plutôt comme cela, par division de la division, plutôt qu’en se demandant : « Quel serait le principe universel communautaire qui pourrait nous permettre de nous retrouver ensemble ? » Au contraire. Il s’agit, face aux divisions que la loi introduit, aux coupes que la loi fait continuellement, de travailler ce qui fait échec en résistant, en restant - résister, rester, c’est la même racine.

C’est exactement ce qui s’est passé en France autour des sans-papiers. La loi définissait des critères, et tout le travail a consisté non pas à invoquer un principe d’hospitalité général, mais à montrer que tous les critères produisaient des situations qui ne correspondaient plus à aucun : des gens inexpulsables et irrégularisables, etc. Finalement, la stratégie des associations a consisté à montrer que l’on pouvait démultiplier les critères de façon telle que personne ne correspond exactement à l’alternative entre clandestin et régulier. Il y a une ligne de repère qui ressort de ça.

C’est ce qui m’a frappé chez Paul. C’est ce qu’on trouve dans la Bible, dans la figure du prophète : le prophète parle toujours d’un reste d’Israël. C’est-à-dire qu’il s’adresse à Israël comme à un tout, mais lui annonce que « seul un reste sera sauvé ». C’est ce qui se joue chez Isaïe, chez Amos, dans le discours prophétique. On dirait là que ce n’est pas une portion numérique, mais la figure que tout peuple doit prendre dans l’instant décisif - en l’occurrence, le salut ou l’élection, mais cela peut être n’importe quoi d’autre. Le peuple doit se produire en reste, prendre la figure de ce reste. Il faut toujours le voir dans une situation déterminée : qu’est-ce qui, dans une telle situation, se poserait en tant que reste ? Cela ne correspond pas à la distinction majorité/minorité. C’est autre chose. Tout peuple prend cette figure si l’instant est vraiment décisif.

Cela dit, quelle place reste-t-il aux « situations déterminées » et aux « instants décisifs », justement, dans une critique de l’époque aussi radicale que la vôtre ? À vous lire, vous penchez davantage du côté de l’aporie, de l’impasse et de l’échec - notamment dans la manière dont vous renvoyez dos à dos, là encore à partir de Debord, les figures du totalitarisme et de la démocratie - que du côté de l’opportunité, du coup, du kairos, comme vous dites. Dans vos livres, vous évoquiez notamment une « expérience de l’impuissance absolue », et « la solitude et le mutisme là où nous nous attendions à la communauté et au langage ». À quoi pensiez-vous ?

On m’a souvent reproché, ou du moins attribué, ce pessimisme dont peut-être je ne me rends pas compte. Mais moi je ne le vois pas comme cela. Il y a une phrase de Marx que Debord cite aussi, que j’aime bien, c’est : « La situation désespérée de la société dans laquelle je vis me remplit d’espoir. » Je partage cette vision : l’espoir est donné pour les désespérés. Je ne me vois pas si pessimiste. Non, pour répondre à votre question, je pensais à l’horrible situation politique des années 1980. Je pense aussi à la guerre du Golfe et aux guerres qui ont suivi, en Yougoslavie notamment. Disons que la nouvelle figure de la domination se dessine maintenant assez bien. C’est au fond la première fois qu’on voit aussi nettement en œuvre le modèle spectaculaire. Pas seulement dans les médias : il est pour ainsi dire mis en œuvre politiquement. Simone Weil dit quelque part que c’est une faute de considérer la guerre comme un fait qui concerne la politique extérieure - il faut la considérer aussi comme un fait de politique interne. Or il me semble que, dans ces guerres-là, on a précisément une absolue indétermination, une absolue indiscernabilité entre politique interne et politique extérieure. Maintenant, ces choses sont devenues triviales. On les trouve dans la bouche des experts : la politique extérieure et la politique intérieure, c’est la même chose. Mais j’insiste : il n’y a là aucun pessimisme psychologique ou personnel. C’est d’ailleurs une autre manière de poser le problème du sujet. C’est au fond ce que j’aime beaucoup chez Simondon : on peut penser qu’il pense l’individuation, toujours, comme coexistence entre une principe individuel et personnel et un principe impersonnel, non-individuel. C’est-à-dire qu’une vie est toujours faite de deux phases en même temps, personnelle et impersonnelle. Elles sont toujours en rapport, même si elles sont nettement séparées. Je crois qu’on pourrait appeler l’impersonnel l’ordre de la puissance impersonnelle avec laquelle toute vie est en rapport. Et on pourrait appeler désubjectivation cette expérience qu’on fait tous les jours de côtoyer une puissance impersonnelle, quelque chose qui en même temps nous dépasse et nous fait vivre. Voilà, il me semble que la question de l’art de vivre, ce serait : comment être en rapport avec cette puissance impersonnelle ? Comment le sujet saura être en rapport avec sa puissance, qui ne lui appartient pas, qui le dépasse ? C’est un problème poétique, pour ainsi dire. Les Romains appelaient cela le génie, principe impersonnel fécond, qui permet d’engendrer une vie. Là aussi, c’est un modèle possible. Le sujet ne serait ni le sujet conscient, ni la puissance impersonnelle, mais ce qui se tient entre les deux. La désubjectivation n’a pas seulement un aspect sombre, obscur. Elle n’est pas simplement la destruction de toute subjectivité. Il y aussi cet autre pôle, plus fécond et poétique, où le sujet n’est que le sujet de sa propre désubjectivation. Permettez-moi, donc, de refuser votre accusation : je suis sûr que vous êtes plus pessimistes que moi...

[1] Homo Sacer, le pouvoir souverain et la vie nue, Seuil, 1997 ; Ce qui reste d’Auschwitz, Bibliothèque Rivages, 1999.

[2] La communauté qui vient, théorie de la singularité quelconque, Seuil, 1990 ; Moyens sans fin, notes sur la politique, Bibliothèque Rivages, 1995.

[3] Der Muselmann, le « musulman » désigne, dans l’argot des camps, l’homme-momie, le mort vivant, celui qui a cessé de lutter, qui a perdu toute conscience et toute volonté. Ce terme renvoie probablement « au sens littéral du terme arabe muslim, signifiant celui qui se soumet sans réserve à la volonté divine » (Ce qui reste d’Auschwitz, Bibliothèque Rivages, p. 53). Selon l’Encyclopedia Judaïca, il pourrait provenir « de la posture typique de ces détenus, blottis seuls, les jambes repliées à la manière "orientale", le visage rigide comme un masque. ». Pour Giorgio Agamben (Ibidem, p. 49), le « musulman » est le nom de l’intémoignable : « Le témoin témoigne en principe pour la vérité et la justice, lesquelles donnent à ses paroles leur consistance, leur plénitude. Or le témoignage vaut ici essentiellement pour ce qui lui manque ; il porte en son cœur cet "intémoignable" qui prive les rescapés de toute autorité. Les "vrais" témoins, les "témoins intégraux", sont ceux qui n’ont pas témoigné, et n’auraient pu le faire. Ce sont ceux qui "ont touché le fond", les "musulmans", les engloutis. Les rescapés, pseudo-témoins, parlent à leur place, par délégation - témoignent d’un témoignage manquant. Mais parler de délégation n’a ici guère de sens : les engloutis n’ont rien à dire, aucune instruction ou mémoire à transmettre. Ils n’ont ni "histoire" [...], ni "visage", ni "pensée". Qui se charge de témoigner pour eux sait qu’il devra témoigner de l’impossibité de témoigner. » (Ibidem, p. 41-42).

[4] Tiqqun, revue de métaphysique critique.

N° 10 http://www.vacarme.org/article255.html

vendredi 15 juillet 2011

Merci Éva. Vive l'utopie. Vive l'anarchie.




Enfin quelqu'un qui ose dire son opposition aux défilés militaires ! Quel tollé ! Éva Joly a estimé qu'un défilé citoyen serait préférable... Comment ça ? L'armée n'est-elle pas citoyenne ? De la droite classique au PS traditionnel, on s'étouffe, on proteste, bref, on condamne...

N'y aura-t-il donc jamais de place pour ceux qui ne veulent pas vivre sous la surveillance des forces armées, lesquelles sont loin de ne se préoccuper que de notre protection !

Des enfants (à 20 ans, on est un enfant !) meurent "pour la France", en Afghanistan. "Ils ne sont pas morts pour rien" rassure le Premier Ministre. Oui, mais alors, pour qui sont-ils morts ? Pour moi ? Pour ma famille? Pour la République ? Pour Karzaï, ce grand démocrate ? Pour les Afhans menacés par les Talibans et plus encore les Afghanes ? S'en souciait-on avant le 11 septembre 2001 ? De quoi nous mêlons-nous ? Sommes-nous les gendarmes du monde ? Devons-nous faire parler les armes partout où, selon nous, l'injustice et la terreur règnent ? Pourquoi tous les pays "civilisés" ne se jettent-ils pas, eux aussi, dans ces combats estimés légitimes ?

Je ne pense pas que l'avenir de l'humanité passe par ces sacrifices humains. Les technologies qui rendent toujours plus féroces et destructrices les armes de guerre ne représentent nullement un progrès. Je préfère la mort subie à la mort donnée. Ce n'est pas "la grande muette" qui me protège. La violence d'État n'est pas plus fondée que la violence criminelle de particuliers. J'en suis venu là à force d'observer, jour après jour, l'état du monde. Le mal qu'on combat n'est pas pire que le mal qu'on commet au nom du droit.

Cet anarchisme moderne est non violent. Et tant pis si cela semble naïf, pacifiste et lâche ! Ceux qui ont des certitudes sont plus brutaux que ceux qui doutent.

Après la fin de la guerre 1939-1945, les philosophes se permettaient d'esquisser le profil d'un monde de paix. Utopie des utopies...! Emmanuel Mounier était de ceux-là.


Mounier l'anarchiste personnaliste ?

Le philosophe Jean Lacroix, dans sa préface au livre d'Emmanuel Mounier, Communisme, anarchie et personnalisme, mettait en évidence en quoi la gauche se trahit en fuyant l'utopie et l'anarchie.


Jean Lacroix, Emmanuel Mounier et Jean-Marie Domenach

"Peut-être pourrait-on dire de l'anarchisme qu'il est le remède spécifique contre tout totalitarisme. La cité socialiste elle-même, si elle doit s'établir, ne sera viable que par ce qu'elle saura maintenir d'esprit anarchiste en elle. Les anarchistes se méfient de toute institution, et c'est leur utopie. Mais en privilégiant le souci de la formation doctrinale et morale des hommes, ils défendent toute société contre la contrainte et la tyrannie. N'est-ce pas Proudhon qui identifiait la liberté et l'ironie et voyait en elles ce qui sauve de l'esprit de pesanteur ?

Enfin le traité de la mythique de gauche est d'une brûlante actualité. Schématiquement, suivant Mounier, l'adhérent d'Esprit est un homme de gauche qui se sent mal à l'aise dans tous les partis de gauche. D'abord, Mounier ne voulut se situer ni à droite ni à gauche, estimant ces expressions dépassées. Mais il comprit vite que, suivant la formule d'Alain, celui qui déclare n'être ni de droite ni de gauche est précisément un homme de droite. Il lui fallut bien alors opter et se situer à gauche, tout en critiquant l'expression. Il est caractéristique qu'il refuse les « partis pris » de droite et les « conformismes » de gauche. Le diagnostic est sûr.

Ce qui caractérise la gauche, qui fut le parti du mouvement, c'est le conformisme. Elle est donc à repenser entièrement".

C'était en 1966 ! Rien n'est plus actuel !

Jean Lacroix (1900-1986)

Une édition électronique réalisée à partir du texte d'Emmanuel Mounier (1905-1950), Communisme, anarchie et personnalisme. Paris: Éditions du Seuil, 1966, 191 pp. Collection: Politique, no 3. Préface de Jean Lacroix. Une édition numérique réalisée par Gemma Paquet, bénévole, professeure de soins infirmiers retraitée du Cégep de Chicoutimi.

http://classiques.uqac.ca/classiques/Mounier_Emmanuel/communisme_anarchie_personnalisme/communisme_anarchie.html

jeudi 14 juillet 2011

Encore un an ?


L'hydre politique, telle l'hydre de Lerne, a des têtes qui repoussent quand on les coupe

Vivons nous la dernière présence de Nicolas Sarkozy, le 14 juillet, sur les Champs Élysées, comme chef des armées ? "Le changement est proche" s'exclame Martine Aubry. Proche ? Un an c'est bien long ! Même dix mois, c'est trop ! Qui ne voit que tous les coups, fourrés ou portés publiquement, sont déjà, et seront de plus en plus, utilisés par la clique qui gouverne dans la résignation générale ?

Est-ce vraiment ça le respect de la démocratie ? Cela tient-il au respect d'un calendrier ? Tout passe-t-il par les urnes en période critique ? Faut-il attendre le résultat de l'élection présidentielle (hypothétique, tant les insuffisances des oppositions sont flagrantes !) pour voir s'éloigner celui qui nous aura plongés dans la stupéfaction et la honte ?

Faut-il encore un an avant que soient posées les questions vitales pour le pays :
• sur le renoncement à une réforme des retraites injuste et insupportable aux travailleurs modestes ;
• sur l'enfermement de la France dans des contradictions stupéfiantes : en Côte d'Ivoire, en Lybie, en Tunisie, en Égypte ..., où nous aurons combattu ceux que nous soutenions ;
• sur la trahison du Grenelle de l'environnement d'un contenu pourtant déjà bien faible ;
• sur l'approfondissement abyssal du fossé entre les très riches et les autres ;
• sur l'enfermement dans le choix énergétique du nucléaire en dépit des évidences mises en lumière à Fukushima ;
• sur la recherche de solutions répressives pour mettre fin à la délinquance, notamment celle de jeunes, sans combattre les causes d'une situation qui ne trouve pas réponse dans les prisons ;
• sur la réduction des aides publiques à tous les services publics ;
• sur le maintien et l'aggravation du machisme en politique, notamment par le maintien du cumul des mandats ;
• sur la complicité avec les organismes qui continuent de polluer impunément qu'il s'agisse des producteurs de produits OGM, de pesticides, ou d'engrais inutiles ;
• sur la marchandisation des médicaments et l'industrialisation de la pharmacie ;
• sur la réduction drastique des postes de fonctionnaires dans les domaines les plus essentiels (éducation, santé,transports...) ;
• sur le culte hypertrophique de la croissance présentée comme un remède à tous les maux économiques et sociaux ;
• sur l'inculture obscène d'une publicité sotte, "décervelante" et aux ordres d'une économie fondée sur le profit bien avant la satisfaction des besoins ;
• sur la privatisation accélérée de tous les services et toutes les entreprises comme prétendue amélioration de la gestion des affaires économiques ;
• sur l'arrêt de l'ascenseur social et l'impossibilité d'assurer désormais la sécurité professionnelle.
• sur l'affichage sans vergogne d'une méritocratie formelle générant des oligarchies antidémocratiques.
• sur la culpabilisation des misérables présentés comme responsables de leur sort ;
• sur l'absence de solidarité véritable avec les peuples privés des moyens d'assurer leur développement et qui continuent de subir l'exploitation des grandes entreprises occidentales ;
• sur le nationalisme contemporain qui prend la forme d'un rejet des immigrations ^passées, présentes et à venir dans un monde surpeuplé et déséquilibré;
• sur l'affirmation effrontée d'un attachement à l'Union européenne alors que deux ou trois États y sont les seuls décideurs.
• sur le mépris et la persécution des Roms symbole même de tout ce que les privilégiés rejettent.
• sur... etc, etc...


jeudi 7 juillet 2011

De la crédibilité à l'incrédibilité et inversement



Nafissatou Diallo ("la femme de chambre" qui a accusé DSK de viol) n'est pas crédible (c'est une "menteuse"). Tristane Banon n'est pas crédible (il y a longtemps qu'elle aurait dû déposer plainte !). Qui est crédible en cette affaire à rebondissements (car c'en est une, démesurée...) ?

L'information en boucle, lassante, épuisante, irritante, à laquelle auditeurs et téléspectateurs ne peuvent échapper recouvre d'autres informations plus graves encore et plus urgentes sur lesquelles l'attention ne peut pas se porter. On en dit trop et pas assez ! Les journalistes sont-ils crédibles ?

Le procureur Cyrus Vance qui a accablé DSK et qui se trouve "discrédité" depuis qu'on sait que Nafissatou Diallo n'est pas sans reproches reste-t-il crédible ? Il n'en reste pas moins en charge du dossier?

L'avocat de la plaignante qui s'est répandu sur sur les ondes pour effectuer une description crapoteuse du crime présumé afin de salir DSK de toute façon est-il crédible ?

Les soutiens politiques de DSK qui assurent sa défense, sans rien connaître d'un événement qui est une relation sexuelle consentie, payée ou extorquée sont-ils crédibles ?

Toutes les personnes qui ont constaté, depuis des années, l'irrépressible attirance de DSK pour toute jolie femme à sa portée, et qui ont banalisé ce comportement prédateur, sont-ils encore crédibles ?

Les fonctionnaires du FMI qui ont constaté, la liaison choquante de leur patron avec l'économiste hongroise Piroska Nagy (dont il a fallu que DSK s'excuse) et qui n'ont rien pu ou voulu dire, sont-ils crédibles s'ils viennent à commenter, à présent les frasques actuelles de leur ex-directeur ?

Sommes-nous, nous-mêmes crédibles si nous avons livré nos commentaires sur une information qui se sera révélée obscure de bout en bout et qui le demeure ? Allons-nous continuer à tirer des enseignements d'une vilaine aventure dont la justice ne se sortira pas car les faits n'ont pas connu de témoins directs ?

Crédibilité vient de croire. Qui peut être cru, à présent ? On sait la fragilité de "l'intime conviction". Faut-il un procès, un jugement, pour que la vérité soit révélée ? Est-ce utile ? Un tel jugement, s'il a lieu, sera-t-il lui même crédible ? L'erreur judiciaire est fort possible en de telles circonstances.

Un présumé coupable est un présumé innocent. Est-on "blanchi" quand on passe du crime à l'agression sexuelle, puis de l'agression sexuelle à l'aventure sexuelle, avec une prostituée ou simplement une femme facile ? Tout comportement privé qui ne le reste pas rend possible des appréciations multiples. Même libre, même "lavé" de ses accusations, DSK redeviendra-t-il crédible ?

La crédibilité n'est pas un objet qu'on perd et qu'on retrouve. C'est ce dont on affecte un personnage public de façon très peu rationnelle.

Le plus fâcheux, en l'occurrence, est que la société tout entière, de part et d'autre de l'Atlantique, s'est ridiculisée. La crédibilité de nos discours sur la civilisation s'est déconsidérée.

vendredi 1 juillet 2011

Ni coupable ni innocent.

Nous avons tous été trompés. Gravement trompés. La presse du monde entier a étalé des erreurs sans aucune retenue. Les conséquences de cette mise à mort politique de Dominique Strauss-Kahn sont immenses. La révélation des doutes sur les allégations de la femme de chambre ayant accusé DSK s'est effectuée au moment même où Christine Lagarde le remplace à la tête du FMI (ce qui n'aurait jamais dû se produire et a entrainé un remaniement ministériel !) et alors que Martine Aubry a annoncé sa candidature à la Présidence de la république (ce qui aurait pu n'être jamais le cas).



Est-ce à dire que, délivré de l'accusation de viol, DSK est innocent ? Il est bien trop tôt pour l'affirmer. Ce qui n'est un secret pour personne, désormais, c'est l'addiction sexuelle de l'ex directeur du FMI. A-t-il été piégé ? Et par qui ? Une mafia criminelle ou une mafia politique ?

Les leçons à tirer de cet événement, à tous égards extraordinaire, sont nombreuses et elles nous atteignent tous dans nos convictions et dans nos certitudes souvent construites hâtivement. Elles nous invitent aussi à prendre en compte, avec humilité, nos multiples fragilités.

Les commentaires auxquels les citoyens modestes ou éminents se sont livrés devraient inciter à la retenue. Il n'en est rien ! Il en est pour souhaiter ou craindre, la candidature de DSK à la Présidence de la République, avant même que le procureur de New York ait tiré tous les enseignements de sa propre irresponsabilité, qu'il s'agisse d'incompétence ou de hâte. Les socialistes se réjouissent mais ne minimisent-ils pas l'effet de ressac que peut avoir ce violent séisme politique subi par la France tout entière ?

Dominique Strauss-Kahn ne peut sortir indemne de cette épreuve, mais nous non plus. Je reste hostile à ses choix politiques et n'aurais, en aucun cas, voté pour lui. Sa superbe et ce que je n'hésite pas à appeler son irrespect des femmes m'avaient choqué et ne se trouvent pas abolis par le rebondissement qui nous est asséné, aujourd'hui. Et pourtant, un homme a été jeté plus bas que terre et celà n'est pas supportable. La presse, la Justice américaine, nombre d'hommes politiques nous ont entrainés dans une impasse soit par imprudence professionnelle soit par calculs crapuleux. Méfions-nous, à présent, autant des excès de louanges que des abus de condamnations.



Archives du blog

Résistances et romanitude

Résistances et Changements

Recherche Google : rrom OR tsigane