vendredi 11 avril 2008

Sommes-nous "égoïstes par nature"? Ou du Grenelle impossible




J'ai entendu, sur France Culture; aujourd'hui même, un savant pédiatre, Aldo Naouri, fondant toute son analyse sur l'égoïsme naturel de l'homme. La thèse est bien connue, et aussi sotte que bien ancrée dans la majorité des esprits. Pour contribuer à abolir cette idée toute faite qui ruine toute action politique, on peut se tourner vers les philosophes. Pour cette fois, je préfère donner connaissance d'une note plus modeste mais qui n'en est pas moins utile à connaître. Elle conduit à deux évidences : le Grenelle de l'environnement était mort-né et l'écologie sarkozienne renvoie à la seule responsabilité individuelle donc à la négation du politique comme destin commun.


Emmanuel Giannesini, maître de conférence à Sciences Po, a publié dans le cadre de La Forge(1) une note intitulée Le Sarkozyxme n’est pas une écologie. On peut y lire ceci:

« Tout indique que le Grenelle de l’environnement, une fois retombé l’enthousiasme artificiel qui a suivi le discours prononcé par Nicolas Sarkozy le 5 octobre, jouera le même rôle que la Charte de l’environnement adossée à la Constitution : une déclaration d’intention vague et généreuse, et puis plus rien. Le changement climatique et l’épuisement des ressources (tant quantitatif que qualitatif ) appellent non pas une adaptation de nos modes de vie et de production, mais une révolution éthique de notre rapport au monde et à la nature, quelque chose comme l’inversion du rapport de domination utilitariste issu de la descendance cartésienne au profit d’une intelligence globale de notre position dans la nature. Ceci, tout le monde ou à peu près le sait. Même Nicolas Sarkozy, dans son discours du 5 octobre, a trouvé les mots pour le dire, fût-ce par le détour de métaphores empruntées : « Je veux que le Grenelle soit l'acte fondateur d'une nouvelle politique, d'un New Deal écologique en France, en Europe, dans le monde. » Les mots pour le dire, mais ni les actes, ni même la volonté pour le faire.
A la vérité, il fallait être naïf pour croire en ce domaine à une rupture. On se contentera de rappeler ici qu’il n’est pas une seule mesure aujourd’hui avancée dans le cadre du Grenelle (pas une seule, chacun pourra s’amuser à le vérifier) qui n’ait été inscrite dans la Stratégie nationale de développement durable élaborée par le gouvernement de Lionel Jospin en mars 2002 en vue du sommet de Johannesburg.
1) Le consensualisme sarkozien est un mot creux
Le consensualisme est totalement revendiqué par Nicolas Sarkozy, ses propos sont sans ambiguïtés : « Nous ne ferons pas accepter cette nouvelle ambition écologique par la contrainte. Personne ne doit se sentir injustement pénalisé par les mesures écologiques que nous déciderons. Sinon, nous échouerons. ». Curieusement, la réforme écologique « bénéficie » d’un régime de faveur, car nulle part ailleurs n’est revendiquée une telle obligation de consensus préalable. On se rappelle qu’à propos de la réforme des retraites ou de la carte judiciaire, par exemple, ou même dans le cadre de la réforme de l’Etat et de la réduction de ses effectifs, le gouvernement a franchement affiché ses objectifs politiques et s’est donné les moyens de contrecarrer ses opposants. Disons-le franchement et sans détours : il faut vraiment faire un effort de crédulité pour croire qu’un programme politique de quelque importance peut n’avoir que des amis. Rien n’est plus faux ni plus dangereux que de croire cela. Il est hors de question de placer sur le même plan l’agriculteur converti au bio dès le début des années 1990 et celui qui persiste à produire en répandant deux à trois fois plus d’azote que les sols épuisés n’en peuvent absorber. Il est aberrant de ranger côte à côte l’entreprise qui s’est dotée dès les années 1980 de dispositifs de collecte de ses effluents et les usines qui ont attendu le début des années 2000 pour se délocaliser vers des cieux plus compréhensifs afin de s’éviter une mise aux normes. Et il est choquant d’abstraire par principe de toute responsabilité une industrie publicitaire qui a vanté tour à tour tout ce dont est en train de mourir la planète. Si, comme affirme le penser Nicolas Sarkozy, la crise écologique nous oblige à repenser l’ensemble de nos modes de vie et de production, il est contre-productif de commencer par dire que personne n’y est pour rien. Ce faisant, nous accréditons l’observation du philosophe Günther Anders, qui notait avec prescience dès les années cinquante : « A l’instant même où le monde devient apocalyptique, et ce par notre faute, il offre l’image d’un paradis habité par des meurtriers sans méchanceté et des victimes sans haine. Nulle part il n’est trace de méchanceté, il n’y a que des décombres. »
2) La décision politique passe par l’éthique Les contradictions n’apparaissent qu’à la faveur d’une réflexion éthique, par exemple sur la légitimité d’une industrie nucléaire dont les risques associés – même faibles, même maîtrisés – sont à proprement parler apocalyptiques, et qui ne laisse pas d’autre choix aux générations futures que de gérer nos propres déchets. Le philosophe Jean-Pierre Dupuy note : « Le commissariat à l’énergie atomique a confié à des sociologues la tâche d’analyser ce qui fait que les gens ont peur du nucléaire. Je crois urgent de réaliser une étude anthropologique sur ce qui fait que les nucléocrates n’en ont pas peur. » L’absence de réflexion éthique préalable de Sarkozy, et partant l’incapacité de désigner des fins indépendamment des moyens, se traduit dans le discours du 5 octobre par un traitement des risques ne reposant sur aucune logique et qui confine parfois au cynisme. Ainsi, l’interdiction des 50 substances les plus toxiques (oui, dont la toxicité est avérée !) est-elle subordonnée à l’existence « d’alternatives possibles », tandis que la réduction des pesticides, dont la dangerosité n’est plus à prouver, est limitée à 50 % « si possible dans les dix ans qui viennent ». Pour bien comprendre le non-sens éthique de ces restrictions en apparence banales, voire « de bon sens », il suffit de les transposer dans un autre champ que nous sommes plus habitués à mettre en relation avec la dimension morale. Par exemple la loi pénale. Imagine-t-on qu’une loi énonce avec placidité : « Interdiction des braquages sous réserve de la disponibilité de ressources financières alternatives pour les braqueurs » ou « Réduction de 50 % du nombre des viols conjugaux, dans un délai de dix ans si possible et sous réserve de la disponibilité d’exutoires » ? Il est juste que nous soyons plus sensibles au sort des hommes qu’à celui de l’humanité, mais le but de l’activité de penser, c’est justement d’établir les conditions par lesquelles nous pouvons sortir de ce qui serait à long terme un paradoxe suicidaire.
En conclusion de son discours, le président de la République a donné la clé, quasi-psychologique, de son approche de l’écologie : « Je ne crois pas à la responsabilité collective. La responsabilité est toujours individuelle. » Cette pétition de principe incarne l’essence même de la politique de droite, ce qui après tout ne surprendra personne et relève du droit le plus strict de l’homme-Sarkozy, qui n’a jamais prétendu, contrairement à son prédécesseur Chirac, jouer aux hommes de gauche. Mais en matière écologique, le rétrécissement du champ de la responsabilité aux seuls individus est une contradiction dans les termes. L’écologie est par essence le lieu d’une responsabilité collective parce que le destin qu’elle engage est lui-même collectif ; parce que les effets des comportements individuels sont dérisoires par rapport à ceux de nos choix collectifs ; surtout, même si l’idée peut sembler abstraite ou difficile, parce que notre capacité à donner des droits aux absents, et notamment à cette humanité future qui est le sujet même du développement durable, repose entièrement sur une extension du principe de souveraineté à plus que nous-mêmes. Nier que la responsabilité collective existe, c’est nier l’existence d’un destin commun et d’une capacité à agir en commun. S’en remettre à la seule responsabilité individuelle, c’est accepter par avance la stratégie du passager clandestin, où prime le calcul des intérêts de court terme. C’est en ce sens qu’on peut affirmer sans grand risque d’être démenti, si les mots ont encore un sens, que le sarkozysme est tout ce qu’on veut sauf une écologie. Il ne s’est rien passé le 5 octobre dernier.

(1) Visitez La Forge.
http://la-forge.info
Publié par biosphere.ouvaton.org

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