mercredi 5 janvier 2011

Comment l'élection tue la démocratie




Comment celà ? L'élection tue la démocratie ? N'est-ce pas le contraire : là où l'on ne vote pas, il n'y a pas de démocratie... Eh bien, s'il faut des élections pour qu'il y ait démocratie, cela ne suffit pas. Pire : on peut, par le biais d'élections, limiter ou supprimer, voire interdire, la démocratie.

On m'objectera que cela se passe ou s'est passé, dans des Républiques bananières, loin des pays démocratiques occidentaux, ou dans des pays totalitaires où régnait la dictature du parti unique ! Pas du tout ! Regardons à notre porte : en France, et au plus près de soi, dans notre propre département puisque les dernières élections cantonales approchent. Le mien est le Val d'Oise.

L'organisation administrative de la France va changer, au prétexte que, avec 36 783 communes, 100 départements, 26 régions, 15 900 syndicats intercommunaux, 371 pays, « le millefeuille administratif » est devenu illisible. La loi n°2010-1563 du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales crée une nouvelle catégorie d'élu : le conseiller territorial. Les députés ont ratifié, par 258 voix contre 219, le texte de la Commission mixte paritaire (Assemblée nationale/Sénat, ou CMP). La réforme a été validée, pour l'essentiel, par le Conseil constitutionnel (décision du 9 décembre).

Siégeant à la fois au conseil général et au conseil régional, ces conseillers territoriaux remplaceront les 4.037 conseillers généraux et les 1.880 conseillers régionaux actuels, à l'issue des élections du printemps 2014. Le mandat des conseillers régionaux, élus les 14 et 21 mars 2010, était donc de quatre ans, et celui des conseillers généraux, qui seront élus les 20 et 27 mars 2011, sera de trois ans.

Détenteurs d'un mandat unique, les conseillers territoriaux appelés à siéger, dès 2014, dans les assemblées régionale et départementale, seront élus pour six ans au scrutin uninominal majoritaire à deux tours, dans le cadre de cantons redécoupés et élargis. Le gouvernement a écarté l'instauration d'une dose de proportionnelle.

L'élection cantonale des 20 et 27 mars sera donc la dernière ! C'en est fait des Conseils généraux tels qu'ils existaient depuis au moins 140 ans.

La moitié des cantons actuels, 2023 exactement, dont 1941 en métropole, vont donc être renouvelés, à l'occasion de cette dernière élection cantonale qui a gardé, depuis l'origine, un mode de scrutin particulièrement antidémocratique : le scrutin uninominal à deux tours.

Tout y est prévu qui interdise l'élection et même la candidature des candidats des petites formations politiques. Il faut, en effet, au premier tour, obtenir 50% des suffrages exprimés et 25% des électeurs inscrits pour être élu. S'il y a second tour, ne peuvent se re-présenter que les candidats ayant obtenu au moins 10% des inscrits, ce que le fort taux d'abstention habituel rend malaisé (les deux candidats en tête du scrutin de premier tour ne sont pas, eux, soumis à cette règle ; ce qui arrive quand trois, voire quatre candidats, obtiennent des résultats proches). En 2014, ce sera pire : les élus territoriaux devront recueillir au moins 12,5% des inscrits pour être présents au second tour...

Une page se tourne, et se déchire même, que Nicolas Sarkozy a voulu supprimer du droit électoral. Les élus du 17 mars 2008 auront été les derniers à siéger six ans. Les élus du 27 mars 2011 seront les premiers à ne siéger que trois ans. Les 58 assemblées "de gauche" et les 44 assemblées "de droite" seront recomposées en 2014 et le pouvoir actuel espère bien que le rapport des forces y sera modifié.

Ce remue-ménage politicien intrigue les électeurs avertis. Il a pour objectif, cependant, d'accentuer le bipartisme, d'éliminer les petites formations, de limiter encore le recours à la proportionnelle, de diminuer le nombre des élus, et de tenter de reconquérir des collectivités territoriales qui échappent à la majorité politique actuelle.

C'est dans ce contexte que se préparent les ultimes élections cantonales dans le Val d'Oise. Créé en 1967 et composé actuellement de 39 membres, le conseil général du Val-d'Oise, avait basculé à gauche, pour la première fois de sa jeune histoire, avec un siège d'avance, lors des dernières élections cantonales de 2008.

Même si Didier Arnal, élu PS, sera resté président du conseil général jusqu'au prochain renouvellement de mars 2011, la droite a repris l'avantage, depuis septembre 2009, après avoir reconquis le canton d'Argenteuil-Est lors d'une élection partielle consécutive à l'annulation de l'élection de la communiste Marie-José Cayzac.

Actuellement, la répartition des sièges est la suivante : 20 élus s'affichant de droite (dont 14 UMP et 6 divers droite) et 19 élus s'affirmant de gauche (dont 18 PS et 1 PCF). 19 cantons seront renouvelables en 2011 : 12 sont détenus par le PS (Argenteuil-Nord, Argenteuil-Ouest, Eaubonne, Ecouen, Franconville, Garges-lès-Gonesse-Est, Gonesse, Magny-en-Vexin, Saint-Ouen-l’Aumône, Sannois, Sarcelles-Nord-Est et Sarcelles-Sud-Ouest), 4 par l'UMP (Herblay, Marines, Montmorency et Viarmes) et 3 par des divers droite (Beauchamp, Beaumont-sur-Oise et la Vallée-du-Sausseron).

On relèvera que le Val d'Oise ne compte aucun élu écologiste.

La question mathématique est la suivante : le PS gardera-t-il ses sièges et en gagnera-t-il au moins un pour conserver la majorité durant les trois ans à venir ? En vérité, les électeurs s'en moquent. Ils ont perdu les repères qui fixaient les limites de ce qu'on a du mal encore à appeler la gauche et la droite. Et là commence la réflexion sur la destruction électorale de la démocratie.

Il y eut en France, par le passé, au début du XXème siècle, trois élections au suffrage universel : municipale, cantonale et législative. L'élection des sénateurs (pour 9 ans !) et du Président de la République ( des"élus d'élus" ! ) s'effectuaient au second degré.

Divers modes de scrutin ont été essayés mais toujours le conseiller général fut élu au scrutin uninominal à deux tours, y compris quand les assemblées départementales étaient sous la tutelle du Préfet.

De nos jours, en France, on a ajouté trois élections au suffrage universel : l'élection présidentielle (en 1965), puis l'élection européenne (en 1979) enfin l'élection régionale (en 1986). Cela n'a pas empêché de créer, en outre, des collectivités territoriales élues au scrutin indirect : les syndicats, communautés ou agglomérations de communes, notamment. Le mille feuille institutionnel est bien institué mais il est indigeste !

L'élection cantonale a ceci de commun et de particulier avec l'élection présidentielle qu'elle a toujours été individuelle (uninominale), majoritaire (il faut obtenir 50% des suffrages validement exprimés) et à deux tours, si le premier ne donne pas cette majorité absolue (avec seulement deux candidats pour la présidentielle, mais c'est, on l'a vu, presque toujours le cas aussi pour les cantonales).

Qu'en sera-t-il en 2011 ? C'est fort simple : l'UMP et le PS se partageront la gâteau. Ni le Front national, ni les écologistes, ni le Front de gauche (PG+PCF), encore moins le NPA... ou tout autre formation politique, n'obtiendront plus qu'un ou deux sièges, au hasard de départements insolites. Aucune présidence de département n'échappera au bipartisme.

Dans le Val d'Oise l'équation est posée : le PS veut garder la majorité et l'UMP la reprendre. Les autres formations n'ont d'intérêt que si elles concourent à ce maintien ou à cette reconquête. PCF et écologistes passeront sous les fourches caudines du PS, au second tour. Le FN seul, et c'est ce qui fait, hélas, sa force, ne cherchant pas à exister par des élus, fera, selon sa capacité de nuisance, ce qui peut révéler sa force : faire ou défaire des majorités.

Il est bien des recherches pour échapper à cette mécanique électorale broyeuse, mais le mode de scrutin écrase ces velléités. Les électeurs qui en sont conscients soit se désintéressent de ces complications politiciennes, soit refusent de voter. Les bureaux de vote des cantonales seront, comme souvent, peu fréquentés.

Ce n'est pas la faute du mode de scrutin m'objectera-t-on puisque l'élection présidentielle est la plus populaire, avec des taux de participation très élevés ! Cela tient à ce que tout électeur français sait que, s'il ne veut pas que s'effondre l'édifice institutionnel, il ne doit pas en enlever la clef de voute ! Or, et c'est ainsi depuis 1958 et la Vème République, gaulliste, puis gaullo-mitterrandienne, avec l'apparition de l'alternance et de la cohabitation, tout est présidentialisé et, de la commune à l'État, un seul compte : le chef ! Les autres élus n'étant que des faire valoir, des machines à voter. Plus de surprise : ce sera l'un ou l'autre, avec des politiques voisines.

C'est pourquoi le paysage politique est et restera bouché, en France, tant que n'aura pas sauté le verrou du mode de scrutin qui paralyse et détruit, plus que jamais, l'expression démocratique du pays. Mais qui osera en faire l'un des choix politiques majeurs de la prochaine élection présidentielle, pour libérer l'électeur ?


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