vendredi 11 juillet 2008

Le moine, le prêtre, et le pouvoir.


Thich Huyen Quang

Aujourd'hui, au Vietnam, ont lieu les obsèques d'un moine. Décédé à 87 ans, Thich Huyen Quang, représentait un bouddhisme qui ne s'était pas couché devant le pouvoir!


Je rapproche cet évènement d'une question qui me poursuit depuis des mois : qu'est-ce qu'un moine? Et qu'est-ce qu'un prêtre? Le moine (de monos, seul) est censé vivre à l'écart du monde social. Au contraire, dans les civilisations occidentales, le prêtre en est un agent, une personnalité, une autorité morale locale.

Par toutes les voies que je peux emprunter pour tenter, donc, de répondre à cette question "qu'est-ce qu'un prêtre?", j'aboutis toujours à cette idée simple : il s'agit d'un être humain, presque toujours de sexe masculin, auquel est délégué le droit et le pouvoir de parler au nom d'une église, partant : au nom de Dieu. Et il y a là, selon moi, depuis des siècles et des millénaires, une supercherie à laquelle l'humanité n'a jamais pu résister et sous laquelle se loge le pouvoir de l'homme sur l'homme.

Car c'est sous l'angle religieux et politique tout à la fois qu'il faut aborder cette attribution, cette domination subtile, cette "mise à part" d'une minorité jouant un rôle social essentiel, celui tantôt d'intermédiaire avec le ciel, tantôt de médecin des âmes, autrement dit de réconciliateur avec la société, du moins la société telle qu'une église l'a codifiée.

Jésus n'était pas prêtre et ce sont des prêtres qui l'ont fait assassiner. Les musulmans n'ont pas de prêtres mais des imams qui ont un statut bien différent : celui d'exposer, de faire connaître, le contenu du Coran et la doctrine qui en est extraite. Les bouddhistes n'ont pas de prêtres mais des religieux qui se retirent du monde pour mieux se mettre au service des autres hommes.

Sous toutes ces fonctions, du prêtre au pasteur, de l'imam au rabbin, il y toujours la même conviction : il faut des experts en religion pour conforter la foi des croyants.

L'homme de culture affronte cette fausse certitude armé de sa seule raison mais enrichi de l'histoire des civilisations. Une double erreur sous-tend cette aliénation collective qui autorise des hommes à parler au nom des autres hommes quand il s'agit de l'essentiel : notre rapport d'êtres conscients à ce qui nous fait, Dieu ou la Nature, ou les deux à la fois...

La première de ces erreurs est de séparer, pour mieux les mélanger et les confondre, le pouvoir politique et le pouvoir religieux. Cela a conduit au bûcher, au lynchage, à l'attentat. La seconde erreur est de déléguer une partie de son intimité, celle qui conduit à l'introspection, la méditation ou la prière, à un autre! Chaque homme, ou femme, est prêtre, c'est à dire relié, c'est à dire religieux, même si c'est hors de toute religion.

J'entre ici dans ce que les intégristes considèreront comme un blasphème : celui de la contestation de leur pouvoir sur autrui. Les questions religieuses sont trop importantes pour les confier à des hommes de religion. Dire cela m'eut valu la mort en d'autres temps, en France, et me le vaudrait toujours, en d'autres lieux, de par le monde.

Je tiens le moine pour un peu plus respectable. Il n'a besoin d'aucun prosélytisme; il vit en communauté, en général, sans nuire à quiconque; il se fait témoin de la possibilité d'être homme sans entrer dans l'agitation des puissants et des possédants. Il pense, étudie et cherche un équilibre de vie qui fasse sens. Il n'est pas nécessairement prêtre. Il est même des religieux retirés de tout, les ermites, qu'on retrouve dans toutes les religions, et qui sont l'exemple même du non-pouvoir, ou au contraire l'exemple du vrai pouvoir : pas le pouvoir sur l'autre mais le pouvoir sur soi.

L' "Océan de sagesse" qu'est censé représenter le Dalaï-Lama ne m'attire pas, quelles que puissent être les qualités de l'homme, simplement parce que l'exploitation du spirituel par le temporel, au travers de sa personne, est plus que jamais flagrant. Le bouddhisme aussi est équivoque et peut s'emparer des esprits au lieu des les ouvrir.

Cette reprise de l'analyse sur pouvoir et religion, revue sous l'éclairage des données contemporaines, est plus que jamais indispensable. À cause des errances du chef de l'État français sur la laïcité, à cause de la justification ou du déclenchement de la violence par des motivations religieuses notamment islamistes, à cause de la confiscation des esprits par des discours et prêches qui, de nouveau, conduisent à abandonner sa liberté de penser.

La laïcité n'est pas un dogme et ce pourrait être un concept évolutif dans une période de l'histoire du monde qui exige toujours plus de respect et d'acceptation de la diversité. Mais Nicolas Sarkozy veut en faire une reconnaissance du lien entre la culture et la divinité, quelle que soit la religion concernée : ce chemin, qu'emprunte l'actuel président de l'État, en France, là où furent mises en place des institutions fondées sur la séparation du pouvoir civil et du pouvoir religieux, ce chemin est dangereux et conduit vers un retour à la vénération des princes de l'Église, de la Synagogue, de la Mosquée ou de tout autre temple. C'est une régression.

Sortir d'une époque qui aliène le religieux en le confinant dans la religion : tel serait mon vœu!
On en est loin. La philosophie suffit pourtant à entretenir nos doutes, à les enrichir de certitudes difficiles parfois remises en cause. Celui qui croit tout savoir est un meurtrier en puissance. Le prêtre est souvent, fut-il humble, l'un de ces sachants donneurs de leçons de vie. Soyons tous prêtres, non pas les ministres d'un culte mais des chercheurs de vérité, non pas, comme dans l'univers catholique, des aumôniers ou des chanoines ou des curés ou des vicaires, mais des passionnés de l'ontologie et de la métaphysique, bref des hommes.


François d'Assise, écologiste et non-violent.

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