lundi 23 septembre 2013

Le retour d'Ivan illich




Le 21 septembre, dans la mairie du 2e arrondissement de Paris, l'association Rêvolutives organisait une rencontre autour de Thierry Paquot, auteur d'un livre, Introduction à Ivan Illich, paru en 2012.

Qu'il faille proposer une introduction à la pensée d'Ivan Illich peut surprendre mais le long silence fait sur son œuvre le justifie.

On en est resté au souvenir vague de ses livres "scandaleux", parus dans les années 1970 et notamment Pour une société sans école (alors qu'Illich proposait tout autre chose : "déscolariser la société", c'est-à-dire cesser de s'en remettre à la seule école pour apprendre) ! Pas de suppression de l'école donc mais la fin de l'école obligatoire, ce qui est tout différent ; l'informatique, à ses débuts  lui avait d'ailleurs semblé une occasion de formation à ne pas négliger. (Il n'eut sans doute pas apprécié le "décérébrage" que permet, aussi, aujourd'hui internet). Toujours est-il qu'avec ses 500 000 exemplaires vendus en France, Pour une société sans école fit connaître et discuter Illich et ses écrits successifs.

Illich se rendit célèbre aussi par son autre livre sur La convivialité, (un mot qui lui aurait été suggéré par Lévinas). Le convive, pour Illich, n'était pas le commensal mais "le partageux", celui avec qui il fait bon vivre, celui qui aide à vivre sans heurt, dans le respect d'autrui, dans la création.

Illich (1926-2002) est de la même génération que les nonanagénaires qui ont, comme lui, annoncé la société qui s'assume, qui se responsabilise, qui s'éduque, qui s'autonomise, qui s'apaise, qui se planétarise, qui se "désoutille".

Car Illich fut l'un des tout premiers à penser et à écrire que les institutions peuvent enfermer les hommes dans un conformisme fatal à la pensée et à l'évolution sociale. Sa critique de l'église catholique, à cet égard, lui qui fut séminariste et prêtre, est à la racine de sa mise en cause des outils qui finissent par produire le contraire de ce que pourquoi elles ont été créées : l'école et l'université, l'hôpital, l'automobile... Quand la skole ne permet plus la connaissance de soi et d'autrui, quand La Némésis médicale (autre livre scandaleux) fait du corps la matière d'une entreprise gigantesque et du médicament une marchandise, alors la société se délite.

Et pourtant Illich, ni marxiste, ni écologiste, ne donne de leçons à personne. Il n'y a pas de doxa illichienne. En véritable intellectuel, éloigné de ceux des universitaires qui ne produisent pas de la pensée mais la répète, il n'a cessé de réévaluer d'un point de vue critique son œuvre. Quand les éditeurs ont cessé de publier ses travaux (il "ne faisait plus 3000" ventes !), il n'a pas renoncé à écrire et à multiplier les conférences.

Illich est de retour si l'on comprend que sa quête permanente, une fois passée ce qu'il a appelé "ma période des pamphlets", redevient d'actualité. Mieux vaut ne pas rater sa vie que de changer la vie. Cet itinérant, sans logis fixe, parlant et travaillant dans une quinzaine de langues, qu'on a pu rencontrer dans les Amériques comme au Japon ou dans différents pays d'Europe n'avait pas besoin de prêcher la révolte pour bouleverser les comportements. On ne sortait pas indemne d'une rencontre avec lui et nombre de penseurs contemporains lui doivent d'être ce qu'ils sont, imprégnés d'une pensée insoumise et d'une rigueur sans rigidité.

Illich est de retour parce qu'il incite encore à sortir des systèmes qui paralysent et il n'est pas besoin de prononcer le mot capitalisme pour comprendre que le système économico-libéral est tout simplement obsolète. Gorz le pensait avec lui.

Illich est de retour parce que le relire à la lumière de données contemporaines, qu'Illich n'a pas connues, tout s'éclaire et ses intuitions sont revivifiées. Ses "pamphlets" eux-mêmes (ses écrits de la première période, les plus lus) trouvent un nouveau sens. Ses œuvres suivantes, moins accessibles, sont à leur tour approchées, découvertes et méditées.

Illich est de retour pour ceux qui voient en lui l'un des tout premiers à avoir agi sans parti, sans pétitions, inclassable, irrécupérable, mais capable de donner un sens politique à l'amitié telle qu'il la voit et qu'on peut sans doute rapprocher des Politiques de l'amitié de Jacques Derrida.

En ces temps d'incertitude Illich nous apprend la fécondité du silence. Se taire un temps n'st pas renoncer mais approfondir. À ceux qui désespèrent dans un monde de la futilité de l'exploitation et donc de la violence, Illich répète que ce n'est jamais temps perdu que de conquérir une autonomie qui n'est pas égotiste et il continue d'en fournir les voies.




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