samedi 29 décembre 2012

Les trois outils de Satan

Satan n'existe pas en tant qu'ange déchu, courant entre les nuages, d'où nous foudroyer, et les volcans aux marmites de lave où plonger les damnés.

Par contre, Satan, ou tout autre diable, règne d'autant plus parmi les hommes que ceux-ci l'ont créé, l'ont installé sur les trônes des pouvoirs et lui ont confié leur vie. Jacques Brel le chantait et c'était bien plus qu'une chanson...

Un jour,
Un jour le diable vint sur Terre
Un jour le diable vint sur Terre
Pour surveiller ses intérêts
Il a tout vu le diable, il a tout entendu
Et après avoir tout vu
Et après avoir tout entendu
Il est retourné chez lui, là-bas.
Et là-bas, on avait fait un grand banquet
A la fin du banquet, il s´est levé le diable
Il a prononcé un discours :

Ça va
Il y a toujours un peu partout
Des feux illuminant la Terre
Ça va
Les hommes s´amusent comme des fous
Au dangereux jeu de la guerre
Ça va
Les trains déraillent avec fracas
Parce que des gars pleins d´idéal
Mettent des bombes sur les voies
Ça fait des morts originales
Ça fait des morts sans confession
Des confessions sans rémission
Ça va

Rien ne se vend mais tout s´achète
L´honneur et même la sainteté
Ça va
Les États se muent en cachette
En anonymes sociétés
Ça va
Les grands s´arrachent les dollars
Venus du pays des enfants
L´Europe répète l´Avare
Dans un décor de mil neuf cent
Ça fait des morts d´inanition
Et l´inanition des nations
Ça va

Les hommes, ils en ont tant vu
Que leurs yeux sont devenus gris

Ça va
Et l´on ne chante même plus
Dans toutes les rues de Paris
Ça va
On traite les braves de fous
Et les poètes de nigauds
Mais dans les journaux de partout
Tous les salauds ont leur photo
Ça fait mal aux honnêtes gens
Et rire les malhonnêtes gens
Ça va, ça va, ça va, ça va!



Les trois outils dont se sert en permanence, Satan ou le Diable, autrement dit l'homme faustien, quand il se pervertit jusqu'à transformer son semblable en objet, ce sont : l'or ou l'argent, l'épée et le sceptre. 

L'or, c'est le capital ; l'épée, ce sont les armées ; le sceptre, ce sont les pouvoirs

Le Christ, dont se sont réclamés, et se réclament encore des générations entières d'Occidentaux, avait prévenu ses frères, nous tous, selon les Évangiles, mais bien peu de ses disciples l'ont entendu.

Sur le capital, on peut lire : On ne peut servir deux maîtres, dieu et l'argent ; ou bien : Il est plus difficile à un riche d'entrer dans le royaume de Dieu qu'à un chameau de passer par le chas d'une aiguille. (Ce qui signifie, selon moi, qu'avec ou sans Dieu, l'avoir, obtenu par l'argent, nous tient en total esclavage).

Sur les armées, on peut lire : Celui qui prend l'épée périra par l'épée ; ou bien : Je ne suis pas venu apporter la paix mais l'épée. (Ce qui signifie, selon moi, non pas que le non-violent écarte de lui la violence du dominateur, mais que c'est lui qui, contre toute attente, finit, à terme, par triompher de toute oppression).

Sur les pouvoirs : Rends à César ce qui appartient à César ; ou bien : Je (ici l'on fait parler Satan, le tentateur) te donnerai tous les royaumes du monde, si tu te prosternes devant moi pour m'adorer. (Ce qui signifie, selon moi, que le Royaume de Jésus n'est pas de ce monde, c'est-à-dire n'est pas celui de la richesse accumulée ni du pouvoir fondé sur la force des armes).

Le seul espoir, dès lors, pour nous, hommes de cette Terre, est dans la recherche et l'obtention d'une vie partagée par toute la communauté humaine, sans que nous devions notre pain quotidien, notre paix perpétuelle et notre fraternité universelle à la richesse pécuniaire, à la puissance de feu des milices et régiments, ni à l'autorité, sur tous, de quelques uns, chefs désignés ou élus.


 

Si cette utopie est inatteignable, la vie ne vaut d'être vécue. Il n'est de foi que celle qui affirme ce primat de l'espérance d'une vie aboutie sans autre richesse, d'autre force, et d'autre autorité que celles qui ne spolient aucun autre être humain. Ce n'est pas impensable, puisque déjà pensé ! Et si ce devait être impossible, il n'aurait pas valu la peine d'être né et d'être devenu conscient de cet échec fatal.

lundi 24 décembre 2012

Relisons Péguy. Misère n'est pas pauvreté !

De Jean Coste est un court roman de Charles Péguy des plus oubliés. Le poète y exprimait, en 55 pages, en 1902, sa haine de la misère et son amour de la pauvreté. D'aucuns diraient, aujourd'hui, autrement, que seule la pauvreté peut venir à bout de la misère ou qu'il n'est que la sobriété qui rende heureux. Si ces affirmations continuent de surprendre, voire de choquer, peut-être, à y regarder de plus près, n'y a-t-il, pour sept milliards d'humains, bientôt dix, aucune autre voie qui conduise à la paix sur notre planète.


À confondre misère et pauvreté, on condamne des peuples entiers à la misère.

Il est temps de "régénérer une bien vieille distinction entre la pauvreté et la misère : une distinction attribuée à saint Thomas, pour qui la pauvreté représentait le manque du superflu, alors que la misère signifiait le manque du nécessaire. C'est dans ce sens que, bien plus tard, Proudhon parlera de la pauvreté comme " la condition normale de l'homme en civilisation", que Péguy comparera la pauvreté comme un réduit, un asile sacré, permettant à celui qui s'y bornait de ne courir aucun risque de tomber dans la misère".
http://moinscplus.blogspot.fr/2012/05/misere-et-pauvrete.html

"On confond presque toujours la misère avec la pauvreté ; cette confusion vient de ce que la misère et la pauvreté sont voisines ; elles sont voisines sans doute, mais situées de part et d'autre d'une limite ; et cette limite est justement celle qui départage l'économie au regard de la morale ; cette limite économique est celle en deçà de qui la vie économique n'est pas assurée, au delà de qui la vie économique est assurée ; cette limite est celle où commence l'assurance de la vie économique".
http://fr.wikisource.org/wiki/Page:Peguy_oeuvres_completes_02.djvu/54 
  

"Le devoir d'arracher les misérables à la misère et le devoir de répartir également les biens ne sont pas du même ordre : le premier est un devoir d'urgence ; le deuxième est un devoir de convenance ; non seulement les trois termes de la devise républicaine, liberté, égalité, fraternité, ne sont pas sur le même plan, mais les deux derniers eux-mêmes, qui sont plus rapprochés entre eux qu'ils ne sont tous deux proches du premier, présentent plusieurs différences notables ; par la fraternité nous sommes tenus d'arracher à la misère nos frères les hommes ; c'est un devoir préalable ; au contraire le devoir d'égalité est un devoir beaucoup moins pressant ; autant il est passionnant, inquiétant de savoir qu'il y a encore des hommes dans la misère, autant il m'est égal de savoir si, hors de la misère, les hommes ont des morceaux plus ou moins grands de fortune ; je ne puis parvenir à ma passionner pour la question célèbre de savoir à qui reviendra, dans la cité future, les bouteilles de champagne, les chevaux rares, les châteaux de la vallée de la Loire ; j'espère qu'on s'arrangera toujours ; pourvu qu'il y ait vraiment une cité, c'est-à-dire pourvu qu'il n'y ait aucun homme qui soit banni de la cité, tenu en exil dans la misère économique, tenu dans l'exil économique, peu m'importe que tel ou tel ait telle ou telle situation ; de bien autres problèmes solliciteront sans doute l'attention des citoyens ; au contraire il suffit qu'un seul homme soit tenu sciemment, ou, ce qui revient au même, sciemment laissé dans la misère pour que le pacte civique tout entier soit nu ; aussi longtemps qu'il y a un homme dehors, la porte qui lui est fermée au nez ferme une cité d'injustice et de haine. 


On trouve aussi ce livre, en réédition : De Jean Coste, Charles Péguy, éd. Acte Sud Labor L'Aire, coll. Babel, 1993, p. 55.
 

samedi 22 décembre 2012

Le postulat

Le postulat est "un principe indémontrable, non évident par lui-même, mais qui paraît légitime, incontestable" lit-on dans le Grand Robert.

Le postulat qui s'impose en politique actuellement est le suivant : il n'y a plus d'argent pour payer les dépenses sociales. Il faut donc supporter une cure d'austérité jusqu'à ce que nous ayons rempli les caisses.

De cet a priori découlent plusieurs arguments tout aussi indiscutables :

Il faut augmenter les dépenses de gaz, eau, électricité, transports, logement, assurances..., parce que nous vivons au-dessus de nos moyens.

Il faut augmenter la compétitivité des entreprises qui sont écrasées par les charges, diminuer les salaires,  soutenir les banques en difficulté et envisager de prolonger encore l'âge d'entrée en retraite.

Il faut réduire le train de vie de l'État, privatiser tout ce qui peut l'être, et considérer comme des marchandises des ressources vitales telles que l'eau et bientôt -pourquoi non ?- l'air non pollué.

Le sport, la littérature, les spectacles, le tourisme, les obsèques, sont des activités d'entreprises qui doivent être rentables, c'est-à-dire produire plus de profits qu'elles ne génèrent de coûts.

La gratuité est un leurre. Le seul don qui vaille est le mécénat. L'argent est un produit qu'on peut accumuler sans limites et qui fournit la seule dynamique susceptible de déclencher l'activité humaine...

Ces évidences, qui auraient fait rire ou auraient scandalisé les générations antérieures qui croyaient encore au partage, voire au socialisme, sont rabâchées, répétées, assénées, et qui émet des doutes à ces sujets est devenu ringard, inculte et, pire, d'une naïveté dangereuse et irresponsable.

Or ce postulat est faux. De l'argent, il y en a. Il y en a même beaucoup plus qu'avant "la crise" ! On en produit, du reste, comme on produit du... blé ! Toujours plus. Et plus il y en a plus on en manque puisque l'argent n'est plus la mesure de la richesse réelle, concrète, physique mais une marchandise qui s'accumule non plus dans des coffres forts, sous la forme de barreaux d'or ou de platine, mais dans les mémoires des ordinateurs. L'argent ne s'écoule plus, il circule, et à des vitesses qui le rendent insaisissable.



Nos intelligences fonctionnent à partir d'une illusion admise : il faut d'autant moins dépenser d'argent qu'on en possède plus. Nous avons changé d'usage de la monnaie : elle n'a plus de valeur parce ce qu'elle permet d'acquérir un bien ; elle a d'autant plus de valeur qu'elle est conservée et peut être un marqueur de réussite sociale. Le capital s'est autonomisé par rapport aux activités humaines ; il a sa vie propre et il n'accompagne pas principalement les entreprises qui fournissent aux hommes les produits qu'ils se procurent pour vivre. Il s'étend, s'étale et choisit selon son intérêt ce qu'il veut faire !

L'énergie, la nourriture, les transports, l'habitat, les médicaments..., sont des nécessités qui doivent satisfaire plus que des besoins, plus que des profits : il faut qu'elles enrichissent des actionnaires qui n'agissent pas, qui n'actionnent rien, mais exigent toujours davantage. Le postulat reste le même : l'activité humaine ne vaut pas en elle-même ; elle vaut par ce qu'elle rapporte à ceux qui la finance.

L'économie n'est pas une science mais une activité de l'esprit qui, tel le sophisme, développe des idées et des idéologies à partir de ce postulat irrécusable : rien n'a de valeur que ce qui se paie. Sortir de cette machine à formater les esprits est une condition de notre survie en tant que civilisation.

Le débat est philosophique plus que politique puisque les politiques exposées fonctionnent toutes à l'intérieur d'un même modèle qui nie, peu ou prou, le don, la gratuité, le partage, la solidarité, la coopération, la sobriété, les limites, bref tout ce qui se refuse à servir le Veau d'or. Les droits de l'homme eux-mêmes ne sont plus que les droits de ceux qui ont rejeté le commun et sacralisent la propriété.

La guerre des pensées est engagée. Évitera-t-elle la guerre des corps ? Sur la pente où nous glissons, on peut en douter. Nous n'avons pourtant d'autre chemin à prendre que celui qui mène à une égalité véritable, dans une fraternité effective, en usant d'un liberté qui ne se privatise pas. Il est, deux-cent- vingt-trois ans après 1789, une révolution à refaire, qui rallume les Lumières, tout en évitant le recours inefficace à la violence. L'esprit seul peut vaincre. Ce n'est là ni un rêve ni une utopie : c'est la condition même de la viabilité d'un monde peuplé de bientôt dix millards de vivants.





dimanche 2 décembre 2012

La nationalisation n'est plus une étatisation

Sous les mots se cachent des pensées. Parfois, elles émergent. Nationalisation est un mot qui fait réagir Mme Parisot. Dans presque tous les médias, on le décrie mais on ne le décrit pas, car on y voit le socialisme voire le communisme dans ce qu'ils avaient de totalitaire, c'est-à-dire l'éradication de toute initiative privée dans la production ! On a beau en être très, très loin, tout se passe comme si Hollande, c'était Staline... C'est comique ou ridicule ! Ou plutôt révélateur : les conservateurs (de la richesse) se croyaient, à jamais, débarrassés de la puissance publique, et les nationalisations réalisées par De Gaulle ou Mitterrand devaient passer aux oubliettes, et voici que le mot, honni, exécré, ressurgit. "Shoking !" se fut exclamée Margaret Thatcher.  

Il est fâcheux de devoir revenir aux années 1930 pour comprendre l'actualité, encore que la crise de 1929 ne soit pas sans similitudes avec la mutation de société qu'on observe en ce notre début du XXIème siècle (la surproduction de l'entre deux guerres a laissé des traces dans le productivisme contemporain). On a tant et tant abusé des mots et détourné leur sens qu'il vaut mieux ce passage par le passé plutôt que d'errer dans les approximations.  

 

Pierre Sémard, dans une Confé­rence d’Information de la CGT, tenue le 31 mai 1939 à la mai­son de la Chi­mie, à Paris, affirmait: « La natio­na­li­sa­tion n’est pas, comme cer­tains le pensent ou le disent, l’étatisation, c’est-à-dire la ges­tion par l’État, mais une ges­tion réa­li­sée par les repré­sen­tants des grandes col­lec­ti­vi­tés, des usa­gers, du per­son­nel, et de l’État. » Et de pré­ciser : « une grande entre­prise est natio­na­li­sée lorsqu’elle n’est plus exploi­tée qu’en vue des besoins de la com­mu­nauté et qu’elle n’a d’autre but que de pro­cu­rer aux consom­ma­teurs le maxi­mum d’utilité et d’économie. Et enfin : « Nous décla­rons encore que l’État ne doit pas être à la fois pro­prié­taire et gestionnaire.      (Cité par Gilles Pichavant,  dans Le Fil rouge,  : http://www.ihscgt76.fr/?p=729).

 


La confusion entre l'État et la nation dans un pays qui a inventé l'État-nation n'a rien de surprenant. Ainsi, les fonctionnaires ne sont-ils pas des employés de "l'État français" (comme on disait sous Pétain) mais des serviteurs de la nation. Un enseignant n'est pas le transmetteur de la pensée dominante au pouvoir ; il est celui qui éveille à la pensée les jeunes, appelés bientôt à devenir des citoyens libres, exerçant leur esprit critique et leur libre arbitre dans un monde complexe et aride.

Il fallut Emmanuel Mounier, philosophe, fondateur de la revue Esprit, (une déjà vieille référence encore !) pour qu'on cesse de confondre personne et individu. La personne se sait (et se veut !) liée à tous ses semblables ; l'individu ne compte que sur lui-même pour se construire un destin. Le triomphe de l'idéologie libérale (car on a trop peu souligné que Nicolas Sarkozy remporta, en 2007, une victoire idéologique autant que politique) s'est accompagné de l'exaltation de l'individu, y compris quand, vedette, ou "people" ou magnat, il écrase de son image, de son opulence et de son pouvoir, l'immense majorité des autres humains. Réussir revient alors à dominer.


Les contradictions économiques qui conduisent aux échecs et aux tensions actuels conduisent à repenser le rapport du privé au public. Le capitalisme et le collectivisme ne sont pas Gog et Magog, symboles de la fin des temps. Ce sont des essais gigantesques, des œuvres humaines, qui ont tendu à tout ramener à l'économique, au détriment de la société, laquelle n'est pas constituée d'individus juxtaposés mais de personnes en relation. L'écrasement des faibles par les forts n'a rien d'inéluctable et a pour cause le seul savoir faire qui a (un peu) résisté au temps : la domination de l'homme par l'homme (devenue, disait Marx, l'exploitation de l'homme par l'homme). Ce concept n'est pas marxiste ; il a été mis en œuvre aussi bien aux USA qu'en URSS, et il est toujours bien visible dans l'ensemble des activités humaines.




Le temps est donc venu de clarifier des vocables dont on ne cesse de faire mauvais usage. Le mot nation est au premier rang parmi les confusions. La nation n'est pas l'État et l'Organisation des Nations Unies n'est guère que l'Organisation de 202 États, plus ou moins unis. La planète compte bien plus de nations, c'est-à-dire de populations ayant un vouloir vivre en commun, non les unes contre les autres nations (cela devient alors des nationalismes, souvent meurtriers) mais dans un contexte linguistique, culturel et donc politique, non généralisable. Les "nations sans territoire" telles les Roms, les Inuits, les Aborigènes, ont beaucoup à apprendre aux nations voulant étendre leur modèle de vie à la planète entière.

Mais revenons aux mots : public et privé ne sont contestables que si on les pense comme des domaines rivaux ! Le service public est un service rendu à tous auquel peut concourir l'initiative privée. Le grand débat porte sur le profit et la marchandisation quand l'intérêt général c'est-à-dire celui de chacun, s'efface derrière l'intérêt particulier, (personnel : non, mais individuel : oui !).



Et nous voici revenus à la nation : la nationalisation devrait être une constante de pensée, aussi éloignée de l'étatisation que de la privatisation. Coopératives, mutuelles, associations, ces organisations dont les gains ne peuvent qu'être partagés, non lucratives donc, demeurent dans les limbes et, selon qu'elles auront ou pas un avenir, les sociétés futures vivront ou non, dans un monde de moindre violence. 

Nationaliser, c'est remettre à ceux qui sont concernés le pouvoir de décision et d'action avec un élargissement permanent des compétences. Étant entendu qu'alors la nation ne vaut pas pour l'ensemble de la population d'un État, ce qui ne manquera pas de heurter les convictions de nombre de Français, formatés par l'État-nation depuis la révolution française et la bataille de Valmy mais, plus encore, depuis que la République s'est monarchisée avec De Gaulle et, davantage même, depuis ses successeurs ! En France comme ailleurs, cette nationalisation-responsabilisation qui n'est pas confiscatoire et unificatrice, mais un partage des biens communs entre les acteurs économiques, producteurs, distributeurs et consommateurs est à re-penser. Il ne s'agira pas de re-venir à ce qu'avaient exprimé, parfois très bien, nos prédécesseurs mais de dépasser des apports oubliés et de rendre enfin possible ce à quoi s'opposent les dirigeants économiques et politiques de ce siècle : la fin du capitalisme spoliateur).


On vient de perdre une belle occasion de démystifier le mot nationalisation ! Ce n'est ni une réponse à tout, ni une monstruosité ! C'est un outil qui peut permettre à la puissance publique d'empêcher une spoliation. Le gouvernement a donné l'espoir de son soutien aux employés d'Arcelor-Mittal angoissés pour leur avenir mais... la suite reste à écrire. La déception ne peut qu'être vive ! Une nationalisation (d'autant moins à confondre avec une étatisation qu'elle serait temporaire !) ne peut plus être considérée comme une manifestation de l'anticapitalisme... C'était, pour tous les citoyens, la démonstration qu'ils peuvent, en cas grave, être soutenus par l'État. C'est raté !



dimanche 25 novembre 2012

L'autre monde face au vieux monde

"Nous avons choisi notre destin. Nous ne nous laisserons donc pas dicter une vision du monde qui n'est pas la nôtre. Nous sommes dans un État de droit" Jean-Marc Ayrault

 D'un côté les civilisés, de l'autre les sauvages

Nous voici projetés dans un autre monde ! Nous ne nous y attendions pas. Nous tombons de haut ! Nous sommes trahis : notre "vision du monde" est tout autre. Le nouveau gouvernement, au lieu de conduire une politique de concertation passe en force. La déliquescence de la droite sarkoziste, le ridicule honteux dans lequel se vautre l'UMP n'ouvrent pas, à ce qui fut la gauche, la possibilité de décider de tout, avec un autoritarisme brutal.

Car le différend avec le gouvernement est total : d'écologie il n'est plus question, dès lors qu'elle interpelle notre mode de vie. Du nucléaire civil on ne parle plus, depuis qu'on a limité à la fermeture de Fessenheim la limitation du nombre de nos centrales nucléaires. Du nucléaire militaire, moins encore, puisque c'est le symbole même de la puissance diplomatique, militaire, dont rêve encore des politiciens aveugles à la réalité du monde réel. Des Roms, on n'attend qu'une chose : qu'ils partent vers le pays d'où l'on prétend qu'ils viennent, alors qu'ils sont, partout en Europe, chez eux. Du cumul des mandats, on ne conserve que l'abandon d'un mandat exécutif (et pas même le mandat de chef d'une intercommunalité !), au lieu de s'en tenir au mandat unique. Du droit de vote des immigrés vivant depuis longtemps en France, on ne retient même pas la possibilité de voter aux élections locales, par soit-disant peur de manquer de majorité pour faire voter une loi, (on se demande comment s'y sont pris d'autres États européens qui ont adopté ce droit) !

Mais ce n'est pas là tout : on n'oppose rien d'efficace à cette économie qui domine les politiques de toute l'Europe, sans autre souci que de produire plus et profiter davantage, quitte à briser les systèmes sociaux sur lesquels, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, reposait l'équilibre des pays occidentaux développés. Elle ruine des peuples entiers et fait payer aux humbles les dettes accumulées. La responsabilité des financiers, banquiers et autres ploutocrates est écartée. Les choix d'une activité évitant tout gaspillage, d'une sélection des productions satisfaisant les besoins principaux, d'une limitation drastique des dépenses de chauffage par une campagne d'isolation colossale, entre autres..., ne sont pas même envisagés.

La rupture est ainsi consommée avec ceux pour qui c'est "le mode de vie" et leur "vision du monde" qui fondent une politique qui n'ose plus rien proposer, sinon donner des gages au libéralisme triomphant. Le socialisme, ce vocable hier chargé d'espoirs populaires, n'est plus qu'un mot vide de sens, qui ne sert qu'à camoufler le ralliement au "capitalisme sans excès", à la droite "complexée" en quelque sorte.

Il est à craindre que seuls des événements dramatiques puissent modifier des choix qui confondent l'épanouissement et l'enrichissement, étant entendu que, comme certains le pensent en Chine, soit disant au nom de Confucius, l'enrichissement de tous passe par le sur-enrichissement des plus riches d'abord.

Les malheureux naïfs et utopistes qui s'imaginent qu'on puisse encore aller vers des sociétés de juste partage n'ont plus qu'à se plonger dans leurs livres, leurs rêves et leur poésie. Ils y trouveront peut-être des satisfactions intellectuelles, telles qu'on en éprouvait avant ce siècle, mais ils n'useront pas leurs forces à réclamer l'impossible. Il leur faudra comprendre, une bonne fois pour toutes, qu'ils doivent se soumettre à un État de droit dont les lois sont faites, à quelques exceptions près (il faut bien jeter un peu de lest) pour que les puissants et les dotés dominent la planète. Est-ce là la vision du monde à laquelle se réfère le premier ministre ?


Occupants des riches terres de Notre Dame des Landes, priez pour la démocratie, qui n'est plus la volonté générale mais, à l'évidence, la volonté du plus fort, du plus riche, du plus titré, du dominant perpétuel (le marché de "l'Ayraultport" serait concédé à Vinci pour... 55 ans!). Que ce soit avec les robocops policiers ou avec une "commission de dialogue", l'actuel pouvoir politique, comme le précédent, semble, selon ses premiers actes, ne vouloir qu'une chose : que, de force ou de gré, les petits et les sans grades s'inclinent, se résignent, reconnaissent leur ignorance et obéissent.

Une telle perspective est désespérante et ne saurait conduire qu'à la révolte. 




mercredi 12 septembre 2012

Vivre en couple

Tout un buzz entoure la proposition de loi tendant à permettre le mariage de personnes de même sexe.

On n'ose aborder la question de fond qui est : qu'est-ce que le mariage ?


Il est un mariage religieux et un mariage civil. En voici deux qui ne signifient pas la même chose. Le premier affirme le caractère sacré de l'union, fondatrice de la famille et perpétuatrice de l'espèce humaine ; le second reconnaît l'existence sociale d'un couple et assure l'avenir de la transmission du patrimoine aux enfants.

Christine Taubira n'est pour rien dans ce débat de société qui transcende ce qu'un ministre de la Justice peut annoncer à un moment donné de l'histoire de son pays. Ce qui se dira au Parlement, et qui ne manquera pas d'intérêt, ne pourra que servir à établir un compromis entre ce que la majorité d'un peuple peut entendre et l'évolution inéluctable des mœurs.

Au début du siècle passé on décapitait encore, en France, des avorteuses. Dans nombre de pays, l'homosexualité est encore un crime puni de mort.

Il y a, en effet, à maintenir et à transformer, au fur et à mesure que le temps passe, dans nos pratiques de vie, y compris les plus intimes. Il n'est ni vrai, ni d'ailleurs possible, qu'un droit, un dogme, une morale fixent à jamais des comportements. À l'inverse, il n'est aucun "progrès" qui conduise à des attitudes indifférenciées, au gré des goûts et des désirs de groupes humains s'étant affranchi des normes en vigueur.

La norme et le normé ont laissé accroire que, dans tout ce qui concerne le sexe, le "normal" s'impose à tous. La norme est fixée par la loi ; le normé est celui qui ne peut qu'obéir à la loi ; le normal est le comportement rassurant de celui qui a la conviction de vivre comme tout le monde.

La vie est plus complexe. On a déjà dû admettre que deux personnes de même sexe se pacsent, c'est à dire puissent vivre en couple sans déclencher la vindicte publique. Une autorité locale en peut être le témoin officiel et cette nouvelle forme de partage du quotidien est, comme on dit, passé dans les mœurs. Les couples ainsi constitués sont à l'abri de la solitude administrative et pécuniaire au moment du décès de l'un d'eux. Si des enfants vivent auprès de ces couples leur sécurité affective et matérielle n'est pas assurée.

Le moment est peut-être venu de réfléchir à ce qu'est vivre en couple. Le couple ne résulte pas du mariage ; en général il le précède. Il peut même y avoir couple sans mariage. L'absence de mariage ne contraint pas les couples à se pacser ! La constitution d'un couple ne dépend pas de l'attirance sexuelle, de la nature de cette attirance voire même de son existence. Vivre ensemble est une chance et une aide mutuelle que rien n'interdit. Le sens donné à ce rapprochement dont tout le voisinage est témoin revient au couple lui-même.

Le mariage n'est pas nécessaire. Le mariage, s'il est décidé, est une fête sociale dont le couple est le centre et le prétexte. Le mariage reste, en ce début de siècle, la reconnaissance publique d'une union qui peut n'être pas, comme c'est le plus souvent, une union hétérosexuelle. 

Ce qui a changé, depuis plusieurs décennies, ce n'est pas l'apparition de l'homosexualité qui a toujours été présente dans l'histoire humaine, c'est son acceptation comme une réalité qui n'est plus considérée comme une perversion. Le reconnaître ne conduira pas l'espèce humaine vers l'homosexualité généralisée ! Mariage ou pas (ce qui dépend de la volonté du couple concerné), ce qui importe c'est qu'un couple ait droit de cité.


Le contrat (de mariage, ou de type Pacs) a besoin d'être simplifié et précisé. Tout mariage est un pacs puisque, selon son nom même, c'est un pacte civil de solidarité. Le mariage civil apporte, en plus, une dimension familiale dont des enfants issus du mariage ou adoptés pourront bénéficier.

Vivre en couple, c'est organiser une solidarité qui peut s'étendre à d'autres personnes à commencer par les enfants. Les nombreux parents célibataires ne peuvent, nouveau compagnon ou compagne ou pas, que souhaiter la protection la meilleure pour leur enfants. La société doit répondre à cet espoir légitime.

Le temps n'est plus où les couples étaient stables (nécessité économique obligeant) et de courte durée (la durée de vie étant bien plus brève). Le mariage traditionnel correspondait à cette situation sociologique. La distinction laïque entre le civil et le religieux, qui ne faisait pas obstacle aux convictions religieuses, reposait sur l'existence d'unions officialisées le plus souvent. Le vilain mot de concubinage ("état d'un homme et d'une femme qui vivent en communauté, dans la même résidence, comme mari et femme, sans être mariés ensemble" dit le dictionnaire), avant d'être banalisé, a été fort péjoratif. "L'union libre" n'avait guère meilleure presse. Cette stigmatisation des couples irréguliers est en train de cesser car cela conduirait à mettre au ban trop de familles. Irons-nous au bout de cette constatation ?

Vivre en couple est un droit. La protection des enfants qui vivent avec ce couple est indispensable et à la société et à chacun des couples-mêmes attachés à ces enfants. Cette double exigence commande la recherche de formules qui sortent les débats de leur caractère intransigeant et néo-normatif. La souplesse, qui n'est pas le laxisme, suppose que rien ne fasse obstacle aux choix de vie des humains dès lors qu'ils ne font violence à personne.


Vivre en couple peut se penser avec ou sans mariage, avec ou sans pacs, mais pas avec ou sans responsabilité vis à vis de ceux qui viennent au monde, non par hasard et pas n'importe où, et qui ne peuvent être sans famille quelle que soit la composition de celle-ci.

En fait, la mariage homosexuel est un faux problème. C'est du mariage qu'il faut revoir le contenu en veillant à ce que toute domination sexuelle ou patrimoniale soit bannie. C'est la possibilité de faire un autre choix de couple que le mariage qu'il faut admettre, ce qui revient à améliorer le contenu de la loi relative au Pacs. C'est l'introduction de la meilleure place possible pour l'enfant dans le mariage hétéro ou homosexuel, comme dans le Pacs hétéro ou homosexuel qui doit être examinée, avant même de se soucier du sort des adultes. Enfin doit être envisagé la possibilité, pour un couple, non marié et non pacsé, d'entrer dans un contrat social nouveau, allant au-delà de la parole que se donnent les amants, dès qu'apparaît un nouvel humain dont l'avenir est immédiatement en cause quels que soient ses parents.

On n'en a pas fini avec l'examen de toutes les conséquence sociales de la vie en couple. La liberté, dont nos civilisations se réclament, ne conduit pas vers l'irresponsabilité ceux, celles, ceux et celles qui font, à un moment donné de leur existence, le choix très personnel de vivre en couple.


mercredi 25 juillet 2012

D'usure en usure



Nous aurons traversé le temps de l'usure : celle des faiseurs de dettes et celle de la fin d'un système qui s'étant usé lui-même jusqu'à la corde ne peut que casser.

Un petit livre sans prétention, mince et bon marché, De la dette, Indignons-nous (1), en vente, depuis juin 2012, nous rappelle, sans nuancer, que "l'argent qu'on vous prête n'existe pas", que la croissance est une fuite en avant devenue nécessaire "sinon, il n'y aurait tout simplement plus assez de monnaie en circulation, et enfin que "la dette actuelle du pays, d'environ 1700 milliards d'euros, est à 90% égale au cumul des intérêts en trente-huit ans, de 1793 à 2011".

Autrement dit, les énormes "bulles" qui ont été révélées, depuis 2008, dans l'économie planétaire sont constituées par le vent qu'on vend. Si les banques prêtent de l'argent qu'elles n'ont pas, elles n'en recueillent pas moins des intérêts forts concrets. À ce jeu pervers, qui eut conduit, au Moyen-Âge, les profiteurs-usuriers au bûcher, les États sont perdants dès lors qu'ils sont contraints de passer par les banques privées pour se financer !

Les acteurs de la vie politiques, c'est-à-dire, les politiciens professionnels mais aussi tous les citoyens, sont, en cette affaire, soit aveugles, soit ignorants soit complices. À vouloir séparer l'économie de la politique, on a d'abord laissé les banquiers influencer les décisions politiques puis les prendre à la place des gouvernements. Pendant que nous perdions notre temps à élire des responsables de plus en plus irresponsables, les véritables décideurs, n'ayant nul besoin d'être choisis par le peuple, s'emparaient du pouvoir réel.

Le principal talent des capitalistes (car il faut bien les appeler par leur nom !) consiste à savoir nous faire prendre des vessies pour des lanternes, à nous "enfumer" de telle sorte que nous  perdions toute conscience, toute lucidité, toute sagacité et que devenions des moutons se laissant tondre.

Le 3 janvier 1973, une loi a interdit à l'État français d'emprunter à la banque de France à taux zéro. Il doit s'adresser aux marchés financiers et, donc, payer des intérêts. Vingt ans plus tard, l'article 104 du traité de Maastricht (adopté en 1992 et entré en vigueur en 1993) a étendu cette interdiction à tous les États de l'Union européenne. Deux ans après le rejet, en 2005, par référendum du projet de traité de l'Union européenne, le traité de Lisbonne (adopté, si besoin était par voies parlementaires, fin 2007, et entré en vigueur fin 2009), a confirmé cette disposition en son article 123.

La privatisation non plus seulement de l'activité économique mais des budgets des États conduit là où nous en sommes : à des taux usuraires les banques étranglent les États en difficulté (c'est le cas, spectaculaire, de la Grèce et de l'Espagne), mais la solidarité entre États ne peut jouer que si les États "forts" paient, pour les États "faibles", des intérêts monstrueux qui font vaciller l'Union européenne tout entière ! Ainsi voit-on des agences de notation (une invention récente qui sert à médiatiser les pressions exercées par les marchés financiers) se mettre à douter des capacités de l'Allemagne elle-même.

La débandade des pouvoirs politiques, impuissants devant les marchés, les révélations scandaleuses des méthodes de financement d'établissements bancaires géants, tels que Barclays ou HSBC, font apparaître au grand jour ce qui était caché aux yeux des citoyens : faire payer les petits pour enrichir les gros n'est plus une formule inventée par un marxiste doctrinaire, c'est tout simplement une entreprise, voulue, pensée, "scientifique" menée au niveau mondial.


Le principal reproche à faire à tous ceux qui se sont laissés berner ou qui ont "touché" le prix de leur silence, c'est que nous voici englués dans une matière dont nous ne pourrons nous décoller sans des événements brutaux, avec ou sans guerre, mais de toute façon, intraitables dans le cadre du droit national ou européen, lesquels sont cadenassés par des textes tout entier favorables à ceux qu'il faudrait mettre au pas. 


C'est quand une maison s'écroule qu'elle est le plus dangereuse. Nous voici réduits à n'être que les spectateurs d'un désastre. Être conscient n'y suffit pas. Inutile de dire qu'on va sauver l'industrie automobile ; PSA fermera à Aulnay. Inutile de croire que la solidarité européenne va sauver les peuples surendettés ; les égoïsmes nationaux l'emporteront. Et surtout, surtout, inutile de penser qu'on réduira les dettes au moyen des efforts des citoyens ; c'est le mécanisme de la mise en dette des États qu'il faudrait briser. mais qui le veut ? Qui le peut ? Comment supprimer ce qu'on a voulu : mettre les budgets sous la dépendance des marchés financiers ?

Les questions sont posées. Toute action et toute recherche politique qui, peu ou prou, se satisferont du statu quo, entraineront le monde à sa perte ou à des souffrances telles que l'humanité s'en trouvera, de nouveau, comme au siècle dernier, blessée pour longtemps. 

Mais pourquoi donc l'histoire humaine n'est-elle faite que de drames dont les plus affreux sont produits par l'action humaine elle-même ? Vieille interrogation qui doit demeurer sans fin ? Pourquoi cela : ce qui se conçoit peut se produire !

(1) Collectif d'écriture des indignés d'Annecy, De la dette, Indignons-nous, gap, éditions Yves Michel, juin 2012.


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