mardi 11 novembre 2008

De la démocratie participative à la démocratie sans qualificatif.



Si le soixantième anniversaire de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, dans quelques semaines, se limitait à faire entendre de beaux, de grands et d’émouvants discours, on oublierait vite cette nouvelle commémoration, mais on resterait englué dans ce nouveau contexte planétaire, économique et politique, très douloureux, dont l'inhumanité va aller croissant.

Entre la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen du 26 août 1789 et la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme du 10 décembre 1948, il y a un énorme écart dans l'espace: celui de l'universalité, un long écart dans le temps de près de 160 ans, mais il n'y a guère d'écart politique : les deux textes concernent bien tous les hommes, où qu'ils vivent sur Terre.

Pourtant, si ce concept d'universalité contient une espérance et une charge émotive dont Beethoven était empli en composant le final de sa 9ème Symphonie, devenu l’hymne de L’Europe, il contient aussi une ambiguïté sans pareille parce qu'il a permis de confondre cosmopolitisme politique et mondialisation économique. Dès l’Empire napoléonien, il a servi aussi, à justifier le droit de conquête au nom de l’universalité des valeurs nées de la Révolution française.

Le cosmopolitisme n'a jamais eu bonne presse : il signifie, pour beaucoup, notamment à l’extrême droite de l’échiquier politique, apatride ou pire : antipatriote! La mondialisation, au contraire, avait, ces dernières années, été considérée comme un processus d'unification économique et culturel irréversible autant qu'inéluctable. De nouveau l’Empire cherchait à s’emparer du monde entier.

L'altermondialisme, qui a tenté de jeter un pont entre la mondialisation et le cosmopolitisme en distinguant l’unité du monde et l’unification du monde, reste soumis à la critique des tenants fanatiques ou hypocrites du patriotisme. On a beau tenter d'établir une forte distinction entre le patriotisme et le nationalisme, il n'empêche que la politique triomphante est encore celle de l'exaltation du sentiment patriotique et national tout à la fois. On le constate aux USA, actuellement, après la victoire électorale historique de Barack Hussein Obama ; on le constate partout ailleurs aussi, là où la recherche d'une identité politique s'appuie sur la reconnaissance d'une appartenance à un peuple et à une terre.

À l'approche du 10 décembre 2008, il est plus que temps de replacer les repères qui permettent d'échapper tant au "droitdel'hommisme" qu'à la culture du clan, élargi à l'État-nation. Le premier de ces repères est que tout citoyen conscient est un citoyen du monde. Le second de ces repères est que nous vivons sur une planète close et finie ; l'hospitalité est plus que notre loi, c'est la condition même de notre survie. Le troisième de ces repères est que cette planète n'est pas un objet à conquérir et à dominer, c'est le lieu qui nous est donné en partage, la Terre dont nous sommes non les maîtres mais les hôtes. Le quatrième de ces repères, enfin, est que l'unité des hommes et leur diversité non seulement ne s'opposent pas, mais constituent, ensemble, le fondement même de la paix.

L'idée selon laquelle l'occident serait détenteur de la légitimité universelle est morte . La conception de la démocratie qui est fondée sur la délégation de pouvoir à des élites élues est dépassée. L'approche de la propriété considérée comme une réserve de biens ayant ses détenteurs légitimes est devenue inadéquate, car il ne s'agit plus, comme en 1789, d'arracher à l'aristocratie des richesses confisquées parce que soi-disant héréditaires, afin de les confier aux réels producteurs de richesses, il s'agit de permettre à bientôt neuf milliards d'êtres humains d'habiter, d'occuper, d'enrichir leur Terre. Le dépassement de toutes les limites productives, financières, impériales, qui vient de se produire, conduit vers la ruine généralisée. Il ne s'agit plus de commémorer des droits de l'Homme-type; il s'agit de réinstaurer, pour tous les humains, des droits qui ont été, soit abandonnés soit jamais conçus ou affirmés.

Le droit à l'accès à l'eau, par exemple, qui fait aujourd'hui question en de nombreux pays, est à annoncer comme une nouvelle obligation internationale. L'eau, au XXIe siècle va remplacer le pétrole : les peuples vont s'entretuer pour en disposer! D'une manière générale, et qu'il s'agisse de l'habitat, de la nourriture, de l'éducation ou de la protection de l'espèce humaine tout entière, il n'est plus possible de s'en tenir à une déclaration admirable, savante et ne faisant l'objet d'aucune contestation (puisqu'on peut l'interpréter et détourner à sa guise!). La crise économico-écologique, dans laquelle nous ne faisons qu'entrer, obligera vite à redire ce à quoi l'humanité du XXIe siècle a désormais droit. Et ce sera plus difficile à faire admettre que la modification des règles de fonctionnement du financement de l'économie mondiale...!

Avec l'arrivée au pouvoir d'un président noir, ou plutôt métis, à la présidence des États-Unis, on a osé parler de l'entrée dans une ère post-raciale. Même si les faits sont encore loin de confirmer cette appréciation, on peut considérer l'évènement comme une manifestation spectaculaire de l'émergence d'un droit que tous les hommes n'avaient pas encore approché: celui d'accéder, non plus pour la forme, mais en réalité, aux leviers du pouvoir d'une très grande puissance!

Reste à pénétrer dans l'ère post-occidentale. Reste à ouvrir l'espace post-productiviste. Reste à fermer non seulement Guentanamo, mais toute structure pseudo-légitime du même type dont des États s'arrogent la possession pour faire triompher, par la violence, des politiques négatrices des droits humains. Reste à oser l'ère post-capitaliste...

Comme toujours, la force politique d'un acte public dépend de son contexte. En 1948, le principal rédacteur de la Déclaration, René Cassin, s'appuyait sur le bouleversement total de la pensée humaine qu'avait engendré cette Guerre dont sortaient les peuples et qui s'était révélée d'une cruauté inimaginable.

Si la démocratie reste ce qu’elle est, elle va disparaître et l’on perdra, alors, y compris ce qu’elle recèle de positif : le droit de choisir des responsables au lieu de les subir. La démocratie qui ne serait pas participative finirait par n’être même plus représentative. La difficulté tient à ce que le suffrage, pour être universel réellement, a besoin d’associer tous les hommes aux décisions quotidiennes les concernant. Or, jusqu’à présent, nous n’avons pas su mettre en œuvre cette démocratie tout court qui ne saurait être représentative ou participative, directe ou déléguée mais qui est un travail politique à organiser constamment.

La démocratie que nous ne qualifierons donc plus, sinon pour l’appeler la démocratie réelle, va au-delà des élites, au-delà des partis, au-delà de la professionnalisation de la politique. Elle s’enseigne pas par l’école mais comme on apprend à marcher et à parler : elle est le propre de l’homme socialisé. Et c’est une éducation continue, permanente, aussi vitale qu’une transfusion. Nous manquons d’outils pour effectuer cette éducation populaire généralisée. La lutte politique par les voies traditionnelles ne suffit plus. Il faut s’avancer dans d’autres voies. Il s’agit d’inventer une efficacité politique qui soit meilleure que celle des partis (sans perdre son temps à les combattre ou dénigrer ; ils sont dépassés). Faut-il, pour cela, abandonner toute forme antérieure d’action ? En théorie, non. En pratique, peut-être, si l’on gère son temps avec économie et sagesse.

En 1789, quand naquit la démocratie en France, la pensée politique s’est appuyée sur les Droits de l’homme. À cette époque, la philosophie permettait de concevoir l’universalité mais pas de l’expérimenter. Des immensités territoriales restaient alors inconnues ou mal connues. Il fallut la domination coloniale des grandes nations européennes et l’installation des immigrés européens dans les Amériques pour qu’on approche d’une conception planétaire de notre univers politique. Deux guerres qualifiées de « mondiales » ont tué plus que des millions d’hommes ; elles ont martyrisé la démocratie qui, depuis, est devenue, et de plus en plus, un art de conduire les peuples au lieu de les laisser se préoccuper de leurs propres affaires.

En 1948, dans un sursaut, les grandes nations, victimes de l’horreur, prisonnières des crimes nazis mais aussi de la logique proprement infernale de la violence ripostant à la violence avec son sommet symbolique, à Hiroshima, ont universalisé les Droits de l’homme mais sans que la pensée politique puisse en tirer immédiatement profit. Entre le socialisme étatisé et le capitalisme privatisant, la « démocratie populaire » et la « démocratie libérale », le divorce était consommé et l’accord international fictif.

Les démocraties qui n’avaient de populaire que l’adjectif ont, l’une après l’autre, cessé d’exister après 1989. Le champ semblait libre pour la démocratie libérale. Plus d’obstacle, tout est donc permis, plus de limites au profit ! La liberté d’entreprendre était sacrée. La valeur phare de la déclaration des Droits était le droit à la propriété. Krach et crac ! En 2008, les limites du système sont brutalement apparues. Voici revenu le temps de la politique. Des citoyens aux mains nues se retrouvent devant un avenir privé de perspectives !

C’est dans ce contexte qu’il faut replacer le débat sur la démocratie participative. La démocratie tout court, encore une fois, ne peut être que participative, c’est-à-dire associative et partageuse. Retour à la case départ : l’universel ne veut pas dire partout, mais tous. Un homme vaut un homme. Noir, il peut présider les États-Unis d’Amérique. Président des Etats-Unis d’Amérique, et pas du monde entier, il ne pourra tout faire ce qui attend l’humanité, même avec sa puissante administration, même avec le concours des gouvernements associés autour de la pompe à incendie des pompiers pyromanes les banques.

Un nouveau temps est là, devant nous, qui nous invite à parler et à agir et pas seulement à déléguer notre parole et notre action à des représentants. Or, personne n’a appris aux citoyens à faire cela. À peine quelques coopératives ici, quelques clubs de réflexion là, des chercheurs, des palabreurs se sont préoccupés des moyens de se faire entendre.
Le premier des Droits de l’Homme, mieux appelés droits humains est, à présent, le droit d’intervenir dans l’histoire de son pays, voire dans l’histoire d’une humanité dont on est une unité, pas un individu isolé.

L’analyse est faite. Il convient, à présent, de concentrer tout l’effort sur le comment faire.


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