samedi 22 décembre 2012

Le postulat

Le postulat est "un principe indémontrable, non évident par lui-même, mais qui paraît légitime, incontestable" lit-on dans le Grand Robert.

Le postulat qui s'impose en politique actuellement est le suivant : il n'y a plus d'argent pour payer les dépenses sociales. Il faut donc supporter une cure d'austérité jusqu'à ce que nous ayons rempli les caisses.

De cet a priori découlent plusieurs arguments tout aussi indiscutables :

Il faut augmenter les dépenses de gaz, eau, électricité, transports, logement, assurances..., parce que nous vivons au-dessus de nos moyens.

Il faut augmenter la compétitivité des entreprises qui sont écrasées par les charges, diminuer les salaires,  soutenir les banques en difficulté et envisager de prolonger encore l'âge d'entrée en retraite.

Il faut réduire le train de vie de l'État, privatiser tout ce qui peut l'être, et considérer comme des marchandises des ressources vitales telles que l'eau et bientôt -pourquoi non ?- l'air non pollué.

Le sport, la littérature, les spectacles, le tourisme, les obsèques, sont des activités d'entreprises qui doivent être rentables, c'est-à-dire produire plus de profits qu'elles ne génèrent de coûts.

La gratuité est un leurre. Le seul don qui vaille est le mécénat. L'argent est un produit qu'on peut accumuler sans limites et qui fournit la seule dynamique susceptible de déclencher l'activité humaine...

Ces évidences, qui auraient fait rire ou auraient scandalisé les générations antérieures qui croyaient encore au partage, voire au socialisme, sont rabâchées, répétées, assénées, et qui émet des doutes à ces sujets est devenu ringard, inculte et, pire, d'une naïveté dangereuse et irresponsable.

Or ce postulat est faux. De l'argent, il y en a. Il y en a même beaucoup plus qu'avant "la crise" ! On en produit, du reste, comme on produit du... blé ! Toujours plus. Et plus il y en a plus on en manque puisque l'argent n'est plus la mesure de la richesse réelle, concrète, physique mais une marchandise qui s'accumule non plus dans des coffres forts, sous la forme de barreaux d'or ou de platine, mais dans les mémoires des ordinateurs. L'argent ne s'écoule plus, il circule, et à des vitesses qui le rendent insaisissable.



Nos intelligences fonctionnent à partir d'une illusion admise : il faut d'autant moins dépenser d'argent qu'on en possède plus. Nous avons changé d'usage de la monnaie : elle n'a plus de valeur parce ce qu'elle permet d'acquérir un bien ; elle a d'autant plus de valeur qu'elle est conservée et peut être un marqueur de réussite sociale. Le capital s'est autonomisé par rapport aux activités humaines ; il a sa vie propre et il n'accompagne pas principalement les entreprises qui fournissent aux hommes les produits qu'ils se procurent pour vivre. Il s'étend, s'étale et choisit selon son intérêt ce qu'il veut faire !

L'énergie, la nourriture, les transports, l'habitat, les médicaments..., sont des nécessités qui doivent satisfaire plus que des besoins, plus que des profits : il faut qu'elles enrichissent des actionnaires qui n'agissent pas, qui n'actionnent rien, mais exigent toujours davantage. Le postulat reste le même : l'activité humaine ne vaut pas en elle-même ; elle vaut par ce qu'elle rapporte à ceux qui la finance.

L'économie n'est pas une science mais une activité de l'esprit qui, tel le sophisme, développe des idées et des idéologies à partir de ce postulat irrécusable : rien n'a de valeur que ce qui se paie. Sortir de cette machine à formater les esprits est une condition de notre survie en tant que civilisation.

Le débat est philosophique plus que politique puisque les politiques exposées fonctionnent toutes à l'intérieur d'un même modèle qui nie, peu ou prou, le don, la gratuité, le partage, la solidarité, la coopération, la sobriété, les limites, bref tout ce qui se refuse à servir le Veau d'or. Les droits de l'homme eux-mêmes ne sont plus que les droits de ceux qui ont rejeté le commun et sacralisent la propriété.

La guerre des pensées est engagée. Évitera-t-elle la guerre des corps ? Sur la pente où nous glissons, on peut en douter. Nous n'avons pourtant d'autre chemin à prendre que celui qui mène à une égalité véritable, dans une fraternité effective, en usant d'un liberté qui ne se privatise pas. Il est, deux-cent- vingt-trois ans après 1789, une révolution à refaire, qui rallume les Lumières, tout en évitant le recours inefficace à la violence. L'esprit seul peut vaincre. Ce n'est là ni un rêve ni une utopie : c'est la condition même de la viabilité d'un monde peuplé de bientôt dix millards de vivants.





Archives du blog

Résistances et romanitude

Résistances et Changements

Recherche Google : rrom OR tsigane