vendredi 26 août 2011

La double peine : violentée et chassée ?


Si jamais Nefessatou Diallo n'avait rencontrée DSK, elle serait toujours employée au SOFITEL, estimée et anonyme. La voici humiliée et menacée d'expulsion ! Le New York Post la voue aux gémonies et exige qu'on la renvoie en Guinée, d'urgence. Et tout cela pour une relation sexuelle non niable, effective mais "hâtive", en quelques minutes, et peut-être non imposée constate le Procureur... Et voilà comment une juste justice, qui ne juge pas ce qui n'est pas certain, peut être humainement injuste...

Car le mal est fait. La principale victime est ramenée a son statut d'étrangère, quasi clandestine, et qui a "menti". Il faut la chasser...

Selon que vous serez puissant ou misérable
Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.



La Fontaine, au secours, ils sont devenus fous...

Heureusement, 80% des Français, disent les sondages, - qui n'en sont pas, pour autant, autre chose que des machines à décerveler, à faire l'opinion...- voudraient, à présent, qu'on oublie DSK et surtout qu'il ne perturbe pas les Présidentielles.
C'est bien le moins...

http://www.google.com/hostednews/afp/article/ALeqM5jn1sHwW9ksFictQ3bwgu9b6jT7uw?docId=CNG.c5892a964a477e213d4eb10522c24492.7a1

mardi 23 août 2011

S'indigner encore : nous sommes tous salis !

Ce n'est ni le moment de se taire, ni le moment de se laisser duper.

Que Monsieur Strauss-Kahn ne soit plus menacé de prison. Passe.
Que la justice américaine se refuse à décider sans preuve absolue. Bravo ! (Bien qu'elle ne se soit pas gênée, en d'autres circonstances, pour conduire des innocents à la chaise électrique).
Que l'on confonde non condamnation et innocence, alors là, non.

Monsieur Strauss-Kahn n'est, en droit, ni innocent ni coupable, aux yeux d'un procureur. Soit !
Une relation sexuelle ne suffit pas à trainer un homme vers les cachots s'il n'y a pas eu viol. Soit !
Mais dire que ce ne fut pas un viol parce que l'on n'a pas pu le prouver, est tout sauf logique.
Madame Diallo est passée du statut de victime à celui d'accusée. Et là, c'est indigne.

Car il y eut bien relation sexuelle, nul ne le nie, et on la prétend "consentie" !
Il y a donc eu proposition. De qui ? D'une femme en charge du nettoyage ou du client de l'hôtel ?
Peut-on considérer comme acceptable que le personnel fasse l'objet de telles sollicitations ?
S'il a été provoqué, le client ne devait-il pas s'en plaindre à la direction de l'établissement ?

Monsieur Strauss-Kahn est connu pour ses frasques étalées y compris au sein du FMI.
Et il faudrait le croire, lui, plutôt que cette modeste employée qui risque sa place en cas de faute !
Et le monde entier, pris à témoin, devrait accorder, à lui seul, le bénéfice du doute !
Et ses amis politiques de se réjouir de le voir "blanchi", vierge pour un peu... Affligeant !

Oui, in fine, c'est le triomphe du riche qui "s'est fait" une pauvre, avec ou sans son accord !
Oui, ce sont seulement des arguments juridiques qui auront mis fin à une procédure impossible.
Oui, rien ne va laver l'honneur d'un personnage qui s'est rendu lui-même méprisable.
Oui, la justice aura été, jusqu'ici, mise à mal et quiconque s'en satisfait est inexcusable.

Que la presse, des personnalités françaises, étalent leur satisfaction nous emplit de honte.
C'est l'apparence qui compterait donc, et pas les faits, pas même les examens médicaux ?
Car on est allé jusqu'à dire que Madame Diallo a été blessée lors de relations antérieures !
Car on l'a suspectée aussi de s'être elle-même lésée pour faire croire à un viol ? Abject !

Mais il y a pire, si l'on peut dire : Madame Diallo n'aurait recherché "que-de-l'argent" !
En bref, ce serait une putain dont Monsieur Strauss-Kahn pouvait profiter.
Toute défense de l'accusatrice n'est plus présentée que comme une opération spéculative !
Piège politique ou piège crapuleux : on a bien changé de victime.

Et il nous faudrait croire ça ? Accepter cette fable de l'innocent trainé dans la boue ?
Il nous faudrait "effacer l'ardoise" et nous contenter de ne plus voir DSK candidat à l'Élysée ?
Tristane Banon n'a qu'à bien se tenir qui ne pourra pas même fournir la preuve d'un test ADN.
Le triomphe du machisme politique et social est là, flagrant..., et révoltant.

Tâchons d'oublier Monsieur Strauss-Kahn et son pitoyable spectacle.
Mais pas ses défenseurs minables, frustrés dans leurs espoirs de participation au pouvoir !
Au-delà d'un fait divers "planétaire", c'est de notre dignité d'homme qu'il est à présent question.
Notre monde n'est pas celui où des voyeurs ont déclenché un tintamarre obscène.

Oui : ce n'est ni le moment de se taire, ni le moment de se laisser duper.










lundi 22 août 2011

Crise de la démocratie, crise de la culture

Faire écho à ce texte, c'est comme le co-signer, sans se l'approprier. Je n'hésite pas à le faire, sans oublier de remercier Roland Gori qui, lui aussi, affirme que tout homme est philosophe.


La crise de la démocratie est aussi, et d’abord, une crise de la culture

Par Roland Gori

« Étrange faillite que celle de notre civilisation qui naufrage à l’instant de son triomphe. Cependant dans ses débris et sa poussière, l’homme à tête de nouveau-né réapparaît. Il est déjà mi-liquide, mi-fleur1. »

Tous les hommes sont philosophes

Tous les hommes sont philosophes, disait Gramsci, tous les hommes sont philosophes à leur manière et de façon inconsciente. C’est de l’arrière-fond de cette philosophie implicite, de ce « rêve métaphysique » enfoui au plus profond du langage qui catégorise leurs pensées et fabrique leurs paroles, que les humains conçoivent le monde, leur monde, eux-mêmes et leurs rapports aux autres. Tous les hommes sont philosophes, et ils ne le savent pas, immergés qu’ils sont dans des systèmes de croyances, d’opinions, de superstitions et de préjugés. Philosophie implicite que le concept marxiste d’idéologie approche sans pour autant l’épuiser.

Cette philosophie implicite, Gramsci la nomme « folklore », folklore en tant qu’elle rassemble des modes de pensée épars, occasionnels, disséminés dans des modes de vie, d’action et de paroles, grâce auxquels l’humain inscrit dans une économie symbolique les évènements dans lesquels il est pris.

Tous les hommes sont philosophes, car tous les hommes tentent de participer le plus activement qu’ils le peuvent à la production du monde, de leur monde, c’est-à-dire d’eux-mêmes. Cette philosophie spontanée, cette philosophie du sens commun, cette « vision du monde2 », constitue la matrice et les catégories par lesquelles les sujets produisent ontologiquement leur monde, autant qu’eux-mêmes, en tant qu’êtres sociaux, « individus-masses3 », « individus collectifs4 ».

C’est dire que ces conceptions du monde, qui catégorisent les manières conformistes de penser, de dire et d’agir, dépendent étroitement des conditions sociales et des positions historiques, autant matérielles que symboliques, dans lesquelles les sujets s’insèrent et se fabriquent.

En un mot comme en cent, je dirai qu’il n’y a pas d’Immaculée Conception de la pensée et de la parole, et que l’une comme l’autre sont sans cesse corrompues autant que fertilisées par les conditions historiques, sociales et singulières, qui permettent à un sujet de rationaliser ce qui lui arrive, ce qu’il dit et ce qu’il fait. Cette rationalisation donne une cohérence formelle et une homogénéité idéologique à des évènements et à des vécus pris dans l’opacité des rapports sociaux et des histoires subjectives. Dans ce contexte la liberté intellectuelle, autant que l’émancipation politique qu’elle conditionne, dépendent étroitement de la capacité d’un sujet à critiquer sa propre conception du monde, à l’interpréter au vu des éléments historiques et sociaux qui la déterminent et dont elle est la philosophie spontanée.

Comme le rappelle Gérard Granel, le « Connais-toi toi-même » chez Gramsci commence par un processus d’analyse critique des philosophies implicites et des rapports qu’elles entretiennent avec les groupes sociaux auxquels les sujets appartiennent. C’est donc d’abord et avant tout à un devoir d’inventaire que l’individu se trouve convoqué pour pouvoir se connaître lui-même : prendre conscience des processus historiques et sociaux qui ont laissé dans sa subjectivité une infinité de traces. Traces qu’il a reçues, « sans bénéfice d’inventaire » comme disait Gramsci, traces qui lui collent à la peau, à la peau de son langage comme de ses actions. Ces traces constituent une culture qui l’aliène, le mutile, autant qu’elle le fabrique et l’émancipe dès lors que, par un acte réflexif, il en acquiert la liberté et la responsabilité politiques. La politique ici est d’abord et avant tout ce geste culturel par lequel un sujet déconstruit ses philosophies spontanées du monde par un travail authentiquement philosophique, éclairé chez Gramsci par le matérialisme historique et critique.

Le désaveu de ce caractère inévitable des philosophies implicites fait le jeu des pouvoirs politiques en invitant les sujets à ne pas interpréter les déterminants sociaux et historiques de leurs représentations du monde et d’eux-mêmes.

Le trait que je trace ici de la pensée de Gramsci est grossier et il n’a pour visée que de rappeler l’extrême dépendance des rapports de force politique aux enjeux sociaux et culturels, à leur dynamique autant matérielle que symbolique. Faute de quoi, selon l’expression de Gramsci, on risque la « faiblesse » des « philosophies immanentistes » purement matérialistes et athées qui ignorent le besoin de « transcendance » des « masses ». « Transcendance » qui permet l’ « unité idéologique » indispensable à la cohésion sociale autant qu’individuelle des sujets. Bref, pour le dire autrement, on ne saurait méconnaitre le pouvoir symbolique des théories autant que des pratiques politiques ; leurs succès ou leurs échecs dépendent étroitement de leurs aptitudes à créer et à développer des dispositifs culturels qui permettent l’émancipation sociale.

C’est ce pouvoir symbolique, que les institutions religieuses ont su manier tout au long de l’histoire, qui manque cruellement aux philosophies exigeant l’émancipation politique sans l’action culturelle. Elles négligent alors cette foi, distincte de la croyance5, qui conduit Albert Camus à affirmer : « Je ne crois pas en Dieu, c’est vrai. Mais je ne suis pas pour autant athée. » Cette foi dans les valeurs sans laquelle les institutions politiques elles-mêmes pourraient être en danger. Comme le rappelle sans cesse Jaurès : « ce qui manque à la démocratie, c’est la confiance en elle-même, c’est le sentiment de sa force, c’est l’ambition vraie.6 »

Répétons-le encore et encore : la culture et la politique sont indissociables, dès lors que l’on admet que tous les hommes sont philosophes et que c’est dans et par un travail philosophique de déconstruction, de décomposition et de détournement des séquences de leur philosophie implicite qu’ils peuvent s’émanciper politiquement, c’est-à-dire collectivement autant que singulièrement. L’invention de l’Education populaire ne répond-elle pas à cette exigence d’une « éducation à la pensée et à l’expression critique et politique7 » , à la nécessité de devoir reconnaitre que culture et politique sont consubstantielles et qu’il ne saurait y avoir d’émancipation politique sans émancipation culturelle.

C’est en ce sens que la crise politique que nous traversons aujourd’hui, crise de la démocratie, est aussi et d’abord une crise de la culture. Cette crise de la culture contemporaine provient du triomphe de la rationalité instrumentale propice aux métamorphoses du capitalisme mais violemment coûteuse pour « l’humanité dans l’homme ».


Petite métaphysique d’un monde instrumental

Comme je n’ai cessé de le dire tout au long de cet article, la culture ne se réduit pas à un secteur de la vie sociale, celui traditionnellement dévolu aux spectacles et aux divertissements, mais constitue la substance même du « vivre-ensemble ». Plus particulièrement, la manière dont une société accueille et traite la vulnérabilité de l’homme - incarnée par l’enfant, le malade, le fou ou encore le vieillard - révèle sa culture dominante, ses valeurs. Cette culture constitue la matrice à partir de laquelle se développent les manières de soigner comme celles d’informer, de juger, d’éduquer, de faire de la recherche, de construire les espaces du public et du privé, de fabriquer les formes du lien social autant que celles du savoir8.

Au sein de toute société des courants culturels divers et contradictoires se déploient et s’affrontent dans des équilibres toujours plus ou moins instables. La philosophie implicite qui domine à un moment donné la scène culturelle tend, comme toute idéologie, à s’imposer au nom de l’évidence ou d’un droit prétendument juste ou naturel. Or quelle est-elle cette philosophie implicite dominante depuis que le capital vide les choses comme les êtres de leur substance spécifique au profit de son perpétuel renouvellement, sous la forme de cette « substance automatique » que constitue la marchandise ? Si ce n’est une philosophie rationnalisant à l’extrême le monde et l’humain, dont Marx comme Weber ont théorisé les caractères de contrainte et de généralisation progressives dans le désenchantement du monde.

Rationalisation technique totalitaire dont Jaurès considère qu’elle constitue une des grandes misères du patronat car, dit-il, « je considère comme une des plus grandes misères du patronat d’être réduit à ne voir au fond dans les hommes que des éléments.9 »

Cette philosophie implicite se révèle conforme aux nécessités d’une production industrielle, elle se constitue de pied en cap dans « l’essence de la technique » (Heidegger), exploitant à l’infini une rationalité instrumentale d’autant plus cynique et perfide qu’elle s’autoproclame dépouillée de toute métaphysique et de toute prétention morale alors qu’elle tend à les fabriquer à sa guise.

Pour exemple, dans cette nouvelle étape du capitalisme qu’est la nôtre, la normalisation et le contrôle social remodèlent, au nom de l’ « évaluation », tous les secteurs de l’existence humaine, autant dans les pratiques des métiers que dans les replis les plus intimes des existences sociales et singulières. Cette « néo-évaluation » est devenue la nouvelle manière de donner les ordres et le dispositif le plus perfide pour obtenir la servitude volontaire des individus et des populations.10

Pierre Bourdieu dénonce cette civilisation dans un texte bref et saisissant « Des abus de pouvoir qui s’arment ou s’autorisent de la raison » écrivant en octobre 1995 : « Le rationalisme scientiste, celui des modèles mathématiques qui inspirent la politique du FMI ou de la Banque mondiale, celui des Law firms, grandes multinationales juridiques qui imposent les traditions du droit américain à la planète entière, celui des théories de l’action rationnelle, etc., ce rationalisme est à la fois l’expression et la caution d’une arrogance occidentale, qui conduit à agir comme si certains hommes avaient le monopole de la raison, et pouvaient s’instituer, comme on le dit communément, en gendarmes du monde, c’est-à-dire en détenteurs auto-proclamés du monopole de la violence légitime, capables de mettre la force des armes au service de la justice universelle. La violence terroriste, à travers l’irrationalisme du désespoir dans lequel elle s’enracine presque toujours, renvoie à la violence inerte des pouvoirs qui invoquent la raison. La coercition économique s’habille souvent de raisons juridiques. L’impérialisme se couvre de la légitimité d’instances internationales. 11»

De la place qui est la mienne dans la défense des valeurs d’une culture des métiers12, je soulignerai que l’acquisition des droits politiques s’avère toujours inséparable de la conquête des droits du travail et de la défense des métiers, de leurs finalités comme des conditions de leur pratique et de leur transmission. La déclaration de Philadelphie (Mai 1944), qui se place sous l’enseigne de l’organisation internationale du travail, précède de peu les accords monétaires de Breton Woods, la création de l’ONU et la déclaration universelle des droits de l’homme (1948)13. Dans notre culture occidentale, dans son rationalisme économique et social on ne saurait méconnaître ce point : c’est sur le plan de la liberté, de la sécurité, de la justice sociale, dans les conditions de travail et des pratiques des métiers, que la culture politique se joue d’abord. Sans devoir confondre les champs, c’est sur le plan des emplois et des métiers que les logiques de domination néolibérale ou d’émancipation sociale se sont jouées, se jouent encore aujourd’hui et se joueront demain.

Si l’évaluation s’impose aujourd’hui comme la nouvelle manière de donner des ordres au nom d’une prétendue objectivité formelle, technique et gestionnaire, c’est parce que l’autorité est en crise et que les décisions se masquent d’une « neutralité d’eunuque » pour reprendre l’expression d’un historien polonais, Johan Droysen.

L’autorité est en crise. Quand l’autorité est en crise, le pouvoir normatif s’accroît. Le pouvoir normatif n’est pas l’autorité. L’autorité requiert toujours l’obéissance mais elle exclut l’usage de moyens extérieurs de contrainte. Hannah Arendt le rappelle : « là où la force est employée, l’autorité proprement dite a échoué.14 » Mais dans nos sociétés de contrôle la « force » doit prendre le masque de la gestion des risques et de la rationalisation des conduites pour se faire accepter en douceur, pour installer de nouvelles formes de servitude volontaire.

Cette logique de domination symbolique, on la trouve dans la reconfiguration de tous les métiers, en particulier les métiers de l’espace public, remodelés au nom du réalisme, du pragmatisme, de l’utilité et de la performance, sommés de se mettre à l’heure des valeurs et des habitus du secteur privé, du secteur exposé à la guerre du Marché globalisé. Cette reconfiguration des métiers a produit la colère sociale et le désespoir autant individuel que collectif. Cette reconfiguration des métiers, sommés d’incorporer les valeurs culturelles du capitalisme financier, a perverti le sens, l’histoire et les traditions de ces métiers. Cette reconfiguration que portent les réformes gouvernementales, préparées en amont par une nouvelle culture depuis presque trente ans, est à l’origine de l’Appel des appels15 et de bien des collectifs.

Cette philosophie de la néo-évaluation qui quantifie, contrôle, normalise et humilie les individus comme les états, procède d’un pouvoir normatif qui individualise, isole et met en servitude par « une évaluation individuelle comparée ». Toutes les réformes gouvernementales et néolibérales de l’Etat et des services ont été préparées par des cabinets d’audit et de gestion qui prescrivent l’incorporation de normes managériales dans les métiers, mais aussi dans les têtes des individus et dans leur vivre ensemble. C’est donc une technique de gouvernement autant qu’un dispositif de subjectivation.

Cette catastrophe culturelle qui corrompt notre société aujourd’hui est plus grave que la crise financière, économique, politique que nous venons de connaître. Ou du moins elle appartient au même processus, celui d’une catastrophe écologique totale. Dans cette culture la nature comme l’humain sont transformés en produits abstraits et quantifiés. C’est cette catastrophe culturelle elle-même qui empêche aujourd’hui les mouvements d’opposition sociale et politique à parvenir à s’en affranchir et conduit les populations au chagrin et au désespoir. La difficulté de transformer la colère sociale en force politique conduit à la résignation consentie et à l’apathie politique, avec des taux record d’abstention au moment des élections ou encore à la tentation des populismes de droite comme de gauche. Et si cette impuissance des mouvements d’opposition sociale et politique à se transformer en force motrice d’un changement provenait de leur difficulté actuelle à s’affranchir, dans la période qui est la notre, des valeurs mêmes d’une culture qu’elles se doivent de combattre ?


Les difficultés des forces politiques proviennent de leur solidarité culturelle

A leur insu, les mouvements d’opposition sociale et politique partagent la même civilisation avec ceux-là même qu’ils combattent. C’est à cette aliénation symbolique qu’ils doivent s’arracher, autant qu’au dispositif de domination et de soumission sociale matérielle contre lesquels ils luttent. Cette prévalence de la culture dans le champ des rapports de force politique, nous en trouvons l’analyse saisissante chez Gramsci lorsqu’il analyse les limites du rôle des syndicats dans le changement radical de la société. Il rappelle alors que les syndicats, dont il convient de ne pas nier la volonté de défense des intérêts de la classe ouvrière, s’inscrivent néanmoins dans la logique symbolique du capital en défendant les travailleurs comme le ferait n’importe quel groupe de pression lorsqu’il défend sur le marché la valeur de ses marchandises. Gramsci écrit : « Le syndicalisme unit les ouvriers selon l’instrument de travail ou selon la matière à transformer, c’est à dire que le syndicalisme unit les ouvriers en fonction de la forme que leur imprime le régime capitaliste, le régime de l’individualisme économique ».16 L’analyse est lumineuse : les syndicats de métier ou d’industrie tendent à unir les travailleurs sur la même base que les lobbies en défendant le travail comme une marchandise, c’est à dire comme une force qu’il ne faut pas brader mais dont l’évaluation reste sous tendue par les unités de mesure des capitaux. On constate aujourd’hui combien cette analyse de Gramsci se révèle visionnaire au moment même où, au nom de la nouvelle évaluation, l’ensemble des activités et des services se trouve converti en produits financiers, jusque et y compris ceux dont les finalités s’y prêtent le moins, comme le soin, la justice, l’éducation, la recherche…

Inutile de pousser la cruauté jusqu’à analyser dans ce bref article la manière même dont les hommes et les partis politiques s’évaluent aujourd’hui à la mesure de l’audimat et des sondages d’opinion qui tendent à les fabriquer comme des spectacles et des marchandises.

Nous touchons ici même à l’impasse dans laquelle se sont engouffrés la plupart des mouvements d’opposition sociale et politique. Ces mouvements sont schizophrènes : une partie de leur corps combat les valeurs culturelles qui les oppriment, l’autre partie en a épousé toutes les formes, qui du même coup la paralysent. Jamais peut être autant qu’aujourd’hui nous n’avons constaté un tel triomphe de la rationalité instrumentale et de son emprise totalitaire sur toutes les régions de l’esprit comme de l’existence sociale.

La haine de la psychanalyse, la casse des humanités, le mépris dans lequel sont tenues les sciences humaines et sociales, à moins qu’elles ne se convertissent à la culture des dominateurs, les pouvoirs frénétiquement sécuritaires qui abolissent la diversité des cultures et la singularité des humains, sont à la fois les symptômes et les opérateurs de cette catastrophe culturelle. A cela, les syndicats comme les partis politiques tardent à faire objection et c’est peut être ce qui explique que c’est par la voie du collectif que les appels et les pétitions se multiplient pour refuser les transformations de l’humain en capital mobile et liquide. C’est aussi par la voie des artistes qui refusent de renoncer à leurs métiers d’artisan que cette insurrection des consciences se manifeste. C’est encore plus radicalement encore, par la voix poétique des artistes antillais tel Patrick Chamoiseau, que cette révolte contre la colonisation néo-libérale se manifeste.

La révolte des Antilles en février 2009, tel un symptôme, a fait entendre la voix poétique dans l’architecture symbolique d’une culture baroque faite, comme l’énonce Patrick Chamoiseau, de « mélanges, de synthèses inachevées, de traces recomposées…17 ». Ceux qui avaient eu à subir toutes les modalités des systèmes d’oppression de la colonisation et de l’esclavage, dans leur chair et dans leur âme, dans les espaces économiques autant que symboliques, n’ont pas pour autant oublié la nécessité d’adjoindre au militantisme la posture de la poétique, c’est-à-dire ce par quoi l’humain « rejoint l’obscur, l’impensable, l’inexprimable. L’inexplicable à mon avis relève du poétique, la partie humaine la plus oubliée, la plus profonde, la part symbolique perdue de vue. Tellement perdue de vue qu’elle n’est pas formulable ; je ne l’ai pas entendue dans les revendications. Je n’ai pas entendu de revendication symbolique ou poétique.18 »

Cette posture poétique, Patrick Chamoiseau la rencontre ailleurs que dans les oppositions traditionnelles, politiques et sociales, dans « une chorale de gospel, une vieille dame chanter et danser dans la rue ; j’ai vu des musiciens jouer, des jeunes se rassembler et échanger ; […] des gens créer des chansons ensemble, se tenir la main, avancer ensemble, j’ai entendu une chanson écoutable à l’infini, les gens y mettre ce qu’ils ressentent, c’était une chanson énigmatique.19 » Et il déplore que cette part du poétique ne soit jamais prise en compte par le politique, lequel s’avère infirme à l’inscrire dans ses projets et ses initiatives. Là est selon moi la problématique des rapports culture/politique que j’ai essayé de développer dans cet article, et qui constitue l’ « avenir d’une utopie », celle d’une « éducation populaire » digne de ce nom.

Restaurer le pouvoir du mythe, de la parole poétique, du discours tragique, de l’énigme, de l’hétérogène, de l’inachevé, de l’imprévisible, face à l’empire des normes et à la tyrannie de la raison instrumentale, ce n’est rien de moins que faire l’éloge de l’amour et de l’amitié dont nous savons, depuis Aristote et La Boétie, qu’ils sont les objections les plus assurées à la servitude volontaire. Si nous ne voulons pas entrer dans l’avenir à reculons il faudra, en politique aussi et dans la culture d’abord, faire notre ces mots de René Char « A chaque effondrement des preuves le poètes répond par une salve d’avenir ».20

1 René Char, « guirlande terrestre pour un ange de plomb » (1952), In : Dans l’atelier du poète, Paris : Gallimard, 1996, p. 661-667, ici p. 665.

2 Cette « vision du monde » est déjà donnée dans et par les structures du langage. Intuition de Gramsci que Victor Klemperer radicalise avec son concept de Novlangue du IIIe Reich (LTI La langue du IIIe Reich. Paris : Albin Michel, 1996).

3 Gérard Granel, Cours sur Gramsci Boukharine et Bordiga 1973-1974. Cours radiodiffusé. http://www.gerardgranel.com/txt_pdf/3-Cours_Gramsci.pdf

4 Gérard Granel, ibid.

5 Jean-Luc Nancy, Noli me tangere, Paris : Bayard, 2003.

6 Jean Jaurès, Rallumer tous les soleils, Paris, Omnibus, 2006, p. 58. Extrait de « Nous faisions un beau rêve », La Dépêche de Toulouse du 11 novembre 1888.

7 Christiane Faure, « c’était ça, monsieur, l’éducation populaire ! », Cassandre, 2005, 63, p. 8.

8 Les formes de savoir sont indissociables des formes de pouvoir mises en œuvre comme pratiques sociales et construction d’un monde commun. Cf Roland Gori, 2010, op. cit.

9 Jean Jaurès, ibid., 2006, p. 89.

10 Roland Gori, 2010, op.cit.

11Pierre Bourdieu, Contre-feux. Paris : éditions LIBER-RAISONS D’AGIR p. 25-26

12 Roland Gori, Barbara Cassin, Christian Laval (sous la dir.), L’Appel des appels. Pour une insurrection des consciences, Paris, Mille et une nuits, 2009.

13 Alain Supiot, L’Esprit de Philadelphie, Paris : Seuil, 2010.

14 Hannah Arendt, La crise de la culture (1954), Paris, Gallimard, 1989, p. 123.

15 http://www.appeldesappels.org/

16 Cité par Gérard Granel, op. cit., p. 219

17 Patrick Chamoiseau, « Grand témoin », Cassandre, 2009, 78, p. 7-13.

18 Patrick Chamoiseau, 2009, ibid., p. 8.

19 Patrick Chamoiseau, 2009, ibid., p. 8, souligné par moi.

20 René Char, op. cit., p. 411.

dimanche 21 août 2011

Feu et contrefeu : vers la perte de toute dignité

Un feu, c'est bien connu fait de la fumée... On nous enfume donc. Ici, l'on nous sort le dossier médical qui confirme le viol. Là – cela ne pouvait rester sans réplique ! – on prétend que Mme Diallo « ne pense qu'à l'argent » et que son avocat négocie avec ceux de DSK...


Une femme de toute façon blessée dans sa dignité

Dans la procédure américaine, l'affaire Dominici se serait soldée par un acquittement. En France, constatée par un vote majoritaire (parfois..., un peu influencée par le Président du Tribunal), « l'intime conviction des jurés » suffit à envoyer quelqu'un en prison ; hier : à la guillotine ! Aux USA, on ne peut condamner, au pénal, qu'à la condition que le jury, unanime, puisse décider « sans aucun doute raisonnable ». En gros, en France on peut être condamné, sans être coupable, alors qu'aux USA on peut être acquitté tout en étant coupable. Le pire n'est pas au-delà de l'Atlantique...

Cependant, le risque est grand de voir un acquitté se présenter comme innocent alors qu'en France, c'est la présomption d'innocence qui joue (ou devrait jouer), tandis qu'aux USA, c'est la prudence libérale (au bon sens du mot) qui conduit à conclure que rien ne peut être décidé s'il y a « l'ombre d'un doute ».

Il se peut donc que, dans les jours à venir, DSK se retrouve blanchi sans être blanc comme neige. Il se peut aussi que ce soit l'intérêt des deux parties de rechercher une « sortie honorable » (elle ne le serait, pourtant, qu'en apparence !) qui permette de dire, : « OK, il y a eu relation sexuelle; d'un côté on l'affirme consentie ; de l'autre on l'affirme violente ; on ne sait où est la vérité ; pour ne pas nuire totalement à la victime, éventuelle ou réelle, jetée sous les feux des médias, on lui accorde une indemnisation avec l'accord de ceux qui nient toute contrainte faite à l'intéressée. »

La vérité n'en sortira pas grandie, mais a-t-on besoin de la divulgation de cette vérité ? Faut-il faire de l'opinion mondiale un gigantesque jury ? Pour beaucoup, DSK est soit un délinquant soit un délirant sexuel et sa culpabilité à défaut d'être certaine est hautement probable. Pour tous les autres, qu'il se soit agi d'un piège politique pour se débarrasser de DSK, ou qu'il s'agisse d'une opération destinée à récupérer de l'argent sur le dos d'un riche, on a transformé une faiblesse passagère et « très humaine » dans la logique machiste, en un crime.

Le comble serait que DSK, de retour en France, reprenne ses activités politiques comme si de rien n'était ! C'est, évidemment, difficile à imaginer tant le traumatisme a dû être grand, mais ce retour à la lumière pourrait aussi déclencher un vif sentiment de revanche et une occasion de régler des comptes. Ce n'est pourtant pas l'hypothèse la plus probable.

Payer, sous la pression de la justice, « la femme de chambre » comme disent les médias (Monsieur Strauss-Kahn est toujours, lui, l'ex « Directeur du FMI ») laissera des traces et, juste ou pas, ce sera l'aveu d'une culpabilité, légère ou grave, mais ineffaçable. Si le Procureur de New-York, Cyrus Vance, lève, mardi 23 août, ce qui n'est pas encore certain, quoi qu'annoncent les journaux, tous les chefs d'accusation qui pèsent encore sur DSK, tout ne sera pas réglé et de longues procédures, couteuses, pourront être engagées au civil, une fois écartée la question pénale. Aux USA, les procédures pénale et civile sont indépendantes. Dans cette logique, on peut ne pas être criminel en restant « partiellement » coupable et astreint à une très lourde indemnité.

Telle est la complexité et l'ambiguïté de la situation. Pourtant le fond est ailleurs : tout n'a pu être inventé par Mme Diallo, menteuse ou pas, qui n'est pas "la femme d'en bas", qu'on a sortie de l'anonymat, mais une femme de service, parmi des millions d'autres, qui a droit au respect ni plus ni moins que quiconque, fut-il, à tort, en la circonstance, considéré comme un "homme d'en haut" ! La chose est acquise. Et nous, citoyens français devront, tôt ou tard, savoir si celui que beaucoup d'entre nous (et toute la machine électorale d'un grand parti politique) s'apprêtaient à conduire aux portes de l'Élysée, était incapable d'exercer des fonctions qui réclament (en principe !) plus que de l'intelligence. De la dignité.


La dignité : c'est ce qui inspire le respect


lundi 8 août 2011

De quoi l'effondrement des bourses est-il le signe ?


L'économie mondiale en chute libre ?

Tous les commentaires, fort convenus, que nous entendons ou lisons, sont destinés à rassurer ceux qui n'imaginent pas de pouvoir vivre dans un autre monde.

Nous qui n'accédons pas aux informations sûres et complexes qui sont à la disposition des gouvernants, ne devons pas, pour autant, nous interdire d'analyser et de juger une situation qui, si elle nous échappe, pèse lourdement sur nous et nous concerne donc.

Qu'en dire avec les moyens intellectuels et les informations dont nous disposons ?

La première quasi certitude, c'est que 2011 est le prolongement de 2008. Les discours sur cette "crise" par laquelle on a tout voulu expliquer sont réduits à rien. Non seulement la pseudo crise n'était pas terminée, mais on a constamment menti en alternant, devant nous, les raisons d'avoir peur et les raisons d'espérer. Il n'y a pas eu de crise (comme cette fièvre à laquelle on échappe à la fin d'une maladie) mais bel et bien une mutation, un passage dans un autre rapport à la planète, et ceux qui nous l'ont caché se voient, une seconde fois, gagnés par la panique financière puisqu'ils ne mesurent les événements qu'avec l'outil bancaire.

Oui, c'est le capitalisme qui est bien malade, et ses violentes convulsions peuvent lui être fatales bien avant que nous sachions quoi lui substituer.

On continue à nous laisser accroire que la croissance est seule à même de nous tirer de cette impasse économique. Nous sommes pourtant entrés dans une ère de décroissance subie, douloureuse, qui cumule austérité, rigueur et brutalité sociale. Le partage des richesses, n'étant pour les élites pensantes, nullement envisagé, la seule croissance qui vaille, à leurs yeux, c'est celle qui se prolonge en puisant dans les revenus du plus grand nombre, des modestes à qui l'on impose une purge infecte dont la société tout entière se trouve empoisonnée.

La décroissance voulue, sélective, la seule acceptable, qui permettrait de faire porter l'effort par tous et qui limite les excès sans détruire les ressources vitales, reste une éventualité que les maîtres de l'économie n'ont de cesse d'écarter. Le choix, qui n'en est pas un, et que les bourses mesurent, c'est : "comment prolonger, le plus longtemps possible, sans y rien changer, les activités économiques rentables" (comprendre celles qui font de l'argent et enrichissent l'oligarchie d'un pays fut-ce au prix de l'appauvrissement de ses habitants).

La Grèce, le Portugal, l'Irlande, demain l'Italie et déjà l'Espagne, bientôt la Grande-Bretagne et la France, l'Europe l'un après l'autre pays, peut-être Israël, sont à la peine, et s'enfoncent dans des conflits sociaux, larvés ou aigus, liés à cette paupérisation, et l'on ne sait où ils conduiront les populations concernées. La dégradation de la cote des USA, juste ou non, (effectuée par l'une de ces agences de notation qui mettent les pays au coin comme le faisaient les maîtres d'école usant du bonnet d'âne!) est révélatrice d'une autre quasi-certitude : il n'y a plus de grande puissance protégée !


Menteurs ou manipulateurs se cachent derrière ces agences qui ont prix le pouvoir avec le soutien des médias.

Les pays émergents, Brésil, Chine ou Inde, ne sont pas à l'abri de cette fragilisation générale des économies fondées sur le productivisme. La misère n'est plus le lot des seuls pays qu'on disait "sous-développés" et l'occident tout entier semble, à son tour, en voie de sous-développement depuis que la saturation y fait reculer la production de masse.

Les États-Unis veulent à la fois protéger les super profits et réduire les vastes poches de précarité dont souffrent des dizaines de milliers d'endettés, de pauvres, de miséreux. Le débat entre républicains et démocrates a montré qu'il n'y avait pas de consensus possible pour mener ensemble une politique sociale et une politique fiscale incompatibles. Le choc produit par l'information selon laquelle les USA avaient les reins fragiles se répand comme une onde et submerge le monde entier envahi par le doute.

Les bourses sont un thermomètre, parmi d'autres. Les chiffres qu'elles fournissent sont changeants et non garantis. Elles sont le signe d'un désordre qu'elles ne peuvent corriger. C'est par la voie politique qu'il est possible d'agir mais pas la politique des États complices des banques. La seule politique qui soit à même de faire changer de route appartient aux peuples car ce sont eux qui souffrent.

Sans "automne arabe" en Europe, entrerons-nous en stagnation, en récession, pour longtemps ?



Qui doit se serrer la ceinture ?

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