Les
discours enflammés sur la croissance ne serviront à rien. La
croissance ne se décrète pas. On ne fait pas pousser les branches
de nos arbres au cœur de l'hiver. Or, nous sommes en hiver. Il en
est des sociétés humaines comme de la nature : il y a une période
où l'eau et le soleil font monter la sève mais il en est une autre
où le repos et la moindre activité s'imposent.
"Bien
entendu, disait De Gaulle1,
on peut sauter sur sa chaise comme un cabri en disant l'Europe !
l'Europe ! l'Europe !... mais cela n'aboutit à rien et cela ne
signifie rien". L'Europe est aujourd'hui à la peine et ce
n'est pas la croissance qui la sauvera car « on peut sauter
sur sa chaise comme un cabri en disant croissance, croissance,
croissance... mais cela n'aboutit à rien et cela ne signifie rien ».
Il
est des réalités que les dirigeants occidentaux ne veulent pas voir
parce qu'elles les affolent et mettent en question leurs certitudes
économiques les mieux installées. Non seulement notre planète a
des limites et l'on n'y peut pas produire toujours plus de biens et
de services, mais nos ressources, au rythme où nous les exploitons,
s'épuisent et nous franchissons, actuellement, et le « pic
oil » et le « pic all ». Il nous faut
repenser notre action économique en fonction de ce que la nature
nous offre et renouvelle constamment, sans gâchis et sans pillage.
En dépend la vie de sept, bientôt dix milliards d'humains.
Nous étions peu nombreux à affirmer que l'écologie, chassée de la campagne électorale par la porte, reviendrait vite par les fenêtres et s'imposerait dans nos tout proches débats. C'est fait. Et nous voici, comme citoyens très concernés, ne pouvant guère compter sur les écologistes patentés au sein de leur parti, enfermés dans leurs alliances et à l'affut de places qu'ils n'obtiendront que chichement. L'écologie politique n'est ni l'affaire du petit nombre des écologistes qui se brûlent les ailes chaque fois qu'ils s'approchent trop près de la flamme du pouvoir, ni du reste, de quelque parti politique que ce soit car elle n'est plus une partie de la politique mais la politique elle-même, tout entière, c'est-à-dire tout ce dont sont faites nos vies.
Nous étions peu nombreux à affirmer que l'écologie, chassée de la campagne électorale par la porte, reviendrait vite par les fenêtres et s'imposerait dans nos tout proches débats. C'est fait. Et nous voici, comme citoyens très concernés, ne pouvant guère compter sur les écologistes patentés au sein de leur parti, enfermés dans leurs alliances et à l'affut de places qu'ils n'obtiendront que chichement. L'écologie politique n'est ni l'affaire du petit nombre des écologistes qui se brûlent les ailes chaque fois qu'ils s'approchent trop près de la flamme du pouvoir, ni du reste, de quelque parti politique que ce soit car elle n'est plus une partie de la politique mais la politique elle-même, tout entière, c'est-à-dire tout ce dont sont faites nos vies.
Eau,
énergie, nourriture, transports, pollutions, démographie, climat,
gestion des risques; etc..., tout devient enjeu écologique.
L'eau
peut devenir cause de guerres là où elle viendrait à manquer ou
causerait des épidémies au lieu d'assurer l'hygiène et la santé.
Les
énergies aux multiples sources, sans lesquelles notre action est
faible, ne peuvent plus seulement dépendre du charbon, du pétrole
et de l'uranium et c'est pourquoi une longue action de
« décarbonation » et d'exploitation des énergies
renouvelables doit s'engager sous peine de laisser à notre
déscendance une Terre ruinée et vide. Il y a urgence et la
recherche technologique, notamment pour le développement des
énergies solaire et géothermique, ne doit plus subir la priorité
et donc le freinage des entreprises pétrolières et nucléaires.
La
nourriture a cessé d'être prioritairement une marchandise le
jour où il est apparu qu'on ne peut plus la laisser se dégrader et
perdre dans nos greniers ou dans nos usines agricoles, bien qu'elle
puisse être produite en quantité suffisante pour nourrir les
milliards d'humains que nous sommes, à condition de ne plus imposer
notre régime alimentaire exagérément carné au monde entier.
Les
transports, trop liés au pétrole et à l'électricité, vont
devoir être repensés et toute l'industrie du tourisme va s'en
trouver bouleversée. En vingt ans, les hommes vont devoir
réapprendre à utiliser des moyens de circulation qui ne fassent
plus de la vitesse le facteur décisif de choix des véhicules de
déplacement. Des transports en commun, moins gourmands en énergie,
vont devoir être proposés et nous aurrons à nous y habituer.
Les
pollutions, non pas les malpropretés et les souillures mais les
atteintes à la santé, du fait de l'usage de produits sanitaires,
d'engrais et de pesticides ravageurs pour les populations animales
dont l'homme fait partie, ne peuvent plus être supportées. On
connaît les effets cancérigènes ou mutilants de produits qu'on a
utilisés sans vergogne dans les industries et dans l'agriculture. On
ne viendra pas à bout de ces pratiques sans des luttes politiques
intenses qui seront tout sauf paisibles.
La
démographie qui commande toutes les actions humaines ne peut
plus être considérée comme une science d'observation du donné
humain. Elle est l'étude de toutes les causes qui génèrent des
fluctuations parfois rapides et considérables dans les populations
humaines. On ne comprend guère pourquoi ce n'est pas une discipline
universitaire privilégiée qui engloberait la géographie,
l'anthropologie avec leurs appendices économiques et sociaux. Il y
va de la connaissance de la planète de plus en plus étroite où
nous vivons sans pouvoir nous en échapper. La juxtaposition
d'États-nations voulant décider de tout chez eux, dans ce contexte
planétaire en pleine évolution, apparaît de plus en plus surannée.
Vivre ensemble sur toute la Terre avec, à la mi-siècle, dix
milliards peut-être d'humains vivants, puis, après une lente décrue
dont nous savons seulement qu'elle comportera un vieillisement
massif, est un enjeu sans équivalent dans l'histoire de l'humanité.
Toute politique, évidemment, en dépend.
Le
climat détermine nos acivités mais nos activités, en ce
siècle, nous le savons à présent, ont fini par déterminer le
climat. D'aucuns, qui se disent scientifiques, le nient et ne veulent
pas le savoir, mais l'élévation des températures, la fonte des
glaces, les manifestations brutales des intempéries se sont
produites à un rythme jamais connu et donc sont de plus en plus
difficiles à prévoir et contrôler. Pour réduire, ralentir, avant
de pouvoir les arrêter, les effets de ces bouleversements
climatiques, il faut agir tout de suite, tout en sachant qu'il faudra
des décennies avant d'éloigner les risques majeurs qui pèsent sur
nos civilisations. Les actuels « maîtres » de l'économie
et des institutions politiques ne peuvent l'ignorer mais ils
hésitent, tant sont lourdes les décisions à prendre, décalées
dans leur temps d'exercice de leurs mandats, et qui, si elles ne sont
pas annoncées, expliquées et partagées, seront très impopulaires.
Restent,
précisément, la prévention des risques que connaissent des
peuples entiers du fait des inondations, tsunamis, tornades,
volcanisme, tellurisme, risques en partie naturels mais aussi
alourdis par les choix économiques des hommes qui engendrent parfois
des effets désastreux. Car les risques peuvent être dûs non
seulement au déchaînement des forces que la nature libère, ils
proviennent aussi de l'incapacité des producteurs humains à
maîtriser leurs « créatures » en entrainant des ravages
maritimes ou des pertes de contrôle de centrales nucléaires.
Tchernobyl et Fukushima en auront fourni notamment les preuves mais
sans, du reste, que cela ait suffi à convaincre ceux qui se sont
engagés, de toute leur intelligence, dans des aventures
passionnantes sans doute, mais qui les ont mués en apprentis
sorciers.
Etc,
enfin, car tout n'est pas
dit... Il n'y a pas de compromis possible entre ceux pour qui
la survie de l'humanité passe avant tout et ceux qui considèrent
que les pires risques font inévitablement partie de notre histoire.
Pour ceux qui parient sur l'utopie d'un monde plus pacifié, il n'y
pas d'accord pensable avec ceux qui jugent que fait partie de la
condition humaine la violence des guerres auxquelles nous auront
échappé, depuis 1945, en Europe de l'ouest, mais nullement
ailleurs, à l'est du micro-continent, en Yougoslavie, et en
Tchétchénie, en particulier, mais aussi en maints pays d'Asie et
d'Afrique. On est là devant la question philosophique par excellence
qui donne leur sens aux politiques qui s'affrontent : ou bien,
considérant l'histoire, on estime que l'homme est une menace
permanente pour l'homme et un facteur de maux dont on ne peut que
limiter la perversité, ou bien l'on s'engage dans la voie, jamais
empruntée, de la paix en actes et de la justice mise en œuvre. Il
n'y aurait là rien de plus révolutionnaire que ce que les
philosophes du XVIIIe siècle avaient posé dans le champ
des possibles avec les Droits de l'homme et du citoyen,
l'abrogation des privilèges et la devise liberté,
égalité, fraternité.
À
ceci près : faire entrer l'utopie dans la réalité, faute de
pouvoir prolonger l'histoire humaine dans le cadre des données
actuelles, est un pari gigantesque qui, selon les mythes qui ont bâti
notre pensée, est trop lourd et trop douloureux, pour les épaules
d'Atlas portant toute la Terre, et les bras de Sisyphe remontant,
sans fin, un rocher impossible à fixer au sommet de ses épreuves.
Il
nous faut donc porter la planète et rendre possible l'impossible. La
croissance est, à côté, une espérance d'autant plus ridicule
qu'elle est vaine ! Et pourtant, nous n'avons plus le choix. Nous ne
pouvons laisser les générations qui nous suivent s'installer sur un
volcan, sauf à décréter que nous avons fait notre temps sur terre.
Cette pensée peut se concevoir, individu par individu, et le suicide
fait partie des choix qu'un être humain peut effectuer quand il
considère que toute issue heureuse lui est enlevée. Il n'en est pas
de même pour l'ensemble des sept milliards de personnes en qui la
conscience a jailli.
Mieux
vaut une folie rationnelle à la hauteur de notre dignité que le
réalisme meurtrier dans lequel nous nous engluons, discours après
discours, débat après débat, conférence après conférence.
Redonner foi en nous-mêmes, petits usagers de la planète où nous
sommes pour longtemps encore enfermés, est devenu l'obligation des
obligations.
Le
comble du comble est donc que nous voici condamnés à réussir ce
qui jamais n'est advenu : non pas l'installation dans le Paradis
terrestre, mais dans une citoyenneté planétaire effective et
réussie, laquelle suppose un partage et une solidarité...
croissantes.
Le
21 mai 2012
1
- Conférence de presse du 14 décembre 1965.