jeudi 2 septembre 2010

Roms : le retournement de sens

À vouloir confondre Roms et "gens du voyage", pour tenter de dresser la population contre des boucs émissaires tout trouvés (nommés, depuis des siècles, par les gadjé, au hasard des lieux et des humeurs : les nomades, les vagabonds, les mendiants, les Romanichels, les Bohémiens, les Égyptiens, les Gypsies, les Tsiganes, les Manouches, les Gitans, les Rabouins, et j'en passe...), le gouvernement français s'est fait tomber lui-même dans la confusion qu'il avait suscitée !

Ainsi, le ministre de l'Intérieur a-t-il voulu, sciemment, que la délinquance soit associée à la romanité, mais deux obstacles se sont dressés contre cette affirmation : l'obstacle européen (l'Union européenne, autant que le Conseil de l'Europe, ne pouvaient accepter cette généralisation !) et l'obstacle républicain (on ne peut à la fois nier l'existence de minorités puis les discriminer!). Résultat : le représentant du Gouvernement s'est pris au piège de ses propres mots et a osé parler de "délinquance roumaine" en voulant parler de la délinquance de Roms (comme si tous les Roumains étaient des Roms, comme si tous les Roms étaient roumains et comme si tous les Roms étaient délinquants...!)

Une famille rom à Vénissieux, en 2007.
Délinquants par nature ?

De cette confusion, qui commence à se dissiper, on pourra bientôt tirer des enseignements que, sans doute, l'actuel pouvoir politique n'avait pas prévus !

• Les Roms, tels que, de façon globale, ce mot les désigne, dans les instances européennes, ne sont pas indifféremment des Roms ! Ils sont les ressortissants de pays divers : Français de France, étrangers en France, étrangers de l'Union européenne (mais hors de France), étrangers européens (mais hors de l'Union). Ainsi, un Gitan vivant à Perpignan, un Rom venu de Timisoara en France, un Rom resté à Sofia, en Bulgarie, un Rom de Prizren, au Kosovo, font tous partie de la grande famille des Roms, mais pas du tout des mêmes fratries. Ils n'ont pas le même vécu et ne parlent pas tous la même langue, bien qu'ils portent en eux, en commun, un même fond historique et culturel. Les Roms sont un et multiples.

• Le mot Roms ne se disait pas en France pour parler de toutes les populations tsiganes. Il est devenu, en un été, une appellation, certes encore confuse, mais qui inclut déjà, à présent, dans l'opinion, les "gens du voyage" eux-mêmes. Les Manouches s'en offusquent, et on peut comprendre leur farouche volonté de résister à cette uniformisation qui nie des spécificités essentielles au sein des Tsiganes, mais l'appellation européenne l'emporte, désormais, sur l'appellation strictement française ("gens du voyage") et, pour ma part, je ne puis le regretter. À une condition, cependant : que, précisément, l'unité des Roms ne soit pas pensée comme une uniformisation. Les Roms de France sont Manouches ou Gitans et il doivent pouvoir se nommer comme bon leur semble.

• Le refus de la France de reconnaître les minorités aura été mis à mal. Il y a des siècles qu'il n' y a pas que des Français en France. Y compris, chez les habitants de France de nationalité française, se juxtaposent, se mêlent et s'expriment des minorités. Ce que les Corses, les Basques, les Bretons et les Occitans n'ont pas réussi à obtenir : la reconnaissance de leur spécificité dans la République, les Roms seraient-ils en train de l'obtenir ? En les discriminant négativement, on a déclenché le retour du boomerang ! Comme les Basques qui ne sont pas que français mais qui sont tous européens, les Roms, qui sont le plus souvent européens, peuvent être aussi des Français à part entière. La boucle est bouclée : l'européanité veut la diversité et les Roms, la plus vaste minorité culturelle en Europe, la vivent, en France comme ailleurs...


Députée européenne romni.

Ces trois nuances sont essentielles à la connaissance du peuple rom et à celle de l'Europe :
• les Roms sont européens d'abord, et français, et roumains, et tchèques, dans l'Union, mais aussi européens et macédoniens, et turcs, et serbes, et croates, et... suisses, dans l'Europe extérieure aux 27 États-membres ! Là où il y a des Roms, il y a de l'Europe.
• les Roms ont la culture du voyage mais ne sont pas des "gens du voyage" (on ne dira jamais assez combien cette expression, sans singulier et sans féminin, est, en soi, discriminatoire, fausse, et obsolète à présent). Le voyage est une aptitude à se déplacer, à vivre de façon mobile, à ne pas se fixer définitivement, c'est un rapport à l'espace, une dimension de la citoyenneté mondiale, une qualité qui permet de "vivre autrement y compris la sédentarité", une condition de la préservation de l'unité dans la diversité. Les Roms sont voyageurs mais ils ne sont pas des Voyageurs.
• les Roms sont une ethnie, c'est-à-dire une communauté culturelle, un peuple sans État, c'est-à-dire sans volonté de pouvoir sur les autres peuples, une nation sans territoire c'est-à-dire sans revendication d'un sol, d'un romanoland. Ethnie, peuple, nation, trois désignations qui ne font question que pour ceux qui confondent ethnie et race, peuple et population, nation et État-nation. Les Roms qui interpellent, sans théorie ni discours, notre vocabulaire politique (c'est aussi l'une des causes de la réprobation qu'ils engendrent) manifestent la possibilité de vivre, en Europe, une européanité toute particulière : une culture particulière (l'ethnie), une unité particulière (le peuple), une communauté particulière (la nation). Ils dérangent nos concepts mais les fertilisent.

Les tensions de l'été 2010, en France, vis à vis des Roms, auront donc eu cet effet inattendu de poser des questions essentielles qui vont interdire, probablement, tout retour en arrière. Certes, les Roms auront encore souffert et plus encore les Roms en France que les Roms de France, mais ils auront été, comme souvent, les révélateurs des contradictions où les politologues restent empêtrés.

Nous aurons assisté à un retournement de sens : de péjoratif qu'il était, le mot rom est apparu comme le symbole du refus de la discrimination, de l'exigence d'Europe et de la reconnaissance de la diversité culturelle. Rom est devenu, en même temps, un vocable plus acceptable pour les Roms-qui-ne-veulent-pas-se-dire-Roms, ces Français qui craignent qu'on leur conteste leur citoyenneté française, -on les comprend, ils mis tant de temps à s'affirmer, et encore reste-t-il beaucoup à faire !-.

Un long, fructueux débat, évidemment inachevé, s'est engagé. Il importe surtout de ne pas l'interrompre, et d'y associer davantage les Roms eux-mêmes qui sont concernés directement et qui interrogent toute la société européenne.

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Sollicitude.

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