samedi 22 mars 2008

Le cumul de mandat, un déni démocratique




"Je suis contre tout cumul, y compris un simple mandat d'adjoint ou même de conseiller municipal. Cette exception française est ridicule, et en plus elle crée l'abstention". Pierre Mazeaud (Président du Conseil Constitutionnel, jusqu'en février 2007).

Savez-vous que 81 % des sénateurs et 85% des députés français cumulent leur état de parlementaire avec un autre mandat électif? La France est le seul grand pays développé à connaître une telle situation. Ailleurs en Europe, le cumul est soit interdit juridiquement, soit découragé financièrement, soit tout simplement inexistant en pratique. Or, cette situation aggrave le déséquilibre entre pouvoirs au détriment du Législatif et elle nourrit la désaffection du citoyen pour la chose politique.

Les 36 783 nouveaux conseils municipaux viennent d'élire leurs maires; les nouveaux Conseils Généraux (sur 96) ont élus leurs Présidents. Bientôt seront élus les exécutifs des 14 Communautés urbaines, des 169 Communautés d'agglomération et des 2400 Communautés de Communes. Nombre d'entre ces élus, chefs de collectivités territoriales, qu'on peut alors qualifier de "cumulards" font partie des 577 députés (dont 555 en métropole) ou des 331 sénateurs (qui seront 343 en septembre 2008 et 348 en 2011) . Certains siègent dans l'une des 22 régions, voire les président (6 députés et 2 sénateurs sur les 22 Présidents!).

Seulement 68 députés sur 577 et, également, 68 sénateurs sur 331 s'en tiennent à leur mandat national!
En 2007, 269 députés et 120 sénateurs étaient maires.
D'une République à l'autre, et dépit des derniers textes parus, le cumul n'a cessé de croître (35,7% sous la IIIe république, 42% sous la IVe république, 85% sous la Ve république).
En Europe, le taux de cumul est beaucoup plus faible : 16% en Italie, 15% en Espagne, 13% en Grande Bretagne, 10% en Allemagne. (1)

S'ajoutent à ces fonctions, locales ou nationales cumulées, des appartenances :
- aux 12 149 syndicats à vocation unique (SIVU), créés par la loi du 22 mars 1890, (74 % de tous les syndicats d'élus).
- aux 1501 (fin 2006) syndicats à vocation multiple (SIVOM), créés par l’ordonnance du 5 janvier 1959, (soit 9,2 % de l’ensemble des syndicats)
- aux 2 749 (en novembre 2006) syndicats mixtes , créés par le décret du 20 mai 1955, qui permettent l’association de communes avec des départements, des régions ou des établissements publics, à la différence des SIVU ou SIVOM n’associant que des communes entre elles, (soit 16,8 %, sur un total de 16 399 syndicats -SIVU, SIVOM et mixtes-).

Il y aurait là de quoi confier des responsabilités effectives à bien des élus mais, en vérité, le pouvoir appelant le pouvoir, nombre des élus des grands exécutifs cumulent! Le phénomène est très français.



Il existe, certes, de nombreuses limitations au cumul de mandat, intervenues depuis le début du siècle, mais des limitations relatives qui sont loin encore de conduire vers le mandat unique! Ainsi lit-on dans la loi :

"Les principales règles sur la limitation du cumul des mandats électoraux et des fonctions électives ont été posées par la loi organique n° 2000-294 du 5 avril 2000 relative aux incompatibilités entre mandats électoraux (qui traite de la situation des parlementaires nationaux) et par la loi n° 2000-295 du 5 avril 2000 relative à la limitation du cumul des mandats électoraux et des fonctions électives et à leurs conditions d'exercice (qui a trait aux incompatibilités applicables aux élus locaux, aux représentants au Parlement européen et aux incompatibilités entre fonctions exécutives locales).

Outre que le cumul des mandats de député et de sénateur est interdit (article L.O. 137 du code électoral), un député ou un sénateur ne peut plus cumuler son mandat parlementaire avec celui de représentant au Parlement européen (article L. O. 137-1). Sauf cas de contentieux, ces incompatibilités sont automatiques dans la mesure où elles prennent effet dès l'élection qui place l'élu en situation de cumul de mandat, sans délai d'option.

Est également incompatible avec l'exercice d'un mandat parlementaire l'exercice de plus d'un mandat local parmi les mandats de conseiller régional, conseiller à l'assemblée de Corse, conseiller général, conseiller de Paris, conseiller municipal d'une commune d'au moins de 3 500 habitants (article L.O. 141). S'agissant des modalités de cessation des incompatibilités, le régime applicable aux députés et aux sénateurs se caractérise par la liberté de choix et, à défaut d'option, par la déchéance du mandat le plus récent. Un parlementaire qui acquiert un mandat le plaçant en situation d'incompatibilité dispose d'un délai de trente jours à compter de la date de l'élection qui l'a placé dans cette situation ou, en cas de contestation, de la date à laquelle le jugement confirmant cette élection est devenu définitif, pour démissionner du mandat de son choix. A défaut d'option, son mandat acquis le plus récemment prend fin de plein droit.

Un parlementaire national peut toujours exercer une fonction exécutive locale parmi les fonctions de président de conseil régional, président du conseil exécutif de Corse, président de conseil général, maire ou maire d'arrondissement.

Un représentant au Parlement européen, outre qu'il ne peut pas être dans le même temps titulaire d'un mandat parlementaire national, ne peut exercer plus d'un mandat électoral parmi les mandats de conseiller régional, conseiller à l'Assemblée de Corse, conseiller général, conseiller de Paris ou conseiller municipal d'une commune d'au moins 3 500 habitants. Un élu local ne peut, quant à lui, être titulaire de plus de deux mandats électoraux parmi les mandats de conseiller régional, de conseiller à l'Assemblée de Corse, de conseiller général, de conseiller de Paris, de conseiller municipal (quelle que soit la taille de la commune), et de conseiller d'arrondissement.

Les fonctions de président de conseil régional, président du conseil exécutif de Corse, président de conseil général, maire (quelle que soit la taille de la commune), maire d'arrondissement sont strictement incompatibles entre elles."

Il est vrai qu'il est d'autres incompatibilités :

avec des fonctions publiques non électives : membre du Conseil constitutionnel, du Conseil économique et social, du Conseil supérieur de la magistrature, du Conseil supérieur de l’audiovisuel, d’un conseil de gouvernement d’une collectivité d’outre-mer, magistrat, fonctionnaire autre que de l’enseignement supérieur;
avec des activités professionnelles qui pourraient engendrer des conflits d’intérêts (direction d’entreprises nationales, d’établissements publics nationaux, d’entreprises travaillant avec l’État ou les collectivités publiques, avocat plaidant contre l’État ou la puissance publique).

Cependant, il existe en France une logique du cumul qui procure aux élus un ensemble de ressources renforçant leur capital politique. L’acquisition d’un autre mandat permet d’obtenir généralement un meilleur statut social. Elle est l'un des indicateurs de la réussite de l’élu et garantit une accumulation de rémunérations matérielles (cumul des indemnités) et d’avantages symboliques. La logique du cumul repose sur quelques affirmations véridiques ou non, mais auxquelles les élus sont sensibles :

. Le cumul accroît la popularité. Il existe une prime au cumulard dans toutes élections. (aux législatives, on note que généralement 80% des candidats et plus de 90% des élus disposent déjà d’un mandat). Cette prime s’explique par la nature majoritaire du scrutin.

. Le cumul permet de maîtriser le marché politique. Le cumulard dispose d’une double légitimité surtout s’il détient un mandat local et un autre national. De plus et en absence de véritable statut de l’élu, la multiplication des mandats offre une « sécurité » professionnelle. Utilisation stratégique du cumul.

. Le cumul articule échelon local et national. Un avantage fonctionnel évident. Une ambivalence bénéfique. L’utilisation d’un mandat pour assurer le bilan de l’autre.

La conception française de l’autorité n'est pas étrangère à ces dérives catastrophiques! Selon la conception française de l’autorité, le Chef de l’Etat est un monarque. Oui, le pouvoir en France reste d’essence monarchique : peu de pays rassemblent autant de pouvoir entre les mains d’un seul : président de région, préfet, maire...

Ce système centralisé est en grande partie dysfonctionnel et a conduit au développement parallèle des réseaux qui assouplissent la gestion du pouvoir. La conjonction de ces deux éléments est un caractéristique de l’autorité en France : détention du pouvoir et appartenance à un ou plusieurs réseaux qui accroît l’influence et le contrôle.

De la sorte, le cumulard développe son autorité dans trois dimensions : verticalement (position de pouvoir dominante dans un champ), horizontalement (occupation de plusieurs points stratégiques dans des champs), temporellement ( le cumul renforce la longévité politique). (2)

Les élus dits de gauche ne sont pas plus que d'autres insensibles aux sirènes des pouvoirs. Il leur en faut plusieurs. les plus hostiles, par principe au cumul finissent par y céder, comme on le voit avec le député-maire Noël Mamère et, à présent, la sénatrice-maire : Dominique Voynet.

Inutile de se gargariser avec des discours démocratiques! Sans un recul très significatif des cumuls, le pouvoir politique demeurera entre les mains des élites professionnalisées, trop intéressées par les avantages de ces situations pour vouloir en changer. La démocratie véritable attendra. Stop au cumul de mandats!

(1) www.lemonde.fr/web/infog/0,47-0@2-3224,54-870233,0.html
(2) http://www.re-so.net/article.php3?id_article=565


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Le 3 octobre 2013.
Et maintenant, exprimez-vous, si vous le voulez.
Jean-Pierre Dacheux

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