« Personne
ne proposera la suppression de la fonction de Président de la
République ou tout au moins sa dépossession de tout pouvoir hors
celui de représentation. Seule une crise nous l'imposera... »
Thomas Legrand
(éditorialiste à France-Inter)
Élire le Président
de la République au suffrage universel direct est devenu une
addiction politique. Les citoyens, actuellement, ne sauraient s'en
priver. C'est le scrutin le plus fréquenté, le plus structurant, le
plus déterminant : la concentration du pouvoir entre les mains
du Chef de l'État est la caractéristique principale du régime
néo-monarchiste qui s'est imposé en France depuis 1965.
Charles De Gaulle a
voulu, dès 1946, en le revendiquant au cours de son célèbre
discours de Bayeux, que l'exécutif domine le législatif de façon
totale et irréversible. Après sa traversée du désert et son repli
à Colombey-les-Deux-Églises, une fois revenu au pouvoir en 1958, il
a préparé méthodiquement l'institutionnalisation de sa légitimité.
Car il n'a jamais été
douteux, pour « le Général », qu'il avait, par deux
fois, sauvé la France (en 1944, avec les Alliés, au terme de la
seconde guerre mondiale, en 1962, en mettant fin à la guerre
d'Algérie). Le référendum modifiant la Constitution de 1958 n'a
donc pas tardé : dès lors, le Président de la République
française serait élu au suffrage universel. Élu pour sept ans en
1958, par le Parlement, De Gaulle pensait être élu facilement par
tous les Français, en 1965, mais le résultat, limitant son succès
à 55% des suffrages exprimés, avait constitué le premier
avertissement sur le risque de voir le régime gaulliste, incapable
de se maintenir au niveau escompté, se banaliser puis se pervertir.
On a trop oublié que
Charles De Gaulle n'est pas allé au bout de son mandat (1965-1972)
et a démissionné, en 1969, après son premier et unique échec
électoral référendaire. Il a, ainsi, sauvé son image historique
en respectant sa propre conception du pouvoir fondé sur un accord
direct entre le peuple et le Chef de l'État. Les successeurs du
Général-Président n'ont pas eu la même pudeur, la même
interprétation de la Constitution et n'ont pas quitté l'Élysée
quand ils ont été désavoué par les citoyens français. François
Mitterrand a même inventé « la cohabitation » en
(1986-1988 et 1993-1995) et Jacques Chirac l'a suivi (1997-2002).
Le raccourcissement
de la durée du mandat, passée du sept à cinq ans, n'a pas
simplifié la vie politique française. Ce qui est en cause (mettre
un terme, enfin, à l'exception gaullienne) n'a pu s'effectuer et,
contrairement à ce qu'est l'organisation des pouvoirs publics dans
la totalité des démocraties européennes, la Constitution de 1958,
mainte fois modifiée mais jamais sur l'essentiel, continue de priver
le Parlement de son rôle principal : désigner ceux qui
gouvernent et contrôler la politique mise en œuvre par l'exécutif.
L'autorité du Gouvernement français non seulement n'y gagne rien
mais, après les désastreux mandats de Sarkozy et de Hollande, elle
s'est affaissée, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de notre
pays. La 5ème République a trouvé ses limites.
Comment mettre fin à
ce qui obstinément perdure ? Comment imposer aux partis,
(au-dessus desquels De gaulle prétendait se situer ?) de cesser de
monopoliser la représentation nationale au point d'enfermer le pays
dans un bipartisme ou des coalitions éphémères (dominées, à
droite, par l'UNR, devenue RPR, devenu UMP, à droite ou par le Parti
socialiste, à gauche) ? À ce jeu politique pervers, il n'est
que des perdants. Le mode de scrutin uninominal à deux tours, une
spécialité électorale hexagonale, a installé un dualisme qui
personnalise la politique. L'élection présidentielle concentre tous
les travers de ce système électoral où le choix d'une vedette
passe avant le choix d'une politique.
De Gaulle incarnait,
lui, une politique, critiquable, à bien des égards très dangereuse
(en particulier sur le plan du nucléaire civil et molitaire), mais
il dirigeait la France selon ses idées, qu'il ne dissimulait pas.
Plus besoin, aujourd'hui, de députés-godillots pour marcher sur les
pas et au pas du Chef de l'État : la concommittence de
l'élection présidentielle et des élections législatives, qui se
suivent de peu, fait dépendre la majorité parlementaire de la
majorité présidentielle. De godillots qu'ils étaient, voici les
Parlementaires devenus de simples exécutants dont l'initiative se
réduit à accompagner, si possible intelligemment, la volonté d'un
Gouvernement lui-même soumis au Président. Ce que peuvent les
Parlements des États partenaires européens, nos voisins, le
Parlement français ne le peut pas. La forte et stable Chancelière
allemande, élue par le Parlement de son pays à la tête de
coalitions, n'est pas sous les ordres du Président et n'est pas
issue d'une majorité électorale binaire. Elle n'en gouverne pas
moins, et avec quelle autorité !
Le pire, dans nos
institutions (et il aura fallu bien du temps avant de le
reconnaître!), est que le second tour de l'élection présidentielle
se limite à deux candidats, ceux qui sont parvenus en tête au
premier tour ! On pourrait imaginer que, pour garantir à l'élu
une solide majorité, on accepte, par exemple, que seuls puissent
être candidats les trois ou (très rarement) les quatre candidats
ayant atteint un score supérieur à 18% des votants. On pourrait
aussi envisager que tel candidat arrivé en seconde position (voire
en première!) se retire au profit d'un candidat placé en troisième
position. Dans ces hypothèses, Lionel Jospin eut pu être élu en
2002. Que, par suite du délitement de la société politique, soit
survenue l'obligation légale d'opposer Jean-Marie Le Pen au seul
Jacques Chirac (dans ces conditions élu, en dépit de son score
calamiteux!) aura marqué la fin d'une modalité de scrutin qui a
fait son temps mais qu'on ne sait encore comment l'abandonner.
Saurons-nous, d'ici
2017, rectifier une règle du jeu électoral non seulement faussée
mais, à présent, périlleuse pour la démocratie elle-même ?
Les concepts totalement intégrés à notre pensée ( et inscrits
sous les mots « droite » et « gauche » ou
« démocratie républicaine ») ont beaucoup souffert et
menacent de perdre encore de leur substance résiduelle s'ils ne sont
bientôt profondément rénovés.
Le Président de la
République n'a plus, aujourd'hui, ni l'aura ni la légitimité autre
que celles qu'imposent les institutions. Elles-mêmes sont devenues
fragiles dans un contexte européen qui allie le meilleur, (le
nécessaire élargissement de la sphère de responsabilité débordant
les États-nations,) et le pire, (la domination du politique par
l'économique). Pour sortir de l'impasse de la présidentialisation,
il est plusieurs voies mais aucune n'est sans danger.
La première est
celle de la continuation et de l'élargissement de la grêve des
urnes que manifeste une abstention battant déjà tous les records
(et son extension probable à l'élection présidentielle). Un tel
rejet citoyen ne peut déboucher que sur une issue imprévisible :
soit le désintérêt (et la soumission à l'élitocratie ou
l'oligarchie), soit la dictature de l'opinion ( mais orientée par
les sondages et médiatisations), soit le refus populaire
(s'exprimant par les voies de manifestations, de pétitions ou
d'événements massifs inattendus).
La seconde est celle
de la réforme institutionnelle par la voie d'une Constituante
préparant un texte majeur à soumettre au pays par référendum.
La troisième est
celle de l'impasse dans laquelle nous sommes entrés !
L'impuissance et les contradictions des gouvernements successifs,
annonçant une politique et en faisant une autre, cherchant
désespérément une croissance qui n'est plus au rendez-vous,
poussant au travail des citoyens de plus en plus privés d'emploi,
additionnant les professions de foi européanistes et nationalistes,
recherchant des réformes qui n'en sont pas si ce n'est pour
satisfaire les possédants..., tout conduit à l'immobilisme et à
l'incapacité de penser autrement. La société politique s'englue et
s'avère incapable de faire mieux que de continuer à cheminer dans
l'échec.
Il en est de la
politique institutionnelle comme de la lutte contre le changement
climatique. On sait à présent quelle est la responsabilité
humaine. On sait même où agir. Mais on ne sait comment commencer à
agir car ce serait remettre en cause des décennies de pratiques
industrielles et commerciales qui dominent nos sociétés. La
« déprésidentialisation » est, de même, parmi les
urgences politiques, une nécessité qu'en France, nous ne savons
aborder, car le mythe du sauveur de la nation nous imbibe et nous
paralyse. Le mythe présidentiel bouche l'horizon politique. Nous
savons où ne pas aller mais sans savoir où aller !
« Attendons
donc l'affrontement et le tumulte » écrit, à la fin de
son livre, Thomas Legrand.1
« Écosocialisme ou barbarie »
interroge Serge Latouche2
non sans annoncer, à son tour, que « nous nous
orientons très probablement vers un chaos incroyable... ».
Mieux vaudrait, plus positivement, une prise de conscience
collective à laquelle chaque citoyen pourrait travailler, mais nul
n'est maître des évolutions complexes en cette période de mutation
historique, lente autant que radicale.
1 - Thomas
Legrand, Arrêtons d'élire des présidents,
Paris, éditions Stock, novembre 2014, p. 130.
2 - Serge
Latouche, Renverser nos manières de penser, Paris,
éditions Mille-et-une- nuits, novembre
2014, p. 43.
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Le 3 octobre 2013.
Et maintenant, exprimez-vous, si vous le voulez.
Jean-Pierre Dacheux