À l'heure où j'écris ces
lignes, je m'étonne de mon intérêt pour un scrutin qui n'en a
pas !
1 - Des attentes vaines.
Je n'attends rien d'une élection
qui ne peut qu'installer aux commandes d'institutions obsolètes -les
départements- des élus qui n'ont, dans leur majorité, nullement le
service public à l'esprit, mais la bonne marche du système dans
lequel ils sont plongés, dont ils profitent et qu'ils soutiennent
d'autant plus.
Et pourtant ces départements
sont restés l'outil organisationnel qui permet de financer des
services sociaux indispensables à l'équilibre de la société. Du
RSA à l'APA, des handicapés et des chômeurs jusqu'aux personnes
très âgées, il y a là des urgences et des nécessités qui
exigent des ressources sans lesquelles des concitoyens sont livrés à
la misère. Comment ne pas attendre que cela perdure !
Mais cela a-t-il, in fine,
à voir avec ces élections truquées faites pour installer et
notabiliser des personnalités locales qui devront « renvoyer
l'ascenseur » aux partis qui les ont implantés là ?
Je n'attends rien d'assemblées
départementales dont les directions seront partagées entre les
« partis gouvernementaux », ceux-là mêmes qui ont
plongé la France dans la défiance et l'impuissance et qui vont
regarder siéger des opposants qui n'ont d'autre but que de
promouvoir des politiques nationalistes et anti-européennes. Quant
aux rescapés (écologistes ou de la gauche résiduelle) qui
siégeront encore, ils ne pourront qu'émettre de vaines
protestations.
Je n'attends de toute façon
rien, et depuis longtemps, de tout mode de scrutin majoritaire à
deux tours, par essence antidémocratique quoi que disent les
politologues bien en cours.
Que va-t-il alors se passer,
demain soir et ensuite, une fois passée la « vague bleue »
teintée de brun ? Que retirer de cet épisode politique
désastreux ?
2 – Des
prévisions à peine risquées.
-
L'abstention va croître encore,
en changeant un peu de contenu. Des électeurs vont venir à la
rescousse pour tenter de limiter le désastre. D'autres vont se
détourner d'un vote joué d'avance et qui ne leur offre pas la
possibilité de s'exprimer comme ils le désireraient. Les
non-votants constitueront bien, même si les politiciens ne veulent
pas en tenir compte, le « premier parti de France ».
-
Le vote blanc sera un peu plus utilisé.
Les électeurs qui sont informés et veulent être présents dans la
vie citoyenne se présenteront dans les bureaux de vote et diront
leur incapacité de choisir en utilisant un bulletin vierge ou une
enveloppe vide. La
promotion de cette possibilité d'expression reste d'autant plus à
faire que, en France, à la différence d'autres pays, ne veut pas
encore considérer ces votes blancs comme des suffrages exprimés.
-
Le parti socialiste va perdre la direction de plusieurs
dizaines de départements. Il
ne doit s'en prendre qu'à lui-même, à l'immense déception
éprouvée par ceux qui avaient placés leurs espoirs en un président
de la République « de gauche ». Et, surtout, qu'on ne
s'en prenne pas à la division des partis de la majorité (comme si
PCF, PG, EELV et autres ne devaient qu'être des forces d'appoint
dans un système à jamais bi-polarisé). Le
PS, parti de centre droit désormais, ne peut plus incarner la gauche
et en être le pôle central.
- La « droite
républicaine » (comprendre les partis libéraux et ultras
libéraux) va remporter un succès historique
en ce sens que, pour ce premier scrutin départemental à échelle
nationale, elle va couvrir de son influence plus des deux tiers du
pays avec l'espoir de rééditer ce succès aux prochaines élections
régionales de 2015 et législatives accolées aux présidentielles
en 2017. Elle va,
pourtant, tôt ou tard, achopper sur la tentation de certains de ses
membres de faire alliance, de fait, avec les courants nationalistes.
- Le Front national
s'installe partout sans prendre, sauf rares exceptions, la direction
de départements. Le succès
incontestable de l'extrême droite est, du reste, dû à des causes
diverses et parfois contradictoires : la colère contre les
politiques anti-sociales dites UMPS, la peur du terrorisme imputé à
des islamistes installés en France par l'immigration, le rejet d'une
Europe considérée comme hostile aux politiques nationales
indépendantes. Des sentiments issus de la droite et de la gauche
française se confondent et inspirent, provisoirement, un néo
« national-socialisme » qui étend son influence dans les
milieux populaires désespérés.
- Les écologistes, non
sans appuis là où ils étaient candidats, sont sous représentés.
Ils se
trouvent acculés à choisir entre une autonomie réelle ou un retour
dans une majorité présidentielle qui ne veut que leurs votes. Ce
dilemme devra être tranché pour les élections régionales qui leur
sont plus favorables. Ou
bien ils acceptent les risques de proposer une voie nouvelle (qui
ne les mettra pas davantage en marge qu'ils ne l'ont été depuis
leur création) ou bien
ils seront associés à la politique antiécologiste du gouvernement
(et subiront la même déconfiture).
- Le Front de gauche
résiste péniblement mais n'est pas anéanti. En
son sein, le PCF s'évertue, avec quelques succès modestes, à
conserver ses derniers bastions. Le Parti de gauche navigue entre
l'écosocialisme et l'espoir de ressusciter d'une gauche réelle. Les
contradictions entre pro et anti-nucléaires, pro et
anti-productivistes, entre partisans et adversaires de la
décroissance ne donnent pas à penser qu'il y a un avenir durable
pour ce Front de gauche.
- Restent les tentatives
citoyennes non inféodées aux injonctions des partis
que révèlent certaines confrontations électorales inattendues. On
trouve en région grenobloise ou dans certains milieux ruraux ces
candidatures isolées qui ont résisté à la mécanique broyeuse du
scrutin majoritaire et de son barrage en-deça de 12,5% des inscrits.
On trouve, dans ces cantons, des germes dont on peut espérer qu'ils
vont produire des résultats et surtout des disséminations
heureuses. La prise en
main de la politique par les citoyens eux-mêmes n'en est, là, qu'à
ses premières manifestations.
Serait-ce au creux de la vague que se situe l'énergie d'une marée politique prête à déferler ?
3 – Des enseignements déjà à retirer :
- Les forts sont faibles. Ni
le PS, ni l'UMP, ni le FN ne sont en réalité dominants. Les
rapports de force réels seront mieux révélés par les élections
régionales, à condition qu'on observe la réalité électorale du
pays en tenant compte de toutes ses composantes dont font partie, à
présent, les abstentionnistes et les votes blancs (et non nuls!).
- La droite, sous toutes ses formes, est un conservatisme
incapable de faire face à des idées neuves. C'est une
confiscation de moyens humains, intellectuels et techniques
considérables pour maintenir, coûte que coûte le pouvoir des
détenteurs du capital. Elle est par essence antidémocratique parce
qu'elle fait passer les intérêts des élites avant les besoins de
tous... Cette évidence, fort ancienne, est de nouveau sous nos yeux.
Qui se vante d'être à droite (auparavant on n'osait plus) est soit
inconscient soit cynique. Il faudra donner un nouveau nom à ce
puissant courant de pensée qui a une réalité prégnante mais qui
n'a plus de position, de topologie, dans le champ politique. La
place, dans l'enceinte parlementaire n'est plus à même de rendre
compte de l'emprise idéologique des dominants.
- La gauche disparaît dès qu'elle n'est plus que l'opposition,
du reste formelle, à la droite ! L'abandon de ce qui la
caractérisait strictement (le soutien du monde du travail face au
capitalisme, des salariés face aux entreprises) l'a privée de sa
substance intellectuelle. La priorité de l'État ne la caractérise
plus non plus, dès lors que l'État est devenu soutien et serviteur
des entreprises privées. Ce n'était pas, du reste, une valeur sûre
si l'on considère les malheurs engendrés par les centralisations
abusives ou pire : la dictature du prolétariat. Quand il n'y a
plus de gauche, dès qu'elle est conquise par l'idéologie libérale,
il n'y a plus non plus de droite, stricto sensu. Les répartitions
des forces idéologiques ne s'expriment plus par des mots trop datés,
appartenant à des contextes historiques dépassés. Mais ce qui
demeure c'est, tout comme hier, une « lutte des classes »,
certes actualisée, mais qui oppose toujours les intérêts entre
dominants et dominés, patrons et salariés, riches et pauvres,
exploiteurs et exploités : ce que la différenciation
gauche/droite n'exprime plus.
- L'écologie n'influence pas fondamentalement la vie politique.
Pourtant, dans les années à venir elle sera déterminante. Non
pas par les partis écologistes qui n'échappent pas au système,
mais à cause des questions écologistes qui envahissent, chaque jour
davantage, nos vies quotidiennes (réchauffement climatique,
pollutions, énergies à renouveler, déchets nucléaires...). Vont
surgir des événements toujours plus révélateurs de la
responsabilité majeure de l'homme et de son mode de vie sur la
détérioration spectaculaire de notre environnement. Au-delà des
consultations électorales, l'opinion publique va progressivement
découvrir la vérité cachée. Cette prise de conscience retardée,
(comme l'a été, par la volonté d'États et d'entreprises
pollueuses, la reconnaissance de la responsabilité humaine dans
l'accélération du réchauffement planétaire), débouchera sur la
mise en cause radicale du système économico-politique. Ce n'est
qu'une question de temps.
- « République » devient un concept qui souffre
d'ambiguïtés. Aux USA, le parti républicain est un parti
conservateur, libéral, autoritaire. C'est dit-on, l'intention de
Nicolas Sarkozy de transformer l'UMP en parti « républicain ».
Pauvre République ! La res publica, la chose publique,
c'est, tout à la fois, l'égalité des citoyens, l'abandon de toute
monarchie ou autocratie, la priorité à l'intérêt général, le
respect de la volonté populaire, le développement et le
renforcement des services publics, la laïcité conçue comme la non
intervention de l'État dans les choix religieux ou non religieux.
C'est aussi la devise républicaine : « liberté, égalité,
fraternité », trop oubliée, qui reste à mettre en œuvre
avec toujours plus de vigilance, de conviction et de patience.
Démocratie et République sont indissociables. Le contenu même de
la démocratie est fourni par la République et quand la démocratie
se porte mal -c'est le cas actuellement-, la République, à son
tour, souffre et ses valeurs sont négligées voire déformées. Ceux
qui s'affirment bruyamment républicains ne sont pas les amis de la
République quand ils veulent toujours plus d'élites, de pouvoir
centralisé, de repli identitaire, de privatisations... Défendre la
République, c'est refuser qu'on en déforme le visage en la
travestissant en marionnette politicienne, en lui faisant dire autre
chose que ce que dit le sens et l'histoire du mot qu'elle magnifie.
- Le dégoût de la politique est fondé : c'est le résultat
d'une pratique inexcusable. Tout se passe comme si avait été
voulu, préparé, organisé la perte d'intérêt pour la chose
publique, pour la République. Les citoyens ont été placé en état
de résignation, d'impuissance, de découragement. Ils ont subi un
formatage mental qui utilise toutes les ressources et tous les arts
du conditionnement commercial. Publicité et propagande obéissent
aux mêmes techniques de lavage de cerveaux. Plus encore, il est
devenu possible de modifier les jugements et les préférences des
citoyens à leur insu, de façon subliminale. Ce pouvoir sur les
esprits est la plus grande menace pesant sur la démocratie car il
rend inopérante l'expression de la volonté populaire. C'est
pourquoi l'action politique est de plus en plus culturelle : il
ne s'agit plus d'abord de choisir ses représentants. Préalablement,
il s'agit de savoir quelle société nous voulons et comment y vivre
en paix et en harmonie. La politique est morte, vive la politique !
Retrouver le goût de la politique n'est possible que si l'on
redevient maître de son destin, de ses choix, de sa pensée.
Telles sont, à cette veille d'une élection non fondamentale mais
éclairante, l'observation et l'analyse que j'effectue. Elle ne me
conduit pas vers l'abandon mais, je l'espère, comme beaucoup
d'autres Français, vers la lucidité. Sans cette lucidité, rien de
neuf ne peut surgir.
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Le 3 octobre 2013.
Et maintenant, exprimez-vous, si vous le voulez.
Jean-Pierre Dacheux