Photo le Midi Libre
Pierre Rhabi est un
philosophe mais il n'est pas un doctrinaire. C'est un praticien.
Depuis sa ferme de Monchamp, il incarne ce qu'il pense dans et sur un
territoire rocailleux depuis bientôt cinquante ans. L'agroécologie
qu'il préconise, il la met en action. Il est radicalement
« non-capitaliste ». L'avidité et l'insatiabilité lui
semblent des travers dont souffre l'humanité tout entière.
« Toujours plus ne génère pas de la joie » dit-il.
La décroissance dont
parle Rhabi n'a rien de subversif, c'est une lucidité. La planète
est limitée et le « système duel » (repus/affamés) est
une guerre économique qui ne peut déboucher que sur la guerre tout
court. Ce qui est subversif, ce n'est pas l'intention des
écoagriculteurs, c'est la réalité qui, peu à peu, lentement,
irréversiblement, bouleverse les affirmations péremptoires des
maîtres du pouvoir, un pouvoir qui ne mord plus sur le quotidien des
peuples.
On a toujours présenté
la révolution comme une contestation violente et comme un
renversement des gouvernements par la force. Pierre Rhabi ne se situe
pas parmi les tenants de cette révolution-là qui connaît soit
l'échec de ses moyens, soit, pire, l'échec de ses objectifs quand
celui qui renverse les tyrans devient un tyran. « La colère ne
doit pas blesser les autres » affirme encore Pierre Rhabi. La
prise de conscience de notre inconscience est seule à même de
retourner la logique qui nous détruit.
La conquête est
illusoire. Se penser humain n'est pas s'investir dans un territoire à
dominer, à occuper et à défendre. La concentration des avoirs
entre les mains de 1300 milliardaires engendre le malheur. Comme
depuis des siècles et des siècles, l'injustice produit des conflits
meurtriers, de plus en plus meurtriers. C'est pourquoi l'écologie
mise en œuvre tout de suite, sans attendre l'autorisation de
quiconque est la seule voie de changement ouverte.
Au
primat absolu de l'économie, Pierre Rhabi oppose le réalisme de la
bio-économie et se réfère à Nicholas Georgescu-Roegen (1906-1994)
qui n'a cessé d'annoncer que la croissance indéfinie et sans
contenu ne conduisait qu'à des excès temporaires, ravageurs à
échelle historique. Cette évidence que de nombreux penseurs ont
décrite dans de multiples livres est rejetée par la plupart des
politiques comme un rejet du progrès humain.
Les
techniques n'ont pas d'autonomie de développement. Elles sont
voulues et déployées par des cerveaux humains. Les technologies
mises au service du vivre ensemble sur une même terre peuvent
s'avérer positives ou pas. Pierre Rhabi propose « une
posture », un art de vivre, une vigilance éthique (« on
peut faire manger bio et exploiter son prochain » dit-il). Son
approche du monde sans compétitivité mais avec créativité est
sans agressivité mais exige une coopération permanente à laquelle
nous ne sommes pas éduqués.
C'est
une manière de révolution culturelle non violente à laquelle nous
sommes invités par tous les « colibris » du monde, à
l'instar de ces oiseaux si nombreux, si petits, si actifs, si
présents et si efficaces. Plus encore que la lutte des classes qui
oppose victimes et exploiteurs, le recours immédiat à des moyens
adaptés aux fins auxquelles aspirent les humains peut inverser la
logique mortelle à laquelle nous souscrivons à regret mais par
résignation.
Pierre
Rhabi est un utopiste concret.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Le 3 octobre 2013.
Et maintenant, exprimez-vous, si vous le voulez.
Jean-Pierre Dacheux