Edgar Morin, à 89 ans, écrit un nouveau livre qui interpelle fortement. Il ose titrer La voie pour l'avenir de l'humanité ! Le socio-philosophe est trop avisé pour croire qu'il peut indiquer aux humains le bon chemin à prendre. Je veux plutôt croire que, sous ce titre, il y a comme un cri, celui d'un homme qui jette toutes ses forces intellectuelles, au soir de sa vie, pour nous mettre en garde contre un déficit de pensée politique.
Edgar Morin, interrogé, sur France-Inter, expose, en effet que ce ne sont ni les intellectuels ni l'intelligence qui font défaut mais la production d'idées neuves mordant sur la réalité du monde actuel. Il souligne que la précipitation des hommes politiques leur interdit tout à la fois d'élever leur niveau de culture à la hauteur des besoins et les bloque dans la recherche de solutions à court terme inscriptibles dans la durée de leur mandat.
Il souligne l'impuissance des meilleurs : Barack Obama, par exemple ,a été contraint de prendre des décisions dont il sait la nocivité, par exemple quand il nomme, à de hauts niveaux de responsabilités, ceux-là mêmes qui ont été à l'origine de la crise financière qui a déferlé sur les États-Unis et l'ensemble du monde occidental.
Il utilise, lui aussi, comme Hervé Kempf, comme Jacques Rancière, le mot d'oligarchie pour caractériser la fausse démocratie dans laquelle fonctionnent les sociétés occidentales, y compris quand les élections sont honnêtes et respectueuses du droit. Il n'y a, selon lui, qu'une apparence de démocratie quand le peuple se désintéresse de ce qui le concerne, soit par résignation soit par incapacité à formuler des alternatives.
Le jaillissement d'une volonté populaire, en Tunisie, fut-elle chargée d'illusions et de risques d'échecs, contient une charge d'espoir qui rénove l'idée même de la démocratie. Il ne s'agit pas, en effet, d'une forme juridique du pouvoir mais d'une énergie souveraine et le droit est, in fine, au service du peuple constituant, comme l'écrivait Toni Negri.
Le peuple a-t-il perdu le pouvoir demande Jacques Rancière, dans le numéro de février de Philosophie-Magazine. Je suppose qu'Edgar Morin y répondrait que le peuple perd le pouvoir quand il n'est plus le peuple. La manifestation du pouvoir du peuple n'est pas quotidienne s'il s'agit de relever les événements qui changent la société dans ses profondeurs. Simone Veil notait que ce sont les Cahiers de Doléance qui ont déterminé le contenu de la Révolution, en 1789. Elle ajoutait que les partis ne font qu'intervenir dans un cadre déjà tracé et, le plus souvent, pour y promouvoir les idées et les hommes qui ne peuvent défendre l'intérêt général qu'en parti, c'est-à-dire... en partie.
Ce qu'Edgar Morin apporte, peut-être, aujourd'hui, c'est la proposition de faire exercer le pouvoir par le peuple, désormais au quotidien. Comment cela ? En nous engageant, dit-il, dans une nouvelle voie : celle de la libération par la désintoxication vis à vis de la consommation, de la publicité, de la croissance des productions inutiles, de la pensée toute faite, etc.
Edgar Morin n'est pas un révolté ou un extrémiste. Il n'a plus l'âge de vouloir du neuf en tout et tout de suite. Il conduit vers l'entrée de chemins qu'il n'emprunte pas lui-même. J'en vois un où j'aimerais m'avancer : soyons a-capitalistes plutôt qu'anticapitalistes. S'opposer à ce qu'on refuse fait courir le risque d'être influencé par ce qu'on exècre. Vivre, autant que faire se peut, dans une vigilance pour échapper au conditionnement de la société du toujours plus : voilà, selon moi, ce qui doit être exploré d'urgence. L'idée n'est pas fraîche mais sa mise en œuvre, pas à pas, sans arrêt, peut l'être. Sortir du prêt à penser passe par là, sinon on se contentera d'exprimer des désaccords, ce qui n'est pas un engagement mais une simple protestation.
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Le 3 octobre 2013.
Et maintenant, exprimez-vous, si vous le voulez.
Jean-Pierre Dacheux